Déontologie
Informations sur la décision
L’Avis d’audience disciplinaire contient au total trois allégations de contravention au Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). L’allégation 1 concerne l’utilisation de la force par le gendarme Smith dans le cadre d’interactions avec un membre du public. Les allégations 2 et 3 concernent le rapport du gendarme Smith sur ses interactions avec cette personne et sa déclaration connexe.
Avant que le Comité de déontologie ne puisse rendre une décision sur les allégations, le représentant de l’autorité disciplinaire a retiré les allégations 2 et 3. Le Comité de déontologie a conclu que l’allégation 1 n’était pas fondée.
Contenu de la décision
Protégé A
2022 DAD 11
GENDARMERIE ROYALE DU CANADA
Dans l’affaire d’une audience disciplinaire au titre de la
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10
Entre :
le commandant de la Division K
(autorité disciplinaire)
et
le gendarme Andrew Smith
Numéro de matricule 62260
(membre visé)
Décision du Comité de déontologie
Christine Sakiris
Le 15 juillet 2022
|
Sergent d’état-major Jon Hart, représentant de l’autorité disciplinaire
M. Robb Beeman, représentant du membre visé
TABLE DES MATIÈRES
Principes juridiques applicables pour déterminer la crédibilité et la fiabilité d’un témoignage
Témoignage du gendarme Augustine
Témoignage d’expert du sergent Kobeluk et de M. Butler
Critères juridiques applicables
Application du critère prévu à l’article 5.1 du Code de déontologie
Identité du membre ayant exercé la force
Actes constituant un recours à la force
Caractère raisonnable et nécessité du recours à la force
RÉSUMÉ
L’Avis d’audience disciplinaire contient au total trois allégations de contravention au Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). L’allégation 1 concerne l’utilisation de la force par le gendarme Smith dans le cadre d’interactions avec un membre du public. Les allégations 2 et 3 concernent le rapport du gendarme Smith sur ses interactions avec cette personne et sa déclaration connexe.
Avant que le Comité de déontologie ne puisse rendre une décision sur les allégations, le représentant de l’autorité disciplinaire a retiré les allégations 2 et 3. Le Comité de déontologie a conclu que l’allégation 1 n’était pas fondée.
INTRODUCTION
[1] Le gendarme Smith fait face à trois contraventions alléguées au Code de déontologie de la GRC. Les contraventions sont liées aux interactions du gendarme Smith avec T.H. au Détachement de Red Deer de la GRC.
[2] Le 20 juin 2020, T.H. a été arrêté pour voies de fait et placé dans une cellule du détachement. Le 21 juin 2020, le gendarme Smith était l’un des deux membres chargés du transfert de T.H. au centre de détention provisoire de Red Deer. Le gendarme Smith aurait alors utilisé plus de force que raisonnablement nécessaire contre T.H., en contravention à l’article 5.1 du Code de déontologie de la GRC (allégation 1). Le gendarme Smith aurait rédigé un récit faux et trompeur au sujet de ses interactions avec T.H., en contravention de l’article 8.1 du Code de déontologie (allégation 2). Le gendarme Smith aurait également fait deux déclarations fausses et trompeuses au sujet de ses interactions avec T.H., en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie (allégation 3).
[3] Les allégations sont énoncées dans l’Avis d’audience disciplinaire daté du 16 juillet 2021. Le 15 octobre 2021, le gendarme Smith a fourni sa réponse aux allégations, conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291. Il a nié les trois allégations.
[4] J’ai été désignée pour diriger le Comité de déontologie en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10 [Loi sur la GRC]. Conformément à l’article 45 de la Loi sur la GRC, je dois décider si chaque allégation est fondée selon la prépondérance des probabilités. Autrement dit, pour chaque allégation, je dois déterminer s’il est plus probable qu’improbable que le gendarme Smith a contrevenu au Code de déontologie de la GRC. Si je conclus qu’une ou que plusieurs des allégations sont fondées, je dois imposer des mesures disciplinaires.
[5] L’audience a eu lieu durant la semaine du 11 avril 2022. Avant la conclusion de l’étape des allégations de l’audience, le représentant de l’autorité disciplinaire a retiré les allégations 2 et 3.
[6] Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’allégation 1 n’est pas fondée.
ALLÉGATIONS
[7] Conformément à l’avis d’audience disciplinaire, les allégations se lisent comme suit :
Allégation 1
Le 21 juin 2020 ou vers cette date, à Red Deer ou à proximité, dans la province de l’Alberta, le gendarme Andrew Smith a adopté un comportement contraire à l’article 5.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
Détails
1. Au moment des faits, vous étiez un membre régulier de la Gendarmerie royale du Canada (« GRC ») affecté au Détachement de Red Deer, dans la province de l’Alberta (Division K).
2. Le 21 juin 2020, [T.H.] était sous garde policière au Détachement de la GRC de Red Deer et devait être transporté au centre de détention provisoire de Red Deer. [T.H.] était une personne vulnérable puisqu’on savait qu’il avait des problèmes de dépendance et qu’il était sans-abri. Vous vous êtes porté volontaire pour le transporter au centre de détention.
3. Vers 16 h 25, [T.H.] a été retiré de sa cellule pour le transfert. [T.H.] avait refusé de coopérer et s’était montré agressif pendant sa période de détention; on lui a donc mis des menottes et des entraves pour le transfert.
4. [T.H.] s’est immédiatement plaint que les entraves étaient trop serrées. Vous avez utilisé la force pour le mettre au sol et vérifier ses entraves.
5. Vous avez escorté [T.H.] jusqu’à la baie du bloc cellulaire et l’avez fait asseoir sur le siège arrière du véhicule de police. Tandis que vous fermiez la portière du véhicule, [T.H.] vous a craché dessus.
6. Vous avez fermé la portière du véhicule, puis vous l’avez immédiatement rouverte et vous avez frappé [T.H.]. Vous l’avez ensuite sorti du véhicule et l’avez jeté au sol. Vous avez tenu [T.H.] au sol et l’avez frappé deux fois au visage.
7. Vos actes ont causé des blessures à [T.H.].
8. Plus tard, vous avez dit [au gendarme] Etienne Bergeron que vous aviez frappé [T.H.] au visage et que vous aviez mal à la main. Vous avez également dit au personnel du centre de détention provisoire de Red Deer que [T.H.] avait reçu un [TRADUCTION] « ajustement d’attitude ».
9. La force que vous avez utilisée durant cet incident était inutile et excessive; vous avez agressé [T.H.].
Allégation 2
Le 21 juin 2020 ou vers cette date, à Red Deer ou à proximité, dans la province de l’Alberta, le gendarme Andrew Smith a adopté un comportement contraire à l’article 8.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
Détails
1. Au moment des faits, vous étiez un membre régulier de la Gendarmerie royale du Canada (« GRC ») affecté au Détachement de Red Deer, dans la province de l’Alberta (Division K).
2. Le 21 juin 2020, [T.H.] était sous garde policière au Détachement de la GRC de Red Deer et devait être transporté au centre de détention provisoire de Red Deer. [T.H.] était une personne vulnérable puisqu’on savait qu’il avait des problèmes de dépendance et qu’il était sans-abri. Vous vous êtes porté volontaire pour le transporter au centre de détention.
3. Vers 16 h 25, [T.H.] a été retiré de sa cellule pour le transfert. [T.H.] avait refusé de coopérer et s’était montré agressif pendant sa période de détention; on lui a donc mis des menottes et des entraves pour le transfert.
4. [T.H.] s’est immédiatement plaint que les entraves étaient trop serrées. Vous avez utilisé la force pour le mettre au sol et vérifier ses entraves.
5. Vous avez escorté [T.H.] jusqu’à la baie du bloc cellulaire et l’avez fait asseoir sur le siège arrière du véhicule de police. Tandis que vous fermiez la portière du véhicule, [T.H.] vous a craché dessus.
6. Vous avez fermé la portière du véhicule, puis vous l’avez immédiatement rouverte et vous avez frappé [T.H.]. Vous l’avez ensuite sorti du véhicule et l’avez jeté au sol. Vous avez tenu [T.H.] au sol et l’avez frappé deux fois au visage.
7. Plus tard, vous avez dit [au gendarme] Etienne Bergeron que vous aviez frappé [T.H.] au visage et que vous aviez mal à la main. Vous avez également dit au personnel du centre de détention provisoire de Red Deer que [T.H.] avait reçu un [TRADUCTION] « ajustement d’attitude ».
8. La force que vous avez utilisée durant cet incident était inutile et excessive; vous avez agressé [T.H.].
9. Vers 17 h 43, vous avez rempli un Rapport d’incident supplémentaire dans le SIRP relativement à cet incident, où vous avez déclaré ce qui suit :
[TRADUCTION] « [L’auteur] a ouvert la portière et a pratiqué une frappe de diversion à l’endroit du [sujet de la plainte (sujet)] afin d’éloigner son visage de l’auteur et d’empêcher d’autres crachats/morsures, puis a retiré le sujet du siège arrière et l’a amené au sol pour le sécuriser en attendant l’arrivée d’autres membres. L’auteur a pratiqué une frappe de diversion contre le sujet afin de l’empêcher de commettre d’autres voies de fait. L’auteur tenait le visage du sujet éloigné du sien pour l’empêcher de cracher à nouveau. L’auteur avait mis le sujet sur son côté gauche pour ne pas gêner sa respiration. Après l’arrivée d’autres membres, le sujet a été remis dans le véhicule de police. »
10. Le 1er juillet 2020, vous avez rempli un Rapport sur le comportement du sujet/intervention de l’agent dans le SIRP relativement à cet incident, dans lequel vous avez indiqué ce qui suit :
[TRADUCTION] « Conformément à ma formation, j’ai retiré le sujet du véhicule de police afin d’obtenir un contrôle positif sur lui et d’empêcher la continuation d’une infraction. J’ai ouvert la portière du véhicule et j’ai utilisé ma paume avec main ouverte pour forcer le sujet à se détourner de moi et empêcher d’autres crachats ou morsures. J’ai ensuite retiré le sujet du véhicule et je l’ai emmené au sol. Une fois au sol, j’ai pris un contrôle positif sur le sujet et je l’ai tenu pour que son visage ne puisse pas se tourner vers moi et pour l’empêcher de continuer à cracher jusqu’à l’arrivée d’un autre membre. »
11. Ces rapports ne correspondent pas aux éléments de preuve relatifs à cet incident. Lorsque vous avez déposé ces rapports dans la base de données de la police, vous en avez attesté la véracité sans tenir compte de l’exactitude et de l’exhaustivité des renseignements qu’ils contenaient.
12. Vous n’avez pas fourni un compte rendu complet et exact de l’exécution de vos responsabilités et de l’exercice de vos fonctions relativement à cet incident. Vous avez donc présenté des rapports de police faux et trompeurs.
Allégation 3
Entre le 21 juin 2020 et le 19 novembre 2020, à Red Deer ou à proximité, dans la province de l’Alberta, le gendarme Andrew Smith a adopté un comportement contraire à l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
Détails
1. Au moment des faits, vous étiez un membre régulier de la Gendarmerie royale du Canada (« GRC ») affecté au Détachement de Red Deer, dans la province de l’Alberta (Division K).
2. Le 21 juin 2020, [T.H.] était sous garde policière au Détachement de la GRC de Red Deer et devait être transporté au centre de détention provisoire de Red Deer. [T.H.] était une personne vulnérable puisqu’on savait qu’il avait des problèmes de dépendance et qu’il était sans-abri. Vous vous êtes porté volontaire pour le transporter au centre de détention.
3. Vers 16 h 25, [T.H.] a été retiré de sa cellule pour le transfert. [T.H.] avait refusé de coopérer et s’était montré agressif pendant sa période de détention; on lui a donc mis des menottes et des entraves pour le transfert.
4. [T.H.] s’est immédiatement plaint que les entraves étaient trop serrées. Vous avez utilisé la force pour le mettre au sol et vérifier ses entraves.
5. Vous avez escorté [T.H.] jusqu’à la baie du bloc cellulaire et l’avez fait asseoir sur le siège arrière du véhicule de police. Tandis que vous fermiez la portière du véhicule, [T.H.] vous a craché dessus.
6. Vous avez fermé la portière du véhicule, puis vous l’avez immédiatement rouverte et vous avez frappé [T.H.]. Vous l’avez ensuite sorti du véhicule et l’avez jeté au sol. Vous avez tenu [T.H.] au sol et l’avez frappé deux fois au visage.
7. Plus tard, vous avez dit [au gendarme] Etienne Bergeron que vous aviez frappé [T.H.] au visage et que vous aviez mal à la main. Vous avez également dit au personnel du centre de détention provisoire de Red Deer que [T.H.] avait reçu un [TRADUCTION] « ajustement d’attitude ».
8. La force que vous avez utilisée durant cet incident était inutile et excessive; vous avez agressé [T.H.].
9. Vers 17 h 43, vous avez rempli un Rapport d’incident supplémentaire dans le SIRP relativement à cet incident, où vous avez déclaré ce qui suit :
[TRADUCTION] « L’auteur a ouvert la portière et a pratiqué une frappe de diversion à l’endroit du sujet de la plainte (sujet) afin d’éloigner son visage de l’auteur et d’empêcher d’autres crachats/morsures, puis a retiré le sujet du siège arrière et l’a amené au sol pour le sécuriser en attendant l’arrivée d’autres membres. L’auteur a pratiqué une frappe de diversion contre le sujet afin de l’empêcher de commettre d’autres voies de fait. L’auteur tenait le visage du sujet éloigné du sien pour l’empêcher de cracher à nouveau. L’auteur avait mis le sujet sur son côté gauche pour ne pas gêner sa respiration. Une fois que d’autres membres sont arrivés, le sujet a été remis dans le véhicule de police. »
10. Le 1er juillet 2020, vous avez rempli un Rapport sur le comportement du sujet/intervention de l’agent dans le SIRP relativement à cet incident, dans lequel vous avez indiqué ce qui suit :
[TRADUCTION] « Conformément à ma formation, j’ai retiré le sujet du véhicule de police afin d’obtenir un contrôle positif sur lui et d’empêcher la continuation d’une infraction. J’ai ouvert la portière du véhicule et j’ai utilisé ma paume avec main ouverte pour forcer le sujet à se détourner de moi et empêcher d’autres crachats ou morsures. J’ai ensuite retiré le sujet du véhicule et je l’ai emmené au sol. Une fois au sol, j’ai pris un contrôle positif sur le sujet et je l’ai tenu pour que son visage ne puisse pas se tourner vers moi et pour l’empêcher de continuer à cracher jusqu’à l’arrivée d’un autre membre. »
11. Ces rapports ne correspondent pas aux éléments de preuve relatifs à cet incident. Lorsque vous avez déposé ces rapports dans la base de données de la police, vous en avez attesté la véracité sans tenir compte de l’exactitude et de l’exhaustivité des renseignements qu’ils contenaient. Vous avez donc présenté des rapports de police faux et trompeurs.
12. En juin 2020, des enquêtes menées aux termes de la loi et du Code de déontologie ont été lancées contre vous pour recours excessif à la force durant cet incident.
13. Le 30 septembre 2020, vous avez fourni une déclaration après mise en garde au [caporal] Steven Ganes dans laquelle vous avez décrit vos interactions avec [T.H.] au moment de le transférer au centre de détention provisoire de Red Deer. Votre description de l’incident est fausse, trompeuse et incompatible avec la preuve recueillie.
14. Le 19 novembre 2020, vous avez fourni une déclaration après mise en garde au [sergent] Garry Tavernier dans laquelle vous avez décrit vos interactions avec [T.H.] au moment de le transférer au centre de détention provisoire de Red Deer. Votre description de l’incident est fausse, trompeuse et incompatible avec la preuve recueillie.
15. Vous n’avez pas fourni un compte rendu complet et exact en ce qui a trait à l’exercice de vos responsabilités et de vos fonctions relativement à cet incident.
16. Vos actes dans le cadre de cet incident ont été déshonorants. [Traduit tel que reproduit dans la version anglaise]
PREUVE
Faits non contestés
[8] En ce qui concerne l’allégation 1, plusieurs faits ne sont pas contestés. Au moment des faits, le gendarme Smith était membre de la GRC et était affecté à la Division K du Détachement de Red Deer de la GRC. T.H. a été légalement arrêté et détenu dans une cellule. Il n’est pas contesté que T.H. était généralement perturbateur et agressif durant son séjour en cellule. Bien que certains des détails concernant les actions de T.H. au cours de la nuit du 20 juin 2020 et aux premières heures du matin le 21 juin 2020 soient contestés, il est convenu que T.H. a agressé le gendarme Charles Audet le 20 juin 2020 en lui crachant au visage.
[9] L’incident en cause a eu lieu dans la baie du bloc cellulaire (le garage) du Détachement. Trois gendarmes étaient présents pendant l’incident : les gendarmes Jeremy Augustine, Courtney Scott et Smith. Leurs déclarations se trouvent au dossier.
[10] Plusieurs autres membres, dont le sergent Jon England, le gendarme Sean McLeod, le gendarme Etienne Bergeron, le gendarme Eli Ndatuje, le gendarme Alex MacMillan-Corriveau et la gendarme Valerie Rancourt, étaient présents avant ou après l’incident initial. Leurs déclarations se trouvent également dans le dossier.
[11] Il n’est pas non plus contesté que le gendarme Smith a eu recours à la force contre T.H. pendant qu’il était dans le garage. Toutefois, les circonstances ayant précédé le recours à la force et la force particulière utilisée sont contestées. Mes conclusions de fait à cet égard auront une incidence importante sur mes conclusions relatives à l’allégation 1.
Principes juridiques applicables pour déterminer la crédibilité et la fiabilité d’un témoignage
[12] Les déclarations des gendarmes Bergeron, Ndatuje, MacMillan-Corriveau et Rancourt n’ont pas été contestées. J’ai entendu les témoignages de vive voix des gendarmes Smith, Audet, Augustine, Scott et McLeod. J’ai également reçu des rapports d’experts et entendu les témoignages de vive voix du sergent Blaine Kobeluk et de M. Chris Butler. Le sergent Kobeluk et M. Butler sont tous les deux des experts qualifiés en matière de recours à la force.
[13] Pour évaluer le témoignage de chaque témoin, je dois déterminer si ce témoin est sincère et si son témoignage est fiable (c.-à-d. si le témoin est en mesure de percevoir et de se rappeler avec exactitude ce qu’il a observé). Il est possible que je considère les éléments de preuve offerts par un témoin comme étant sincères, mais non fiables. Je peux aussi accepter une partie, la totalité ou aucun des éléments de preuve apportés par un témoin au sujet d’un fait particulier.
[14] Pour évaluer la crédibilité, je ne dois pas examiner le témoignage d’un témoin de façon isolée, mais plutôt l’ensemble de la preuve. Je dois également tenir compte de l’incidence des incohérences dans ce témoignage et déterminer si, prises globalement dans le contexte de l’ensemble de la preuve, elles ont une incidence sur la crédibilité du témoin
[1]
.
[15] Dans l’arrêt Faryna
[2]
, la Cour fait observer que le témoignage d’un témoin ne peut pas être évalué uniquement en fonction du comportement du témoin, c’est-à-dire s’il semble dire la vérité. Le juge des faits doit plutôt déterminer si le récit du témoin est conforme à l’interprétation la plus probable des circonstances.
[16] La question de savoir si le récit du témoin a une « apparence de vraisemblance » est subjective, mais pour y répondre, il faut prendre en considération l’ensemble de la preuve
[3]
.
Témoignage du gendarme Audet
[17] Je n’ai aucune préoccupation quant à la crédibilité ou à la fiabilité du témoignage du gendarme Audet. Il s’est entretenu directement avec T.H. au cours de la soirée du 20 juin 2020, et il était donc clairement en mesure d’observer de façon indépendante les actions de T.H. Il a donné un compte rendu clair de ses interactions avec T.H., y compris les circonstances de l’agression par T.H. Son témoignage oral était conforme à sa déclaration.
Témoignage du gendarme Augustine
[18] Le gendarme Augustine a interagi directement avec T.H. à divers moments au cours de la soirée du 20 juin 2020 et jusqu’au 21 juin 2020. Il était également le membre le plus expérimenté présent lorsque T.H. a été retiré de sa cellule pour le transport, ainsi que durant la majeure partie de l’incident dans le garage. Il était clairement en mesure d’observer de façon indépendante les actes de T.H. et du gendarme Smith.
[19] J’ai trouvé certains éléments du témoignage du gendarme Augustine crédibles et fiables. Cependant, je l’ai trouvé défensif et évasif sur les détails entourant l’incident dans le garage. Il a omis de donner des réponses claires à des questions très élémentaires, par exemple s’il était présent à la séance d’information du matin ou au sujet de la distance approximative entre les cellules et le garage. Au sujet de phrases qu’il a prononcées, par exemple « il a reçu un ajustement d’attitude », ses explications n’étaient pas crédibles. Dans chacun de ces cas, ses réponses semblaient vouloir détourner les interprétations négatives de ses propres actions ou de son incapacité à agir avant, pendant ou après l’incident. Par conséquent, j’ai accepté son récit des événements seulement lorsque celui-ci a été corroboré par d’autres éléments de preuve dont je dispose.
Témoignage du gendarme Scott
[20] Comme le gendarme Augustine, le gendarme Scott était présent lorsque T.H. a été retiré de sa cellule pour le transport et durant la majeure partie de l’incident dans le garage. En dépit du fait que le gendarme Scott était très novice au moment de l’incident, son rapport et sa déclaration sont clairs et complets. J’ai trouvé le témoignage du gendarme Scott très crédible et fiable.
Témoignage du gendarme McLeod
[21] De même, j’ai trouvé le témoignage du gendarme McLeod crédible et fiable. Son témoignage de vive voix était conforme à sa déclaration. Il a répondu aux questions de façon claire et franche. Bien qu’il n’ait pas été témoin de l’incident en soi, il a eu des contacts directs avec T.H. au cours de son séjour au détachement et il était l’un des membres qui ont répondu à l’appel d’aide. Il est également l’un des deux membres qui ont mis une cagoule anticrachat à T.H. et a donc été en mesure d’observer directement la réponse des membres à l’appel d’aide et leurs interactions avec T.H. par la suite.
Témoignage du sergent England
[22] Pour les mêmes raisons que celles exposées au sujet du témoignage du gendarme McLeod, j’ai trouvé le témoignage du sergent England crédible et fiable. Je remarque que, même si le sergent England n’a pas directement aidé à mettre la cagoule anticrachat à T.H., il était présent et a communiqué directement avec T.H. avant et après l’incident.
Témoignage du gendarme Smith
[23] Dans l’ensemble, j’ai trouvé le témoignage du gendarme Smith crédible et fiable. Il a présenté son témoignage de façon directe et franche. Son témoignage de vive voix était, dans l’ensemble, conforme à la preuve vidéo, ainsi qu’au témoignage des autres témoins. Il n’a pas tenté d’embellir les choses ou d’exagérer les actes de T.H. Il a plutôt fait preuve d’une attitude de compassion envers T.H. Même si son souvenir de certains détails n’était pas clair, par exemple les mots précis utilisés par T.H. lorsqu’il criait contre les membres, je n’ai pas trouvé que cela avait eu une grande incidence sur la fiabilité globale de son témoignage.
[24] J’ai remarqué quelques incohérences mineures dans le témoignage du gendarme Smith. Par exemple, il a indiqué, dans sa déclaration au caporal Gains, aux lignes 68 à 72, qu’il a vu T.H. lancer des excréments « dans la direction générale des membres » pendant qu’il était dans la salle des empreintes digitales. D’autres membres, y compris les gendarmes Augustine et McLeod, qui étaient présents dans la salle des empreintes digitales, ont dit que T.H. avait menacé de jeter des excréments à des membres, mais sans réellement le faire. Au contraire, T.H. avait laissé tomber au sol les excréments qu’il tenait dans sa main. Durant le contre-interrogatoire, le gendarme Smith a soutenu que T.H. avait jeté de la matière fécale au gendarme Augustine ou dans sa direction, bien qu’il ait admis qu’il n’avait pas été témoin de l’incident. Un autre exemple concerne le sang sur le sol du garage après l’incident. Les gendarmes Scott et Rancourt mentionnent une tache de sang sur le sol dans leurs déclarations et leurs notes, respectivement. Le gendarme Smith ne la mentionne pas. Cependant, la preuve vidéo montre clairement le gendarme Smith pointant vers la tache sur le sol après l’incident tandis qu’il prend des notes. J’ai particulièrement attiré l’attention des conseillers juridiques sur cette preuve vidéo lors d’une conférence préparatoire à l’audience, et j’ai demandé que la question soit abordée à l’audience. Le gendarme Smith a par la suite reconnu, dans son témoignage de vive voix, après avoir visionné à nouveau la vidéo, qu’il y avait du sang sur le sol du garage. Collectivement, les incohérences mineures que j’ai relevées n’ont cependant pas diminué de façon significative la crédibilité ou la fiabilité du témoignage du gendarme Smith.
Témoignage de T.H.
[25] T.H. est décédé avant l’audience. Par conséquent, je n’ai que sa déclaration à laquelle me fier. J’ai des préoccupations quant à la fiabilité de son témoignage puisque sa déclaration est parfois difficile à suivre et que ses réponses ne correspondent pas aux questions posées. J’ai tenu compte de ce témoignage dans le contexte de toutes les autres preuves dont je dispose.
Témoignage d’expert du sergent Kobeluk et de M. Butler
[26] La GRC a mené un examen de l’incident de recours à la force par le gendarme Smith. Le sergent Kobeluk a été chargé de l’examen, qui a consisté à déterminer si le gendarme Smith avait respecté le Modèle d’intervention pour la gestion d’incidents (MIGI) et les politiques de la GRC qui s’appliquent dans ce contexte. Le sergent Kobeluk a conclu que le gendarme Smith ne l’avait pas fait. Au cœur de cette conclusion se trouve l’opinion du sergent Kobeluk selon laquelle la portière du véhicule était en train de se fermer et qu’elle était fermée lorsque T.H. avait craché au visage du gendarme Smith. Selon lui, une fois la portière fermée, l’agression était terminée et le gendarme Smith n’avait plus l’autorité légale de réagir. Il était d’avis qu’à ce moment-là, le gendarme Smith aurait pu et aurait dû simplement s’en aller. En agissant autrement, il avait causé un [TRADUCTION] « danger créé par l’agent ».
[27] Cela dit, le sergent Kobeluk a convenu que si le gendarme Smith avait agi dans les limites de son pouvoir légitime, les frappes de diversion qui ont suivi auraient été données dans le respect du MIGI et des politiques de la GRC. Toutefois, le sergent Kobeluk n’était pas certain si l’on pouvait dire la même chose de la façon dont le gendarme Smith a sorti T.H. du véhicule de police.
[28] M. Butler a fait ressortir les limites en ce qui concerne l’utilisation de la preuve vidéo, notamment l’absence de son et les problèmes potentiels liés à la fiabilité de la vidéo en l’absence d’une analyse judiciaire. Selon lui, le gendarme Smith avait agi en tout temps dans les limites de son pouvoir légitime, et la force qu’il avait utilisée avait été raisonnable et nécessaire dans les circonstances. Au cœur de cette opinion est l’avis de M. Butler selon lequel la fermeture et la réouverture de la portière s’étaient faites dans un mouvement fluide et que les gestes posés par le gendarme Smith étaient conformes à sa formation, à savoir qu’ils avaient servi à mettre fin à l’agression. Plus particulièrement, M. Butler était d’avis que la décision de retirer T.H. du véhicule et les frappes de diversion avaient été faites dans le respect du MIGI et des politiques de la GRC. Cependant, il a reconnu que la façon dont T.H. avait été retiré du véhicule pouvait être problématique, en fonction de l’interprétation de la preuve. Par exemple, une « mise au sol contrôlée par déstabilisation » mal exécutée pourrait quand même être conforme au MIGI et aux politiques de la GRC; cependant, une « mise au sol dynamique » durant laquelle le gendarme Smith aurait intentionnellement jeté T.H. au sol de façon incontrôlée irait à l’encontre du MIGI et des politiques.
[29] Le sergent Kobeluk et M. Butler ont tous deux convenu que le fait de cracher constitue une agression et que la nature de cette agression, compte tenu de l’état de santé déclaré de T.H., pourrait causer des lésions corporelles graves ou la mort.
[30] En raison de leurs connaissances particulières ou de la formation spéciale qu’ils ont suivie, les experts peuvent soumettre des éléments susceptibles de m’aider à évaluer la preuve. Je dois cependant m’assurer que le fondement factuel de leurs opinions concorde avec la preuve et évaluer le poids à accorder à ces opinions. Je ne peux simplement pas me contenter d’adopter leurs conclusions comme étant les miennes. Leurs rapports et leurs témoignages de vive voix sont plutôt un aspect des éléments de preuve que je dois examiner pour trancher la question finale, à savoir si la force employée par le gendarme Smith était raisonnablement nécessaire dans les circonstances.
[31] Plusieurs facteurs m’ont amenée à accorder plus de poids à l’opinion de M. Butler qu’à celle du sergent Kobeluk. Tout d’abord, j’ai tiré des conclusions de fait concernant les mécanismes de la force utilisée par le gendarme Smith qui ne concordent pas avec l’évaluation de l’incident par le sergent Kobeluk. Ensuite, et sans supposer que le sergent Kobeluk ait commis une quelconque irrégularité, je suis d’accord avec le représentant du membre visé lorsqu’il dit que le fait que le sergent Kobeluk ait été appelé à donner son opinion à plusieurs étapes du processus est problématique. Un expert qui donne un avis préliminaire sur la base de preuves limitées aux fins de mesures administratives provisoires ne devrait pas être appelé par la suite à faire un examen complet du recours à la force. Cela crée un conflit d’intérêts possible, puisque l’expert pourrait être appelé à contredire sa propre opinion antérieure sur laquelle un agent supérieur s’est fondé durant l’administration du dossier disciplinaire. En l’espèce, je n’ai pas été en mesure de rejeter entièrement cette préoccupation, puisque le rapport et le témoignage du sergent Kobeluk n’étaient pas suffisamment clairs pour me permettre de comprendre la méthodologie et la preuve sur lesquelles il s’est fondé pour en arriver à son opinion. La méthodologie et la preuve invoquées dans le rapport d’expert et le témoignage de M. Butler sont plus claires. Enfin, je suis d’accord avec le représentant du membre visé lorsqu’il dit que la portée de l’opinion du sergent Kobeluk s’étend jusqu’à offrir une conclusion sur les questions ultimes à trancher en l’espèce.
ANALYSE
[32] Dans ses observations sur les allégations, le représentant de l’autorité disciplinaire a indiqué que, telles qu’elles sont formulées, les allégations 2 et 3 exigent que les notes d’un membre soient une représentation objective de ce qui s’est passé. Comme l’ont fait remarquer les experts dans leurs témoignages, les notes d’un membre sont nécessairement subjectives. Conformément à son devoir d’examiner continuellement la solidité du dossier, le représentant de l’autorité disciplinaire a indiqué que les allégations 2 et 3 ont été retirées. Le représentant du membre visé n’avait pas d’objection. Par conséquent, il ne me reste que l’allégation 1 à examiner.
Critères juridiques applicables
[33] Selon l’allégation 1, le gendarme Smith a utilisé plus de force que nécessaire dans les circonstances, en contravention de l’article 5.1 du Code de déontologie.
[34] Selon l’article 5.1 du Code de déontologie de la GRC, les « membres emploient seulement la force raisonnablement nécessaire selon les circonstances ».
[35] Afin que l’allégation 1 soit établie, l’autorité disciplinaire doit prouver chacun des éléments suivants selon la prépondérance des probabilités :
- l’identité du membre;
- les gestes posés par le membre ayant constitué le recours à la force;
- le recours à la force n’était pas raisonnablement nécessaire dans les circonstances.
[36] Les deux premiers éléments sont faciles à établir, mais le troisième est davantage nuancé.
[37] La Cour suprême du Canada établit les principes directeurs suivants pour évaluer si le recours à la force d’un policier était raisonnablement nécessaire dans les circonstances :
[…] dans l’exercice de leurs fonctions, les policiers ne possèdent pas le pouvoir illimité d’infliger des blessures à une personne. Bien que, dans certaines circonstances, il leur faille recourir à la force pour arrêter un délinquant ou l’empêcher de leur échapper, le degré de force permis demeure circonscrit par les principes de proportionnalité, de nécessité et de raisonnabilité [4] .
[Non souligné dans l’original.]
[38] La question consiste donc à déterminer les facteurs à prendre en considération pour évaluer si ces principes ont été respectés. Comme la Cour suprême du Canada l’a reconnu dans l’arrêt Nasogaluak, les contraintes applicables à l’emploi de la force par un policier sont « fermement ancrées dans notre tradition de common law et consacrées » par l’article 25 du Code criminel, L.R.C. 1985, c C-46 [Code criminel]
[5]
.
[39] Lorsque l’emploi de la force par un policier fait l’objet d’un examen, l’article 25 du Code criminel décrit les circonstances dans lesquelles ce recours à la force est justifié. Le paragraphe 25(1) du Code criminel se lit comme suit :
Protection des personnes autorisées
25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier;
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public;
d) soit en raison de ses fonctions,
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.
[40] Pour les raisons énoncées dans Bigras
[6]
, je conclus que le gendarme Smith peut se fonder sur l’article 25 du Code criminel afin d’établir que la force à laquelle il a eu recours était justifiée dans les circonstances. Pour ce faire, le gendarme Smith doit établir chacun des éléments suivants, selon la prépondérance des probabilités
[7]
:
- Au moment des faits, il avait l’obligation ou l’autorisation légale d’accomplir un acte dans l’application ou l’exécution de la loi; en d’autres mots, il a agi dans le cadre de ses fonctions légitimes
- Il a agi en s’appuyant sur des motifs raisonnables lorsqu’il a eu recours à la force. En d’autres mots, la croyance subjective du gendarme Smith selon laquelle il était nécessaire d’appliquer la force pour exercer ses fonctions légitimes était objectivement raisonnable dans les circonstances.
- Il n’a pas eu recours à une force excessive. Ce troisième élément met l’accent sur le degré de force employé.
[41] La croyance subjective du gendarme Smith quant au besoin d’utiliser la force et à la quantité de force requise doit être objectivement raisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances, tel qu’elles existaient au moment où la force a été utilisée
[8]
. Beaucoup de facteurs doivent être pris en compte pour évaluer le degré de force employé. Ces questions seront détaillées dans mon analyse.
[42] Comme nous l’avons déjà indiqué, l’identité du gendarme Smith comme membre qui a eu recours à la force à l’égard de T.H. n’est pas contestée. C’est la nature des gestes constituant le recours à la force et les circonstances dans lesquelles le gendarme Smith en est venu à employer cette force qui sont contestées.
[43] Je commencerai par présenter mes conclusions de fait concernant les interactions du gendarme Smith avec T.H. le 21 juin 2020. Je présenterai ensuite mes conclusions concernant chaque élément du critère en vertu de l’article 5.1 du Code de déontologie.
Constatation des faits
[44] Je conclus que T.H. était connu, en raison de ses nombreuses interactions avec les membres de la GRC à Red Deer, comme étant une personne vulnérable, sans-abri, utilisatrice de drogues injectables et probablement aux prises avec des problèmes de santé mentale. On savait de lui qu’il était agressif, imprévisible et peu coopératif avec les policiers.
[45] Le gendarme Smith était affecté au centre-ville et avait de fréquentes interactions avec T.H., soit en effectuant des patrouilles à pied dans des refuges pour sans-abris ou des soupes populaires, soit en réponse à des appels de service mettant en cause T.H.
[46] T.H. a été arrêté par des membres de la GRC le 20 juin 2020 pour agression contre son ou sa partenaire intime. Il était peu coopératif et agressif au moment de son arrestation et de son transport jusqu’au détachement. Il a été fouillé et logé dans une cellule.
[47] Il a ensuite été décidé que T.H. serait accusé d’agression armée. À la lumière de l’augmentation du risque, le gendarme Audet s’est rendu à la cellule de T.H. pour lui lire ses droits et l’emmener pour sa prise d’empreintes digitales.
[48] T.H. a refusé de quitter sa cellule. Le gendarme Audet est resté à la porte de la cellule ou près de celle-ci et a utilisé sa radio pour appeler du renfort. Avant que quelqu’un arrive, T.H. s’est rapidement approché du gendarme Audet et lui a craché au visage.
[49] Le gendarme Audet a utilisé la force pour amener T.H. sur son matelas afin d’empêcher la poursuite de l’agression, et a lancé un autre appel pour obtenir de l’aide d’urgence. T.H. a continué sa mauvaise conduite, essayant de donner des coups de pied au gendarme Audet, qui l’a ensuite emmené au sol. Lorsqu’un autre membre est arrivé, ils ont changé de position afin de permettre au gendarme Audet de se décontaminer et de demander des soins médicaux. Je remarque que, pendant cet incident, T.H. avait déclaré avoir une ou plusieurs maladies transmissibles graves.
[50] Au début de son quart de travail, le 21 juin 2020, le sergent England a été informé que T.H. avait agressé un membre du quart de nuit en lui crachant dessus. Lors de la séance d’information du matin, à laquelle ont assisté les gendarmes Smith, Augustine et Scott, le sergent England a indiqué que T.H. avait craché sur un membre la nuit précédente et que, pour des raisons de sécurité des agents, plus d’un agent devait être présent lors de toute interaction avec T.H. Il n’a pas demandé aux membres de mettre une cagoule anticrachat à T.H. lors des interactions.
[51] Le gendarme Smith a interagi avec T.H. plusieurs fois au cours de cette même journée.
[52] La première interaction a eu lieu au milieu de la matinée, lorsqu’il a accompagné le sergent England et le gendarme Augustine dans la cellule de T.H. afin d’escorter T.H. en vue de son appel avec un avocat de service. T.H. a refusé de quitter sa cellule.
[53] La deuxième interaction a eu lieu au début de l’après-midi, lorsque les gendarmes Smith et Augustine se sont présentés à la cellule de T.H. pour l’accompagner à son audience de libération provisoire. T.H. a été escorté sur une courte distance dans le couloir jusqu’à la salle désignée. Le gendarme Smith et lui se sont assis dans la salle. Le gendarme Augustine se tenait à l’intérieur de la pièce. D’autres membres étaient présents dans la salle, au cas où leur aide serait requise.
[54] T.H. s’est indigné des conditions imposées pour sa libération. Il criait, était très agité et s’est levé. Le gendarme Augustine lui a ordonné de s’asseoir, puis il l’a repoussé dans sa chaise.
[55] Après avoir été informé qu’il serait mis en détention provisoire, T.H. a saisi le récepteur du téléphone. Le gendarme Smith a pris le téléphone de la main de T.H. et, en raison de sa résistance continue, l’a escorté en utilisant une technique de contrôle douce jusqu’à la salle où devaient être prises ses empreintes digitales.
[56] T.H. était dans la salle des empreintes digitales avec les gendarmes Augustine et McLeod lorsqu’il a mis sa main dans son pantalon et en a sorti des excréments. Il l’a fait deux fois, les laissant tomber au sol. Se tenant près du gendarme Augustine, T.H. a alors menacé de lui jeter la poignée suivante, et le gendarme Augustine a alors poussé T.H. loin de lui. T.H. n’a pas jeté les excréments au gendarme Augustine mais les a plutôt laissés tomber au sol. Le sergent England a ordonné que T.H. soit ramené en cellule. T.H. refusait de marcher et les gendarmes Smith et Augustine ont pris un contrôle positif et l’ont escorté jusqu’au bloc cellulaire.
[57] Pendant qu’il était dans sa cellule, T.H. a uriné sur le sol et l’urine a coulé dans le couloir. Il a déféqué dans sa cellule, frottant des excréments sur les murs et sur le sol. À divers moments, il criait, jurait, faisait des commentaires agressifs au sujet de la police ou aux policiers.
[58] Quelques heures après l’incident dans la salle des empreintes digitales, les documents de détention provisoire ont été reçus. Le gendarme Smith a entendu l’appel par radio et est retourné au détachement pour effectuer le transfert. Cela n’était pas rare étant donné que le centre de détention provisoire et le détachement se trouvent dans la zone qui lui était assignée.
[59] À son arrivée au détachement, le gendarme Smith a garé son véhicule de police dans le garage et a demandé au gendarme Augustine de l’accompagner pour effectuer le transfert. Ils ont discuté d’un plan pour leurs interactions avec T.H. Ils ont convenu qu’à la lumière de son comportement pendant qu’il était dans la cellule, il serait menotté et entravé. Ils n’ont pas discuté de la question de savoir s’ils devraient appliquer une cagoule anticrachat à T.H.
[60] Au départ, T.H. s’est montré obéissant. Une fois menotté et entravé, il s’est plaint que les entraves étaient trop serrées et il a refusé de marcher. Les gendarmes Smith et Augustine ont vérifié ses entraves et ont déterminé qu’elles étaient lâches et qu’elles ne nécessitaient pas d’ajustement. Le gendarme Scott était également présent, plus loin dans la salle, à ce moment-là. Je note que le représentant de l’autorité disciplinaire a reconnu qu’il n’y avait rien d’inapproprié dans la pose des entraves. Ni l’un ni l’autre des experts n’a relevé de préoccupation quant aux actes des gendarmes Smith ou Augustine.
[61] Le gendarme Smith a ensuite escorté T.H. jusqu’au garage en tenant une main sur son bras. Le gendarme Augustine était à côté de lui, et le gendarme Scott marchait devant pour ouvrir les portes afin qu’ils aient un chemin libre vers le véhicule de police.
[62] En passant devant le bureau de garde, le gendarme Augustine s’est arrêté ou, peu de temps après, est retourné chercher les documents de détention provisoire. Le gendarme Smith ne s’est pas arrêté et a continué d’escorter T.H. vers le garage, où le gendarme Scott tenait la porte ouverte.
[63] Le gendarme Smith a placé T.H. dans le véhicule de police, à reculons, pour qu’il puisse s’asseoir et ensuite balancer ses jambes dans le véhicule. Alors qu’il fermait la portière, T.H. a craché dans le visage du gendarme Smith. Même si le gendarme Smith portait des lunettes de soleil, un masque et des gants médicaux, il y avait beaucoup de crachats sur son front. Il n’est pas contesté qu’il s’agissait d’une agression grave qui, à la lumière des conditions médicales déclarées par T.H., comportait un risque élevé de préjudice.
[64] La portière, déjà en mouvement, s’est fermée. La main du gendarme Smith était toujours sur le côté de la portière pendant qu’elle se refermait; en moins d’une seconde, la main a glissé vers la poignée de la portière du véhicule et a ouvert la portière.
[65] Le gendarme Smith a pratiqué une frappe de diversion, la paume ouverte, à la tête ou au visage de T.H. avec sa main droite. Il a ensuite tiré T.H. hors du véhicule et l’a amené au sol. Dans l’exécution de cette mise au sol, il a commencé avec deux mains sur T.H. Tandis qu’il tirait T.H., le gendarme Smith a lâché prise de sa main droite, utilisant sa main gauche pour saisir le chandail ample de T.H. Cela lui a fait perdre le contrôle de T.H., qui a ensuite atterri et roulé quelques pieds plus loin sur le sol en béton du garage.
[66] Le gendarme Smith a exécuté une demi-monture sur T.H., qui était maintenant couché sur son côté.
[67] T.H. s’est débattu et a bougé la tête vers le gendarme Smith. Le gendarme Smith a pratiqué une frappe de diversion, la paume ouverte, à la tête ou au visage de T.H. avec sa main droite. Il y a eu un certain désaccord quant à savoir si le gendarme Smith a frappé une deuxième fois à ce moment-là. Le sergent Kobeluk a vu deux coups. M. Butler en a vu un. Selon les éléments de preuve des gendarmes Smith, Scott et Augustine, un seul coup contrôlé a été donné. La preuve vidéo n’est pas suffisamment claire pour réfuter cet élément. Par conséquent, je conclus que le gendarme Smith a frappé T.H. une seule fois alors qu’il était sur le sol.
[68] Pendant l’échauffourée, le gendarme Augustine a fait un appel radio pour obtenir de l’aide d’urgence, signalant que T.H. avait craché au visage du gendarme Smith. Ni lui ni le gendarme Scott ne sont intervenus d’une autre façon.
[69] Pendant qu’il était sur le sol, T.H. riait et se moquait du gendarme Smith au sujet de maladies transmissibles, y compris la COVID-19. Les gendarmes Smith, Scott et Augustine ont tous été témoins de ce comportement.
[70] Après avoir repris le contrôle de T.H., le gendarme Smith l’a maintenu sur le sol pendant quelques instants. Il l’a ensuite aidé à se relever, l’a placé à l’arrière du véhicule de police et a fermé la portière. Les trois membres ont ensuite quitté le garage et le gendarme Smith s’est rendu au point de lavage des yeux et à l’évier pour se décontaminer.
[71] Le sergent England, le gendarme McLeod et le gendarme MacMillan-Corriveau sont entrés dans le garage quelques minutes plus tard. Le sergent England a regardé dans le véhicule, a remarqué que T.H. semblait avoir de la difficulté à respirer et a légèrement ouvert la portière pour lui parler. Les gendarmes McLeod et MacMillan-Corriveau sont allés de l’autre côté du véhicule, ont rapidement sorti T.H., lui ont mis une cagoule anticrachat et ont soigné ses problèmes médicaux apparents. La respiration de T.H. est rapidement revenue à la normale. Les services médicaux d’urgence ont été appelés. T.H. a refusé le traitement et les ambulanciers ont autorisé le transfèrement au centre de détention provisoire.
[72] Les gendarmes Smith et Augustine ont transporté T.H. au centre de détention provisoire. Une fois arrivés, on entend un membre dire, sur la séquence audio de la vidéo de la caméra de tableau de bord, que T.H. a eu [TRADUCTION] « un ajustement d’attitude ». Le gendarme Smith nie être la personne à avoir fait cette déclaration. Le gendarme Augustine a avoué avoir fait le commentaire. La séquence audio n’est pas suffisamment claire pour que je puisse discerner, avec une quelconque certitude, qui parle. Par conséquent, je reconnais que c’est le gendarme Augustine qui a dit de T.H. qu’il avait eu [TRADUCTION] « un ajustement d’attitude ».
[73] La question de savoir si le gendarme Smith a demandé une cagoule anticrachat après avoir retiré T.H. du véhicule de police a fait l’objet d’un débat considérable. Le gendarme Smith a dit qu’il avait l’intention de mettre une cagoule anticrachat à T.H. après l’avoir retiré du véhicule de police. Le représentant de l’autorité disciplinaire a contesté son témoignage sur ce point.
[74] Le gendarme Smith a témoigné que pendant qu’il était aux prises avec T.H. sur le plancher du garage, quelqu’un a dit avoir une cagoule anticrachat. Il ne pouvait pas dire avec certitude si c’était lui ou quelqu’un d’autre. Le gendarme Scott a déclaré catégoriquement que c’est le gendarme Smith qui a demandé la cagoule anticrachat. Le gendarme Augustine ne s’en souvenait pas. Il ne pouvait pas non plus se rappeler s’il en avait fait la demande lorsqu’il a lancé l’appel.
[75] Le gendarme Smith a également témoigné qu’une fois T.H. maîtrisé, se rendant compte que la cagoule anticrachat n’arriverait pas rapidement, il a décidé que la meilleure façon d’agir était de sécuriser T.H. dans le véhicule de police afin de pouvoir aller se décontaminer. Selon la prépondérance de la preuve qui m’est présentée, je conclus que le gendarme Smith a demandé une cagoule anticrachat. Le fait que ni le gendarme Scott, qui venait tout juste de terminer sa période de stage, ni le gendarme Augustine, un gendarme supérieur et le membre le plus chevronné sur les lieux, n’est allé chercher une cagoule anticrachat, ne peut pas être retenu contre le gendarme Smith.
[76] Le gendarme MacMillan-Corriveau et le sergent England confirment que le gendarme Augustine a dit, dans son appel à l’aide, que T.H. avait craché sur le gendarme Smith. Le gendarme MacMillan-Corriveau déclare que c’est pour cette raison qu’il a ramassé une cagoule anticrachat en se rendant au garage. Cependant, à ce moment-là, le gendarme Smith avait déjà quitté le garage et était en train de se décontaminer à l’évier.
[77] Enfin, bien qu’il n’y ait pas de photo de T.H. à son arrivée au détachement, la photo de lui au centre de détention montre clairement une lacération ou une égratignure sur son front. Il y avait une petite tache de sang sur le sol du garage, où T.H. était étendu. Le sergent England et les gendarmes Rancourt, Bergeron et Scott déclarent également avoir vu une nouvelle coupure sur le front de T.H. Par conséquent, je conclus que T.H. a été blessé à la suite du recours à la force par le gendarme Smith et, en particulier, qu’il a subi une lacération ou une éraflure au front.
Application du critère prévu à l’article 5.1 du Code de déontologie
Identité du membre ayant exercé la force
[78] L’identité du membre n’est pas remise en cause. Le gendarme Smith est le membre qui, le 21 juin 2020, a eu un contact physique avec T.H. dans le garage du Détachement de Red Deer.
Actes constituant un recours à la force
[79] Les actes qui constituent le recours à la force par le gendarme Smith sont les suivants : le gendarme Smith a frappé T.H. à la tête ou au visage avec la paume de sa main alors que T.H. se trouvait à l’arrière du véhicule de police. Le gendarme Smith a ensuite exécuté une manœuvre de mise au sol pour sortir T.H. du véhicule, l’emmenant au sol dans le garage. Il a donné un deuxième coup à la tête ou au visage de T.H. avec sa paume avant de le contrôler physiquement et de le ramener à l’arrière du véhicule de police.
Caractère raisonnable et nécessité du recours à la force
[80] Il s’agit de déterminer si ce troisième élément du critère s’applique, à savoir si le recours à la force était raisonnablement nécessaire. En entreprenant cette analyse, je dois déterminer si le gendarme Smith a établi qu’il peut se prévaloir de la protection de l’article 25 du Code criminel.
Le gendarme Smith a-t-il agi dans le cadre de ses fonctions légitimes?
[81] Selon le représentant de l’autorité disciplinaire, le gendarme Smith agissait dans le cadre de ses fonctions légitimes avant l’agression par T.H., à savoir qu’il s’apprêtait à transférer T.H. du détachement au centre de détention. Cependant, il soutient que le gendarme Smith n’a pas agi en conformité avec son pouvoir légitime après l’agression.
[82] Il s’appuie sur l’opinion du sergent Kobeluk selon laquelle la portière du véhicule de police était en voie de se fermer quand T.H. a craché au visage du gendarme Smith et qu’elle s’est fermée immédiatement après. À ce moment-là, l’agression avait pris fin. Le gendarme Smith aurait pu et aurait dû simplement s’en aller. Le représentant de l’autorité disciplinaire soutient, conformément à l’opinion du sergent Kobeluk, que le pouvoir légitime du gendarme Smith d’empêcher la poursuite de l’agression, afin de préserver la sécurité des agents, avait cessé dès que la portière du véhicule de police s’était refermée.
[83] Le représentant du membre visé rejette les arguments du représentant de l’autorité disciplinaire en ce qui concerne le risque créé par l’agent. Il soutient que le danger dans cette situation a été créé par T.H., qui a agressé le gendarme Smith. L’agression risquait de causer des lésions corporelles graves ou la mort. Compte tenu des actions de T.H. au cours des 24 heures précédentes, il était raisonnable pour le gendarme Smith de croire que T.H. continuerait son comportement d’agression. Il soutient que le gendarme Smith a agi dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi pour empêcher la poursuite de l’agression et préserver la sécurité des agents en cherchant à mettre une cagoule anticrachat à T.H.
[84] Il soutient en outre que la fermeture et la réouverture de la portière se sont produites dans un mouvement fluide et s’appuie sur le témoignage des experts en ce qui concerne le temps de réaction.
[85] J’estime que les interactions du gendarme Smith avec T.H. étaient initialement dans l’exécution de son devoir de transférer T.H. au centre de détention provisoire. Cependant, ces circonstances ont changé lorsque le gendarme Smith a été victime d’une agression non provoquée de la part de T.H., à laquelle il avait le devoir légitime de répondre. En particulier, il avait le devoir légitime d’empêcher la poursuite de l’agression et de préserver la sécurité des agents.
[86] La portière du véhicule de police était en mouvement quand T.H. a craché sur le gendarme Smith. J’ai examiné les éléments de preuve dont je dispose, y compris le témoignage d’expert concernant le temps requis pour que le cerveau d’une personne réagisse à un stimulus physique. Dans ce cas-ci, ce stimulus a été l’agression de T.H. La vidéo établit que la main du gendarme Smith ne quitte pas la portière et glisse immédiatement vers la poignée. Le temps entre la fermeture et la réouverture de la portière est inférieur à une seconde. Cette fermeture et cette réouverture de la portière se sont faites en un mouvement fluide, sans pause.
[87] Je suis consciente de la jurisprudence bien établie qui reconnaît que les policiers se trouvent souvent dans des situations dynamiques et fluides, dans lesquelles ils sont tenus de prendre des « décisions rapides et immédiates »
[9]
. L’évaluation des actes d’un policier doit être fondée sur les circonstances telles qu’elles existaient au moment de l’événement. Un décideur ne doit pas compter sur le recul pour évaluer le bien-fondé des actions d’un policier
[10]
.
[88] Bien que le sergent Kobeluk soit d’avis que le gendarme Smith aurait pu et aurait dû simplement laisser la portière fermée à ce moment-là, je conclus que ce point de vue ne reflète pas les circonstances telles qu’elles ont été vécues par le gendarme Smith au moment en question. Cet avis est plutôt celui auquel on en vient avec le recul.
[89] Je conclus que le gendarme Smith a agi de façon réfléchie, conformément à sa formation, pour empêcher la poursuite de l’agression, afin de préserver la sécurité des agents. Je trouve très peu probable, d’un point de vue physiologique, qu’il ait pu interrompre cette réaction quand la portière s’est fermée pendant une fraction de seconde.
[90] À la lumière de ce qui précède, je conclus que le gendarme Smith a agi en conformité avec son pouvoir légitime au moment où il a eu recours à la force contre T.H. Ainsi, le premier volet du critère prévu à l’article 25 du Code criminel est rempli.
La croyance du gendarme Smith selon laquelle il était nécessaire d’avoir recours à la force était-elle objectivement raisonnable?
[91] Ici encore, le représentant de l’autorité disciplinaire soutient que le gendarme Smith aurait pu et aurait dû contenir T.H. à l’arrière du véhicule de police. Il affirme qu’une fois la portière fermée, il n’y avait plus de risque de dommage imminent. Il y avait de nombreux membres présents au détachement qui auraient pu intervenir et mettre une cagoule anticrachat à T.H., qui demeurait menotté et entravé à l’arrière du véhicule de police. T.H. aurait alors pu être transporté en toute sécurité au centre de détention provisoire. La seule urgence à ce moment-là était la décontamination du gendarme Smith. Les actes du gendarme Smith n’ont servi qu’à retarder davantage sa capacité à le faire.
[92] Le représentant de l’autorité disciplinaire soutient en outre que l’intention déclarée du gendarme de mettre une cagoule anticrachat à T.H. n’est pas crédible et que ses actes étaient, en fait, punitifs. Ici, il soutient que le fait que ni le gendarme Smith ni le gendarme Augustine n’aient pensé à mettre une cagoule anticrachat lorsqu’ils ont sorti T.H. de sa cellule suggère que le gendarme Smith n’a pas considéré que T.H. pouvait poser un risque élevé de cracher. Il ajoute que le fait que le gendarme Smith n’ait pas mis de cagoule anticrachat à T.H. avant de le remettre dans le véhicule de police est une preuve claire que son intention déclarée n’est pas crédible.
[93] Le représentant du membre visé soutient que le gendarme Smith a dû prendre des mesures pour contenir et contrôler T.H. afin d’empêcher la poursuite de l’agression. Il dit que M. Butler, et tous les autres membres témoins, ont témoigné qu’il serait non seulement très difficile, mais aussi, sur le plan tactique, peu judicieux de chercher à mettre une cagoule anticrachat à quelqu’un à l’arrière d’un véhicule. Il fait remarquer que les gendarmes McLeod et MacMillan-Corriveau ont retiré T.H. du véhicule de police avant de lui mettre la cagoule anticrachat comme preuve que l’intention déclarée du gendarme Smith était tactiquement judicieuse.
[94] Il soutient en outre qu’il n’y a absolument aucune preuve indiquant que le gendarme Smith a agi par désir de vengeance. Au contraire, toutes les preuves offertes indiquent que le gendarme Smith n’a pas agi sous l’effet de la colère.
[95] J’ai constaté qu’en rouvrant la portière du véhicule de police, le gendarme Smith a agi de façon réfléchie conformément à sa formation, dans le but d’empêcher la poursuite de l’agression. La question est alors de savoir s’il était raisonnable pour lui de croire qu’il était nécessaire d’avoir recours à la force pour le faire, après avoir ouvert la portière.
[96] L’évaluation d’une menace par un membre doit être objectivement raisonnable
[11]
. En l’espèce, les parties ont convenu que le fait de cracher est une agression grave et que, selon les faits de la présente affaire, il y avait un risque de lésions corporelles graves ou de mort. Je conclus également que, comme c’était la deuxième fois que T.H. crachait sur un membre pendant sa détention, la conviction du gendarme Smith selon laquelle il y avait un risque qu’il continue de le faire était objectivement raisonnable.
[97] Je n’accepte pas l’argument du représentant de l’autorité disciplinaire selon lequel le fait de ne pas mettre une cagoule anticrachat à T.H. au moment de le retirer de sa cellule remet en cause le caractère raisonnable de cette croyance sur le plan objectif. La preuve dont je dispose indique que l’utilisation d’une cagoule anticrachat incite souvent une personne à adopter un mauvais comportement. Le représentant de l’autorité disciplinaire laisse entendre que T.H. avait déjà eu un mauvais comportement, qui a nécessité l’utilisation de menottes et d’entraves. Il se demande si l’utilisation d’une cagoule anticrachat aurait entraîné une nouvelle escalade du comportement de T.H.
[98] Cependant, au moment où T.H. a été retiré de sa cellule, il était relativement calme et docile. Cela faisait de nombreuses heures qu’il avait craché sur le gendarme Audet. L’explication du gendarme Smith selon laquelle il évite l’utilisation d’une cagoule anticrachat à moins que cela ne soit absolument nécessaire est conforme à l’approche et à l’expérience des autres membres témoins, ainsi qu’au témoignage d’expert.
[99] Je n’admets pas la déclaration selon laquelle le fait que le gendarme Smith n’ait pas mis de cagoule anticrachat à T.H. après l’avoir retiré du véhicule de police mine le caractère raisonnable de sa croyance sur le plan objectif ou la crédibilité de son intention déclarée. J’ai conclu que le gendarme Smith avait demandé une cagoule anticrachat près avoir retenu T.H. au sol. Le fait qu’une cagoule anticrachat n’ait pas été mise à T.H. avant qu’il soit remis dans le véhicule de police n’est pas uniquement attribuable aux actes du gendarme Smith. Je n’admets pas qu’il s’agit d’une preuve d’un manque de bonne foi de la part du gendarme Smith.
[100] Tous les témoins, à l’exception du sergent Kobeluk, ont témoigné qu’il serait peu judicieux sur le plan tactique de tenter de mettre une cagoule anticrachat à T.H. pendant qu’il était à l’arrière du véhicule de police. Bien qu’il ait été entravé et menotté, il avait toujours la capacité de causer des blessures aux membres qui interagissaient avec lui. Par exemple, il pouvait donner des coups de pied ou de tête à un membre qui essayait de l’approcher. De même, les deux experts et plusieurs membres témoins ont déclaré que les membres sont formés pour amener au sol une personne agressive afin d’obtenir un contrôle positif. Les actions du gendarme Smith, comme celles du gendarme Audet le 20 juin 2020, étaient conformes à cette formation. De plus, comme l’a fait remarquer le représentant du membre visé, T.H. a été retiré du véhicule de police et amené au sol avant qu’on lui mette la cagoule anticrachat.
[101] Je n’ai trouvé aucune preuve indiquant que le gendarme Smith a agi par désir de vengeance. En examinant l’ensemble des circonstances, je constate que, tout au long de ses interactions avec T.H. au cours de la journée, le gendarme Smith a fait preuve de patience et de retenue. Bien qu’il ait pu être naturellement contrarié à la suite de l’agression, la preuve dont je dispose, y compris le témoignage de plusieurs des membres présents au moment de l’agression ou immédiatement après celle-ci, indique qu’il est resté en contrôle de ses émotions.
[102] Par conséquent, je conclus que la conviction du gendarme Smith qu’il était nécessaire d’utiliser la force pour exécuter son devoir légitime d’empêcher la poursuite d’une agression par T.H. était objectivement raisonnable. Le deuxième volet du critère prévu à l’article 25 du Code criminel est rempli.
Le degré de force utilisé par le gendarme Smith était-il raisonnable?
[103] Comme il est noté dans l’arrêt Nasogaluak
[12]
, la question n’est pas simplement de savoir si un policier croyait honnêtement que la force était nécessaire et si le degré de force utilisée était une réponse mesurée par rapport à la situation; la croyance de l’agent doit également être raisonnable.
[104] Cela dit, la Cour suprême du Canada
[13]
reconnaît que les actions d’un membre ne doivent pas être soumises à une norme de perfection. De plus, on ne peut pas s’attendre à ce que les membres mesurent [TRADUCTION] « la force précise dont la situation a besoin »
[14]
. Le fait de ne pas utiliser la force la plus faible possible ne rend pas en soi le recours à la force déraisonnable.
[105] La jurisprudence fait ressortir un certain nombre de facteurs qu’un juge des faits doit prendre en considération au moment d’évaluer si le degré de force utilisé par un policier était raisonnable compte tenu des circonstances. Parmi ces facteurs, mentionnons les suivants (la liste n’est pas exhaustive) : les événements ayant précédé le recours à la force; le nombre de policiers participant à l’intervention et les caractéristiques personnelles de chacun, de même que leurs capacités et leurs limites; la stature physique du suspect, son état d’esprit, son intoxication réelle ou perçue et son interaction avec la police; la présence et l’utilisation d’armes; et la nature, la durée et les motifs apparents du recours à la force par la police
[15]
.
[106] J’ai déjà exposé en détail les événements qui ont précédé le recours à la force ainsi que les motifs du gendarme Smith justifiant le recours à la force. Bien que T. H. ait été, à un moment donné, membre des Forces canadiennes, sa santé avait souffert au fil des ans. Le gendarme Smith était certainement plus fort que T.H. au moment de l’incident. T.H. était une personne vulnérable en vertu de la loi.
[107] Même si T.H. était connu pour consommer de la drogue, rien n’indique qu’il était sous l’influence de substances au moment de l’incident. Cependant, il était peut-être aux prises avec de la détresse mentale ou une maladie mentale. Il était également entravé et menotté.
[108] Il n’est pas contesté que les frappes de la paume de la main et la mise au sol constituent des techniques physiques de contrôle dur. Il n’est pas non plus contesté qu’en cas de risque de lésions corporelles graves ou de décès, des techniques de contrôle physique peuvent raisonnablement être utilisées.
[109] Le premier coup a été porté comme mesure de distraction dès l’ouverture de la portière du véhicule de police. Le deuxième coup a également été donné comme mesure de distraction afin d’éviter d’autres crachats, tandis que le gendarme Smith cherchait à reprendre le contrôle de T.H. au sol. Aucun des deux experts n’a soulevé de préoccupation quant à leur utilisation, en principe, dans les circonstances. La question est de savoir si la façon dont ces techniques ont été exécutées par le gendarme Smith était raisonnable.
[110] Rien ne permet de penser qu’il s’agissait de [TRADUCTION] « coups très énergiques ». La preuve vidéo et le témoignage des gendarmes Smith, Scott et Augustine indiquent plutôt que les frappes ont été faites de façon mesurée et contrôlée. Aucun des deux experts n’a soulevé de préoccupations quant à la façon dont les coups ont été exécutés. Par conséquent, je conclus que les deux frappes de diversion portées avec la paume de la main, et la façon dont elles ont été exécutées, constituaient un recours raisonnable à la force dans les circonstances.
[111] Même si j’ai constaté que la décision du gendarme Smith de retirer T.H. du véhicule était conforme à sa formation, le retrait lui-même est plus problématique. Il ne fait aucun doute que le gendarme Smith avait un devoir de diligence à l’égard de T.H., et que ce devoir était amplifié par le fait que T.H. était entravé. Il n’est pas non plus contesté que T.H. ait atterri sur le sol du garage de manière incontrôlée. Du sang a été remarqué sur le sol, où T.H. a atterri, et on a observé qu’il avait une petite égratignure ou une lacération au front par la suite. M. Butler est d’avis, en particulier, que si le gendarme Smith avait intentionnellement amorcé une mise au sol dynamique (c.-à-d. un retrait dans lequel la descente du sujet n’est pas contrôlée volontairement), la mise au sol n’aurait alors pas été conforme à ce que prévoient le Modèle d’intervention pour la gestion d’incidents, les politiques de la GRC ou la formation sur le recours à la force.
[112] Le représentant de l’autorité disciplinaire cite Day pour faire valoir que la présence d’une blessure, bien qu’elle ne soit pas déterminante, a une valeur probante dans l’évaluation de la force utilisée. En l’espèce, la coupure au front de T.H. semble s’être produite lorsqu’il a heurté le sol du garage avant de rouler. Il ne fait aucun doute que la chute de T.H. sur le sol du garage a été incontrôlée. La question est de savoir s’il s’agissait d’une mise au sol dynamique ou, comme l’a fait valoir le représentant du membre visé, d’une manœuvre contrôlée qui n’a pas été correctement exécutée, pour des raisons qui ne relevaient pas entièrement du contrôle du gendarme Smith.
[113] Ni le gendarme Augustine ni le gendarme Scott n’avaient une vue claire des actions du gendarme Smith à l’arrière du véhicule de police. Ils n’ont pas pu fournir une description de la façon dont T.H. a été retiré du véhicule. Le récit de T.H. sur l’incident, tel qu’il se trouve dans sa déclaration, n’est pas utile à cet égard. Par conséquent, je dois me fier aux déclarations et au témoignage du gendarme Smith, ainsi qu’à la preuve vidéo. J’ai tenu compte du témoignage de l’expert dans l’interprétation de cette preuve, y compris les limites de la preuve vidéo. Cependant, je suis d’accord avec le représentant de l’autorité disciplinaire pour dire que la vidéo me permet de déterminer les éléments de base des événements.
[114] Je conclus que le gendarme Smith n’a pas amorcé une mise au sol dynamique. Il a plutôt tenté d’amorcer une manœuvre contrôlée. Lorsqu’il a amorcé la manœuvre, le gendarme Smith avait les deux mains sur la partie supérieure du corps de T. H. Tandis qu’il tirait, sa main droite a perdu sa prise. Je reconnais que la capacité du gendarme Smith à tenir sa prise a été affectée négativement par les gants médicaux qu’il portait. C’est à ce moment-là que T.H. a amorcé une descente incontrôlée jusqu’au sol et a roulé en atterrissant.
[115] Bien que l’exécution de la manœuvre par le gendarme Smith ait été entachée de lacunes, dans l’ensemble des circonstances, je ne peux pas conclure qu’il s’agissait d’un recours déraisonnable à la force. Par conséquent, je conclus que le troisième volet du critère prévu à l’article 25 du Code criminel est rempli. Ayant constaté, selon la prépondérance des probabilités, que le recours à la force par le gendarme Smith était justifié dans les circonstances, je conclus que l’allégation 1 n’est pas établie.
[116] À la lumière de cette conclusion, il n’est pas nécessaire que je considère si l’article 34 du Code criminel s’applique.
CONCLUSION
[117] Les allégations 2 et 3 ont été retirées par le représentant de l’autorité disciplinaire. J’ai conclu que l’allégation 1, la seule allégation restante, n’est pas établie.
[118] Toute mesure disciplinaire provisoire en place devrait être réglée dans les plus brefs délais, conformément à l’article 23 du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014-281.
[119] Enfin, l’une ou l’autre des parties peut interjeter appel de cette décision en déposant une déclaration d’appel auprès de la commissaire dans le délai de prescription prévu à l’article 45.11 de la Loi sur la GRC.
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Le 15 juillet 2022
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Christine Sakiris
Comité de déontologie
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Date
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[1]
F.H. c McDougall, 2008 CSC 53, au paragraphe 58.
[2]
Faryna c Chorney, (1952) 2 DLR 354 [Faryna], à la page 357.
[3]
F.H. c McDougall, 2008 CSC 53, au paragraphe 58.
[4]
R. c Nasogaluak, 2010 CSC 6 [Nasogaluak], au paragraphe 32.
[5]
Nasogaluak, au paragraphe 33.
[6]
Commandant de la Division K c gendarme Bigras, 2020 DARD 02 [Bigras], aux paragraphes 19 à 22.
[7]
R. c Crampton, 2005 ABCA 81 [Crampton], au paragraphe 44; et Day c Woodburn, 2019 ABQB 356 [Day], au paragraphe 221.
[8]
Nasogaluak, au paragraphe 35.
[9]
R. c DaCosta, 2015 ONSC 1586, 2015 CarwellOnt 3348 [DaCosta], au paragraphe 99.
[10]
Crampton, aux paragraphes 44 et 45.
[11]
Day, aux paragraphes 239 à 241.
[12]
Nasogaluak, au paragraphe 34. Ce paragraphe est également cité dans DaCosta, au paragraphe 102.
[13]
Nasogaluak, au paragraphe 35.
[14]
Crampton, au paragraphe 45.
[15]
Une liste complète se trouve aux pages 28 à 30 de Day.