Protégé A
Dossier : 2016-335193 (C-058)
2022 DAD 10
AFFAIRE INTÉRESSANT
l’appel d’une décision d’un comité d’arbitrage
au titre du paragraphe 45.11(1) de la
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R-10 (dans sa version modifiée)
ENTRE :
Le gendarme Daniel Marshall
Numéro de matricule 57827
Appelant
et
Le commandant de la Division E
Gendarmerie royale du Canada
Intimé
(Parties)
Décision de la commissaire
Gendarmerie royale du Canada
|
2022
table des matières
1. Le Comité a-t-il omis d’assurer une communication adéquate avant l’audience disciplinaire?
C. Décision accessoire de l’arbitre sur la question de la communication
2. Le Comité a-t-il indûment refusé d’exiger qu’un enquêteur, le serg. G, témoigne à l’audience?
6. La référence vague du Comité à la preuve indépendante corrobore-t-elle l’allégation 2?
INTRODUCTION
[1] À la suite d’une audience disciplinaire tenue à Vancouver, en Colombie-Britannique, du 14 au 18 décembre 2015, un comité de déontologie de la GRC (le Comité) a déterminé que six allégations de conduite déshonorante (article 7.1 du Code de déontologie de la GRC [Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014-281] mettant en cause des membres du public de sexe féminin avaient été étayées contre l’agent Daniel Marshall, numéro de matricule 57827 (appelant).
[2] Deux infractions concernaient l’utilisation inappropriée et non autorisée des systèmes de bases de données de la police et la communication subséquente de renseignements à des personnes non autorisées; une concernait un commentaire inapproprié; et une autre concernait le fait d’avoir consacré un temps déraisonnable et inapproprié (deux heures) au traitement d’une plainte relativement mineure, de s’être engagé dans une conversation personnelle et un comportement de séduction qui a mené à une invitation à revenir, en dehors des heures de service, et subséquemment à une rencontre sexuelle consensuelle.
[3] Les deux autres infractions concernaient un manquement à l’obligation fiduciaire et l’omission de fournir des soins adéquats à une femme gravement intoxiquée qui s’était plainte d’avoir été agressée sexuellement deux heures avant le signalement.
[4] Le Comité a rendu sa décision le 14 mars 2016, ordonnant à l’appelant de démissionner dans les 14 jours, sans quoi il serait congédié.
[5] Les allégations concernaient les interactions de l’appelant avec quatre femmes différentes entre le 25 septembre et le 10 octobre 2014 et, compte tenu des circonstances de ces interactions et des événements subséquents, l’appelant était à l’origine visé par neuf allégations. (comme il est indiqué dans l’avis d’audience disciplinaire et dans l’énoncé détaillé, publiés le 9 juin 2015 et signifiés à l’appelant le 16 juillet 2015) (Éléments supplémentaires 2016-11-08, p. 56 à 61).
[6] Comme l’exige le paragraphe 45.15(1) de la Loi sur la GRC, l’appel a été renvoyé au Comité externe d’examen (CEE) de la Gendarmerie royale du Canada le 19 juillet 2018, aux fins d’examen. Dans un rapport contenant des conclusions et des recommandations, publié le 9 mars 2022 [dossier du CEE no C-2018-007 (C-058)] (Rapport), le président du CEE, M. Charles Randall Smith, a recommandé que l’appel soit rejeté.
[7] Selon le paragraphe 45.16(8) de la Loi sur la GRC, je ne suis pas liée par les conclusions ou les recommandations contenues dans le rapport du CEE, mais que si je choisis de m’en écarter, je dois motiver mon choix dans ma décision.
[8] Pour rendre cette décision, j’ai pris en considération le dossier constitué des éléments dont disposait le Comité (les éléments), le rapport d’appel (le Dossier) préparé par le Bureau de la coordination des griefs et des appels (BCGA) et le rapport du CEE (le Rapport). La décision du Comité est appelée la « Décision », les observations de l’appelant en matière d’appel sont appelées l’« appel »; la réponse de l’intimé est appelée la « réponse ». Les dispositions législatives mentionnées sont celles qui étaient en vigueur au moment des événements.
[9] Il sera également fait renvoi aux éléments suivants :
- Éléments supplémentaires 2016-11-08
- Éléments supplémentaires 2016-12-13
- Éléments supplémentaires
- Documents à communiquer – Comité de déontologie (transcription)
- Correspondance préalable à l’audience (Marshall)
[10] Je présente mes sincères excuses aux parties pour tout retard attribuable à la GRC dans l’avancement de l’arbitrage du présent appel.
[11] Pour les motifs qui suivent, je souscris à la recommandation du CEE et je rejette l’appel.
CONTEXTE
[12] La rencontre de l’appelant avec les victimes de sexe féminin et ses contacts subséquents avec ces dernières dans cette affaire découlaient directement de ses fonctions à titre de membre de la GRC à Chilliwack, en Colombie-Britannique.
[13] Le premier incident concerne la témoin A et s’est produit le 25 septembre 2014. L’appelant s’est rendu à la résidence de la témoin A après un appel de service, moment où elle a informé l’appelant qu’elle avait été agressée sexuellement. Afin de montrer ses blessures à l’appelant, la témoin A lui a exposé son vagin de façon non sollicitée. L’appelant a signalé l’incident à son superviseur et a rempli les documents appropriés relativement à l’affaire de la témoin A. Cependant, l’appelant n’a pas donné suite à la plainte d’agression sexuelle, même si son superviseur (cap. R) lui a demandé de le faire.
[14] Le deuxième incident concerne la témoin B et a eu lieu en septembre et octobre 2014. Le 26 septembre 2014, l’appelant a répondu à un appel relativement à un problème de santé mentale concernant la témoin B, à sa résidence. Plus tard ce jour-là, l’appelant est retourné à la résidence de la témoin B pour faire un suivi et a trouvé celle-ci dans sa chambre à coucher, inconsciente en raison d’une surconsommation d’alcool et de médicaments. La témoin B a été hospitalisée et a obtenu son congé, après quoi, entre le 26 septembre 2014 et le 6 octobre 2014, l’appelant est retourné à plusieurs reprises chez elle, parfois en service et parfois en congé, et a eu des relations sexuelles consensuelles.
[15] Le troisième événement concerne la témoin C et s’est déroulé le 5 octobre 2014. Alors qu’il était en service dans un véhicule de police identifié, l’appelant s’est approché de la témoin C et lui a demandé de s’identifier à des fins non liées aux services policiers. Tout en validant son identité, l’appelant a non seulement déterminé qu’elle était une femme de 16 ans ayant les capacités cognitives d’un enfant de 8 à 10 ans, mais il l’a aussi interrogée sur une plainte sexuelle antérieure dans laquelle elle était partie. L’appelant a extrait ces renseignements de l’ordinateur de son véhicule. La témoin C a informé l’appelant que la nature de la discussion la rendait mal à l’aise et lui a demandé d’arrêter. La témoin C a demandé à l’appelant si elle pouvait monter dans la voiture de police avec lui, ce à quoi l’appelant a répondu en disant qu’il ne permet qu’aux personnes nues de monter dans sa voiture de police.
[16] Le quatrième événement a eu lieu le 6 octobre 2014, et concerne la témoin D qui a signalé un vélo volé à l’appelant. L’appelant a été présent pendant plus de deux heures au cours desquelles des discussions de nature personnelle ont eu lieu entre les deux. La témoin D a demandé à l’appelant de faire une recherche à son sujet sur l’ordinateur de sa voiture de police. L’appelant a obtempéré. La témoin D a déclaré que l’appelant est par la suite retourné chez elle ce soir-là alors qu’il n’était pas de service, après quoi ils ont eu des relations sexuelles.
[17] Le 4 juin 2015, l’intimé a ouvert une audience disciplinaire au titre du paragraphe 41(1) de la Loi sur la GRC (Éléments supplémentaires 2016-11-08, p. 5 et 6).
[18] Un avis d’audience disciplinaire daté du 9 juin 2015 et les éléments d’enquête connexes ont été signifiés à l’appelant (Éléments supplémentaires 2016-11-08, p. 56 à 61).
[19] L’avis d’audience disciplinaire contient neuf allégations. Les allégations 7 à 9 ont été retirées lors d’une requête préliminaire parce que la témoin E, la principale témoin de ces allégations, était décédée (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 11).
[20] Les six autres allégations soulevées par l’intimé lors de l’audience disciplinaire concernent les témoins et plaignantes, comme suit :
- Allégation 1 liée aux événements mettant en cause la témoin A;
- Allégation 2 liée aux événements mettant en cause la témoin B;
- Allégations 3 et 4 liées aux événements mettant en cause la témoin C;
- Allégations 5 et 6 liées aux événements mettant en cause la témoin D.
[21] Les six allégations étaient liées à une conduite déshonorante, comme l’indique l’avis d’audience disciplinaire (Éléments supplémentaires 2016-11-08, p. 56 à 61) [traduit tel que reproduit dans la version anglaise] :
Allégation 1
Le 25 septembre 2014 ou vers cette date, à Chilliwack ou à proximité, le gendarme Daniel Marshall a eu une conduite déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
Énoncé détaillé de la contravention
1. À toutes les dates pertinentes, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.
2. Le 25 septembre 2014, pendant que vous étiez en service, vous avez visité la résidence de W.C. [témoin A] en réponse à une plainte.
3. Vous avez amené W.C. [témoin A] de sa résidence vers un stationnement près de [nom du lieu].
4. W.C. [témoin A] vous a révélé qu’elle avait été agressée sexuellement récemment par son petit ami. Vous avez posé quelques questions à W.C. [témoin A] au sujet de l’agression sexuelle. W.C. [témoin A] vous a montré ses blessures et a exposé sa région vaginale.
5. W.C. [témoin A] a quitté votre véhicule de police. Vous avez ensuite quitté le stationnement dans votre véhicule de police.
6. Une fois de retour au détachement, vous avez avisé le cap. Chris Robinson de l’allégation d’agression sexuelle de W.C. [témoin A].
7. Le cap. Chris Robinson vous a informé qu’un suivi est requis auprès de W.C. [témoin A]. Vous n’êtes pas à l’origine du suivi ou de la demande de suivi auprès de W.C. [témoin A].
8. Vous avez rédigé un rapport de police au sujet de votre interaction avec W.C. [témoin A].
9. Vous n’avez pas bien consigné la plainte d’agression sexuelle de W.C. [témoin A] ni dûment fait enquête sur celle-ci.
Allégation 2
Le 26 septembre 2014, ou entre cette date et le 6 octobre 2013, à Chilliwack ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, [l’appelant] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
Énoncé détaillé de la contravention
1. À toutes les dates pertinentes, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.
2. Le 26 septembre 2014, pendant que vous étiez en service, vous vous êtes rendu à la résidence de P.B. [témoin B] en réponse à un appel de service concernant la santé mentale de P.B. [témoin B]. Pendant votre intervention, P.B. [témoin B] vous a parlé de sa santé mentale et de ses problèmes de toxicomanie.
3. Vous êtes retourné à la résidence de P.B. [témoin B] plus tard le même jour, pour effectuer un suivi. Vous avez trouvé P.B. [témoin B] inconsciente dans sa chambre. Lorsque P.B. [témoin B] s’est réveillée, elle vous a dit qu’elle avait pris de l’alcool et des médicaments. P.B. [témoin B] a été transportée à l’hôpital par les Services d’urgence de santé.
4. Entre le 26 septembre 2014 et le 6 octobre 2014, vous êtes retourné à plusieurs reprises à la résidence de P.B. [témoin B], pendant que vous étiez hors service et pendant que vous étiez en service, et avez eu une conduite de nature sexuelle et romantique avec P.B. [témoin B], y compris, mais sans s’y limiter, des rapports sexuels et des baisers.
5. Vous avez eu un comportement de nature romantique et sexuelle avec P.B. [témoin B], qui découle de votre relation professionnelle avec elle.
Allégation 3
Le 5 octobre 2014 ou vers cette date, à Chilliwack ou à proximité, dans la province de la Colombie-Britannique, [l’appelant] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
Énoncé détaillé de la contravention
1. À toutes les dates pertinentes, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.
2. Le 5 octobre 2014, S.C. [témoin C] avait 16 ans et résidait dans un foyer de groupe. Sur le plan cognitif, S.C. [témoin C] agissait comme un enfant de 8 à 10 ans.
3. Le 5 octobre 2014, alors que vous étiez en service et que vous étiez dans un véhicule de police identifié, vous vous êtes approché de S.C. [témoin C] et lui avez demandé son nom. S.C. [témoin C] vous a dit son nom.
4. Vous avez ensuite interrogé la RAO [répartition assistée par ordinateur], le CIPC [Centre d’information de la police canadienne] et PRIME [Environnement de gestion de l’information des dossiers de police] au sujet de S.C. [témoin C].
5. Vous avez discuté d’information obtenue dans un système d’information électronique de la GRC avec une personne non autorisée, à savoir S.C. [témoin C], pour une raison non liée à vos fonctions.
6. Votre discussion de l’information avec S.C. [témoin C] l’a rendue mal à l’aise. S.C. [témoin C] vous a demandé d’arrêter de lui parler de cette information.
Allégation 4
Le 5 octobre 2014 ou vers cette date, à Chilliwack ou à proximité, dans la province de la Colombie-Britannique, [l’appelant] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
Énoncé détaillé de la contravention
1. À toutes les dates pertinentes, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.
2. Le 5 octobre 2014, S.C. [témoin C] avait 16 ans et résidait dans un foyer de groupe. Sur le plan cognitif, S.C. [témoin C] agissait comme un enfant de 8 à 10 ans.
3. Le 5 octobre 2014, alors que vous étiez en service et que vous étiez dans un véhicule de police identifié, vous vous êtes approché de S.C. [témoin C] et avez amorcé une conversation avec elle.
4. Pendant la conversation, S.C. [témoin C] vous a demandé si elle pouvait monter à bord de votre véhicule de police.
5. Vous avez répondu que vous ne laissiez les personnes monter à bord du véhicule de police que si elles sont nues, ou quelque chose du genre.
6. S.C. [témoin C] a répondu qu’elle « laissait tomber ». Vous avez ri et vous êtes reparti.
Allégation 5
Le 6 octobre 2014 ou vers cette date, à Chilliwack ou à proximité, dans la province de la Colombie-Britannique, [l’appelant] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
Énoncé détaillé de la contravention
1. À toutes les dates pertinentes, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.
2. Le 6 octobre 2014, M.H. [témoin D] a signalé un vol de vélo. Pendant que vous étiez en service, vous vous êtes rendu à la résidence de M.H. [témoin D] en réponse à la plainte qu’elle avait déposée.
3. Pendant que vous étiez à la résidence de M.H. [témoin D], vous avez discuté de questions qui n’avaient rien à voir avec vos fonctions.
4. Plus tard ce jour-là, alors que vous n’étiez pas en service, vous êtes retourné à la résidence de M. H. [témoin D] sans y avoir été invité et vous avez participé à des activités sexuelles avec M. H. [témoin D], notamment des rapports sexuels non protégés.
5. Vous avez eu un comportement de nature sexuelle avec M.H. [témoin D], qui découle de votre relation professionnelle avec elle.
Allégation 6
Le 6 octobre 2014 ou vers cette date, à Chillliwack ou à proximité, dans la province de la Colombie-Britannique, [l’appelant] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.
Énoncé détaillé de la contravention
1. À toutes les dates pertinentes, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.
2. Le 6 octobre 2014, M.H. [témoin D] a signalé un vol de vélo. Pendant que vous étiez en service, vous avez visité la résidence de M.H. [témoin D] en réponse à la plainte qu’elle avait déposée.
3. Vous avez interrogé les systèmes d’information électroniques de la GRC disponibles à partir de votre véhicule de police pour obtenir de l’information au sujet de M.H. [témoin D].
4. Vous avez discuté d’information obtenue dans les systèmes d’information électroniques de la GRC avec une personne non autorisée, à savoir M.H. [témoin D], pour une raison non liée à vos fonctions.
TENUE DE L’AUDIENCE
[22] Le CEE a résumé les délibérations de l’audience disciplinaire (Rapport, paragraphes 15 à 47) :
3. Audience disciplinaire
[15] Le Comité a tenu une audience de cinq jours du 14 au 18 décembre 2015. L’intimé était représenté par le représentant de l’autorité disciplinaire (RAD) et l’appelant était représenté par un avocat, que j’appellerai le représentant du membre (RM). Au cours de cette période de cinq jours, le Comité a entendu les témoignages et les observations des parties relativement aux allégations. Il a ensuite rendu une décision de vive voix, concluant que chaque allégation avait été établie. Par la suite, le Comité a entendu les observations des parties quant à la mesure disciplinaire à imposer, après quoi il a ordonné à l’appelant de démissionner à défaut de quoi il serait congédié. Dans la section suivante, je résume ce qui s’est passé à l’audience.
A. Audience sur les allégations
L’appelant a nié toutes les allégations (transcription, pages 9 et 22).
[17] En guise de préface à mon résumé de ce qui s’est passé au cours de l’audience sur les allégations, je soulignerai brièvement certains commentaires formulés par le Comité au cours de l’audience. Ces commentaires portaient sur la façon dont l’enquête sur les actions de l’appelant a été menée. Ils fournissent des renseignements contextuels à la lumière de motifs d’appel précis que j’aborderai plus loin dans le présent rapport.
[18] À l’ouverture du deuxième jour de l’audience, le Comité a entendu les arguments des parties quant à savoir si la preuve fournie aux enquêteurs par la témoin E, avant son décès, pouvait être invoquée par le Comité, même si les allégations concernant le témoin E avaient été retirées. Le RAD souhaitait utiliser certains éléments de la preuve fournie par la témoin E pour démontrer une inconduite habituelle de la part de l’appelant. À ce moment-là, le Comité a indiqué aux parties qu’il avait examiné les déclarations des témoins obtenues au cours de l’enquête, y compris celle de la témoin E. Le Comité s’est dit préoccupé par la façon dont un enquêteur, le sergent (serg.) G., avait fait certains commentaires au cours des entrevues avec les témoins qui étaient hautement inappropriés et risquaient de corrompre le souvenir que les témoins avaient des événements. Le Comité a toutefois fait remarquer qu’il pouvait tenir compte de la mesure dans laquelle les témoins qui avaient témoigné à l’audience avaient pu « neutraliser l’effet préjudiciable des commentaires du serg. G ». Ce n’était pas le cas de la témoin E, qui est décédée, de sorte que le Comité avait des réserves à l’égard de son témoignage. Le Comité a invité les parties à aborder la question dans leurs conclusions finales (transcription, pages 307 à 318). Le RAD a ensuite suggéré que [TRADUCTION] « si le Comité était enclin à tirer des conclusions sur le comportement du serg. G […] », alors le serg. G devrait avoir l’occasion de témoigner (transcription, page 320). Le Comité a indiqué que ce n’était pas nécessaire, faisant remarquer que l’audience ne portait pas sur le comportement du serg. G. Le Comité a précisé que la question portait en fait sur la raison pour laquelle il n’était pas à l’aise de se fier au témoignage de la témoin E, comme le fait valoir le RAD, et il a réitéré que [TRADUCTION] « [il] n’aura pas l’occasion d’entendre la témoin E » pour savoir si elle a été en mesure de neutraliser « l’effet préjudiciable de ce que [le serg. G] a dit » (transcription, pages 320 à 324).
[19] Je passe maintenant à la preuve entendue relativement à chaque allégation.
Allégation 1 : Conduite déshonorante à l’égard de la témoin A
[20] La preuve a révélé que l’appelant s’était rendu à la résidence de la témoin A en réponse à un appel. La témoin A était en état d’ivresse. À la suite de discussions sur place et à la demande de la témoin A, l’appelant a ensuite conduit la témoin A dans son véhicule de police à un autre endroit, où elle lui a révélé qu’elle avait récemment été agressée sexuellement par son petit ami. L’appelant a déclaré qu’à cet endroit, il a demandé à la témoin A si elle avait subi des blessures à la suite de cette agression. Il lui a offert des services d’aide aux victimes, mais la témoin A ne voulait pas de services médicaux. La témoin A a ensuite exposé son vagin à l’appelant, indiquant qu’elle saignait peut-être. Selon l’appelant, il a dit à la témoin A à ce moment-là de retirer ses pantalons et lui a dit qu’il n’avait rien observé. À la demande de la témoin A, l’appelant a accepté de la laisser à cet endroit et il est parti. L’appelant a signalé tout l’incident à son superviseur, le caporal (cap.) CR. Même si le cap. CR a déclaré avoir dit à l’appelant de veiller à ce qu’on communique avec la témoin A pour faire un suivi à la suite de son allégation d’agression sexuelle, l’appelant a déclaré qu’aucun suivi n’était requis de sa part (transcription, pages 45 à 48, 62 et 63, 656 à 89, 697 à 705, 776 à 807).
Allégation 2 : Conduite déshonorante à l’égard de la témoin B
[21] L’appelant et le gend. JS ont répondu à un appel à la résidence de la témoin B. L’appel découlait de préoccupations au sujet de la santé mentale de la témoin B. L’appelant et le gend. JS ont discuté avec la témoin B de ses problèmes de santé mentale et de toxicomanie et ils ont quitté les lieux après avoir décidé que leur présence n’était plus nécessaire. Plus tard le même jour, ils sont retournés chez la témoin B pour voir si elle allait bien, et ils l’ont trouvée inconsciente, intoxiquée par l’alcool et les médicaments. La témoin B a donc été hospitalisée.
[22] La témoin B a déclaré qu’après son hospitalisation, l’appelant s’est arrêté à sa résidence la nuit, à une occasion, pour voir si elle allait bien, et qu’à cette occasion, l’appelant et elle ont parlé de leur vie personnelle. La témoin B a également déclaré qu’à cette occasion ou [TRADUCTION] « quelques jours après », l’appelant et elle ont eu des relations sexuelles, chez elle, dans une chambre à coucher. Elle a ajouté qu’à une autre occasion, l’appelant s’était arrêté à sa résidence en uniforme et qu’elle avait demandé à l’appelant si elle pouvait l’embrasser. Il a dit oui et elle lui a donné un baiser, sur la galerie devant sa résidence (transcription, pages 543 à 605).
[23] L’appelant a nié avoir eu des relations sexuelles avec la témoin B. Il a reconnu avoir fréquenté la résidence de la témoin B la nuit pendant qu’il était en service, mais il a déclaré que le but était d’obtenir des renseignements pour son dossier. Il a indiqué qu’à cette occasion, ils avaient interagi dans le vestibule et sur la galerie avant. La témoin B était contente de le voir, lui a demandé de la serrer dans ses bras et de l’embrasser, et il l’a accepté de bon cœur, la témoin B l’a donc serré brièvement dans ses bras et l’a embrassé sur [TRADUCTION] « la joue ou les lèvres ou un peu entre les deux » (transcription, pages 721 à 736, 750 à 766).
[24] MB a été appelé à témoigner par le RAD relativement aux interactions de l’appelant avec la témoin B. Toutefois, MB a refusé de répondre aux questions du RAD à l’audience. Le RAD a obtenu du Comité la permission de contre-interroger MB en tant que témoin hostile au sujet d’une déclaration antérieure qu’il avait faite aux enquêteurs. Les questions posées par le RAD mentionnaient que MB avait affirmé, dans sa déclaration, qu’il avait vu la témoin B embrasser un policier en uniforme sur sa galerie (transcription, pages 378 à 400).
Allégations 3 et 4 : Conduite déshonorante à l’égard de la témoin C
[25] Les détails des allégations 3 et 4 indiquaient que la témoin C était âgée de 16 ans et qu’elle vivait dans un foyer de groupe au moment de l’incident à l’origine de ces allégations, ce qui n’a pas été contesté devant le Comité. Selon le témoignage de JM, un travailleur auprès des jeunes, la témoin C avait des problèmes cognitifs et, par conséquent, elle paraissait parfois comme une personne beaucoup plus jeune (transcription, pages 327 et 334).
[26] La témoin C a déclaré que le jour de l’incident, elle attendait un ami dans un stationnement. Elle a expliqué que l’appelant, dans un véhicule de police identifié, s’était approché d’elle et lui avait demandé de s’identifier. L’appelant utilisait l’ordinateur à bord de son véhicule de police pendant qu’il posait des questions à la témoin C. La témoin C avait l’impression qu’il s’agissait de questions tirées de son « profil ». L’appelant a mentionné des renseignements qui se rapportaient à une plainte antérieure d’agression sexuelle dans laquelle la témoin C était la présumée victime, alors qu’elle était plus jeune. Cela l’a mise mal à l’aise et l’a effrayée. La témoin C a également dit au Comité que, pendant leur conversation, elle a demandé à l’appelant si elle pouvait monter à bord du véhicule de police, ce à quoi l’Appelant a répondu en disant que [TRADUCTION] « je n’aime pas que les filles embarquent dans […] mon véhicule de police à moins qu’elles soient complètement nues ». En contre-interrogatoire, la témoin C a soutenu que l’appelant avait déclaré quelque chose comme [TRADUCTION] : « je ne laisse personne monter à l’arrière du véhicule de police à moins d’être nu » (transcription, pages 94 à 117 et 119 à 156).
[27] L’appelant a déclaré qu’au moment où il passait devant le stationnement, il a remarqué la témoin C. Lorsque la témoin C a vu son véhicule de police, elle a semblé se détourner pour l’éviter. L’appelant s’est approché de la témoin C, qui semblait nerveuse. Comme la témoin C n’a pu produire aucune pièce d’identité, l’appelant a vérifié son nom et sa date de naissance sur l’ordinateur à bord de son véhicule de police pour confirmer son identité. Ce faisant, l’appelant est tombé sur un dossier d’agression sexuelle portant le nom de la témoin C, et il lui a demandé si elle connaissait un nom associé à ce dossier. La témoin C s’est fâchée. L’appelant ne se souvenait pas que la témoin C lui ait demandé de l’amener dans son véhicule, et il ne se souvenait pas non plus de lui avoir dit un commentaire au sujet de personnes nues. Cependant, il a reconnu pendant le contre-interrogatoire qu’il était possible qu’il ait fait un tel commentaire. Il disait parfois aux gens, un peu à la blague, que seuls les ivrognes et les personnes nues peuvent embarquer dans son véhicule, et que la témoin C a peut-être mal interprété ce qu’il a dit (transcription, pages 711 à 717, 740 à 749).
Allégations 5 et 6 : Conduite déshonorante à l’égard de la témoin D
[28] L’appelant a répondu à un appel concernant un vol de vélo à la résidence de la témoin D. L’Appelant y est resté pendant deux heures, au cours desquelles lui et la témoin D ont discuté de leur vie personnelle. La témoin D a ensuite accompagné l’appelant jusqu’à son véhicule de police et lui a demandé d’effectuer des recherches dans la base de données à son sujet dans l’ordinateur du véhicule de police, ce qu’il a fait. L’appelant a remis sa carte à la témoin D et est parti. La témoin D a déclaré que, plus tard ce jour-là, elle a invité l’appelant, par message texte, à revenir chez elle. Elle a ajouté que plus tard ce soir-là, l’appelant est retourné à sa résidence pendant qu’il n’était pas de service et que, après une discussion plus personnelle, ils avaient eu des relations sexuelles (transcription, pages 169 à 194).
[29] La témoin D a déclaré que, lors de sa première visite à sa résidence, l’appelant lui a dit qu’elle était belle. La discussion qu’elle a eue avec l’appelant au sujet de sa vie personnelle lui a fait sentir [TRADUCTION] « une certaine proximité avec lui, comme une forme de confiance ». La témoin D a ajouté qu’elle a plus tard éprouvé des difficultés avec ce qui s’était passé, en ce sens qu’elle estimait que l’attention qu’elle avait reçue de la part de l’appelant était disproportionnée par rapport à la question de son vélo volé. Elle a déclaré que quelques semaines après l’incident, elle a téléphoné à la police parce qu’elle estimait avoir été manipulée (transcription, pages 194 à 203).
[30] En contre-interrogatoire, la témoin D a été interrogée sur la façon dont l’appelant avait, en sa présence, effectué une recherche dans la base de données concernant ses antécédents. Elle a indiqué que l’appelant avait lu à voix haute les noms des personnes apparaissant à son écran, y compris le nom de sa sœur, alors qu’il tentait de trouver des renseignements sur elle. Elle a également reconnu qu’elle avait plus tard invité l’appelant à sa résidence ce soir-là par message texte, qu’elle décrit comme du flirt (transcription, pages 216 et 217 et 251 et 252).
[31] L’appelant a déclaré que, pendant sa première visite à la résidence de la témoin D, il a discuté longuement de questions de vie personnelle avec elle. Il a notamment été question des enfants de la témoin D et de l’expérience militaire de l’appelant. L’appelant se souvient que la témoin D [TRADUCTION] « voulait simplement me garder là et continuer à me parler ». Il a décrit comment, avant de quitter la résidence de la témoin D et à sa demande, il a effectué une recherche dans la base de données sur les antécédents de la témoin D, à partir de l’ordinateur de son véhicule de police (transcription, pages 706 à 710).
[32] En contre-interrogatoire, l’appelant a expliqué qu’il considérait sa discussion de questions relatives à la vie personnelle avec la témoin D comme faisant partie de son obligation d’établir une relation avec les clients. Il a également reconnu avoir lu d’autres noms apparaissant à son écran lorsqu’il a fouillé les antécédents de la témoin D sur l’ordinateur de son véhicule de police. En réponse à une question du Comité, l’appelant ne se souvenait pas d’avoir dit à la témoin D qu’elle était belle lors de sa première visite chez elle (transcription, pages 766 à 774 et 807). L’appelant n’a pas été interrogé, ni directement ni en contre-interrogatoire, sur le fait d’avoir eu des relations sexuelles avec la témoin D ce soir-là.
B. Observations et conclusions du Comité sur les allégations
Observations
[33] Le dernier jour de l’audience, le RM a commencé par présenter une motion de non-lieu relativement à l’allégation 5 concernant la témoin D. De l’avis du RM, une allégation selon laquelle un membre avait eu des relations sexuelles consensuelles avec un civil pendant qu’il n’était pas en service, à l’invitation du civil, ne pouvait constituer une violation du Code de déontologie. Après avoir entendu la réponse du RAD à la motion et une réponse du RM, le Comité a rejeté la motion, concluant que l’allégation 5 exprime de manière suffisamment claire l’inconduite professionnelle (transcription, pages 851 à 888).
[34] Le Comité a ensuite entendu les conclusions finales. Le RAD a présenté des observations concernant la crédibilité de l’appelant et des autres témoins, et a expliqué comment, à son avis, la preuve appuyait les allégations (transcription, pages 892 à 942). Le RAD a également expliqué pourquoi il était d’avis que le témoignage de la témoin E était pertinent, même si les allégations concernant les événements liés à la témoin E avaient été retirées. Si j’ai bien compris l’argument du RAD sur ce point, la preuve contenue dans les éléments présentés au Comité a révélé que les interactions de l’appelant avec la témoin E étaient semblables à celles qu’il a eues avec les témoins A, B, C et D. Pour cette raison, le témoignage de la témoin E pourrait être utilisé pour appuyer la crédibilité de chacune des plaignantes (transcription, pages 945 à 947). Le RAD a également fourni au Comité un mémoire écrit énonçant les principes relatifs à la preuve de faits similaires (Éléments supplémentaires, pages 298 à 302), à l’appui de l’argument selon lequel les incidents mettant en cause la témoin B et la témoin D contenaient des similitudes très précises qui dépassaient le cadre de la coïncidence. Le RAD a exhorté le Comité à se fonder sur la preuve de la témoin B pour appuyer les allégations concernant la témoin D, et inversement, au besoin (transcription, pages 947 à 952).
[35] Les observations finales du RM portaient d’abord sur la façon dont l’enquête avait été menée. Le RM a fait valoir que le droit de l’appelant à une audience équitable a été violé parce que les enquêteurs ont influencé la perception des témoins lors des entrevues. Comme je l’expliquerai plus en détail plus loin dans le présent rapport, le RM a présenté un mémoire de quatre pages au Comité, accompagné de la jurisprudence ci‑jointe et d’une annexe contenant des extraits des entrevues de la témoin B et de SB, une personne qui n’a pas témoigné à l’audience (Éléments supplémentaires, pages 249 à 252, 526 à 671, 681 à 687). Le RM a principalement exprimé une préoccupation au sujet de l’effet de cette preuve entachée sur l’allégation 2, concernant la témoin B, bien qu’il ait également soutenu que les enquêteurs avaient fourni des renseignements douteux à la témoin C, ce qui a également nui à la crédibilité de cette dernière (transcription, pages 955 à 961). Le RM, observations écrites et jurisprudence à l’appui (Éléments supplémentaires, pages 289 à 297, 689 à 956), a également contesté l’argument du RAD selon lequel les témoignages de la témoin B et de la témoin D relativement aux allégations 2 et 5 pourraient s’appuyer mutuellement sur des éléments de preuve de faits similaires (transcription, pages 963 à 970).
[36] Le RM a ensuite présenté des arguments concernant les allégations et la crédibilité des témoins, à l’appui de sa position selon laquelle les allégations n’avaient pas été établies (transcription, pages 970 à 1002).
[37] À la suite d’une brève réplique du RAD, le Comité a indiqué qu’il délibérerait afin de rendre une décision sur les allégations (transcription, pages 1003 à 1016).
Conclusions du Comité sur les allégations
[38] Le Comité a repris l’audience deux heures plus tard et a lu une décision de vive voix, concluant que chaque allégation avait été établie. Le Comité a aussi expliqué brièvement qu’il ne tiendrait pas compte du témoignage de la témoin E pour tirer ses conclusions. De plus, le Comité a expliqué qu’il était conscient de la préoccupation du RM selon laquelle les entrevues avec les témoins avaient été problématiques, et qu’il s’agissait d’une des principales raisons pour lesquelles le
Comité avait ordonné que des témoignages de vive voix soient obtenus auprès des témoins. En fin de compte, le Comité a estimé qu’il avait été en mesure d’évaluer de première main dans quelle mesure les témoins avaient réussi à surmonter l’influence des enquêteurs. Le Comité a déclaré que son éventuelle décision écrite fournirait [TRADUCTION] « une analyse beaucoup plus complète » (transcription, pages 1016 à 1028).
C. Observations et conclusions du Comité concernant la mesure disciplinaire
[39] Après une très brève audience sur les mesures disciplinaires, au cours de laquelle le RM a seulement fait valoir que la mesure disciplinaire imposée devrait être une ordonnance de démission plutôt qu’un congédiement, le Comité a rendu une décision de vive voix ordonnant à l’appelant de démissionner, à défaut de quoi il serait congédié (transcription, pages 1029 à 1037).
D. Décision écrite du Comité
[40] Dans sa décision définitive écrite datée du 14 mars 2016, le Comité a fourni les motifs détaillés de ses conclusions sur chaque allégation. Le Comité a également expliqué pourquoi il avait imposé une ordonnance de démission.
Allégations
[41] Le Comité a d’abord constaté qu’il était en [TRADUCTION] « partie d’accord » avec le RM pour dire que la façon dont les témoins avaient été abordés et interrogés posait problème. Le Comité a expressément noté des cas où des témoins avaient reçu de l’information d’autres témoins et où les enquêteurs avaient utilisé des termes comme « prédateur » pendant les entrevues. Cela peut avoir influencé la perception qu’ont les témoins de l’appelant. Cependant, le Comité a déclaré que sa capacité d’observer les témoins lors de leur témoignage lui avait donné l’occasion [TRADUCTION] « d’évaluer dans quelle mesure les témoins avaient réussi à surmonter toute forme d’influence négative de la part des enquêteurs ». En fin de compte, le Comité a conclu que la façon dont les entrevues avaient été menées n’avait nui ni à la crédibilité ni à la fiabilité des témoins (Décision, pages 19 et 20).
[42] En ce qui concerne l’allégation 1, le Comité a indiqué qu’il était tout à fait inapproprié pour l’appelant d’examiner la témoin A pour constater la présence de blessures de la façon dont il l’a fait, et qu’il aurait dû l’amener à l’hôpital. De plus, le Comité a reconnu que le cap. CR avait probablement demandé à l’appelant de faire un suivi auprès de la témoin A au sujet de sa plainte d’agression sexuelle et que l’appelant n’avait pris aucune autre mesure (Décision, pages 20 et 21).
[43] Pour ce qui est de l’allégation 2, le Comité a accepté le témoignage de la témoin B, selon lequel l’appelant et elle avaient eu des relations sexuelles, et qu’à une autre occasion, ils s’étaient étreints et embrassés sur sa galerie. Le Comité a observé que des éléments de preuve indépendants confirmaient que l’appelant s’était rendu à la résidence de la témoin B la nuit. Le Comité a considéré le comportement de l’appelant comme une quête amoureuse mettant en jeu un membre vulnérable du public, alors que l’appelant était en position de confiance en raison de ses fonctions (Décision, pages 21 et 22).
[44] En ce qui concerne les allégations 3 et 4, le Comité a conclu que, même si l’appelant tentait légitimement de confirmer l’identité de la témoin C en lui posant des questions au sujet d’un dossier de police, le fait de soulever la question d’une agression sexuelle était non professionnel et inapproprié. Le Comité a en outre conclu que l’allusion humoristique de l’appelant aux ivrognes et aux personnes nues aurait dû être faite à un moment et dans un lieu opportuns, devant un public approprié. La capacité cognitive limitée de la témoin C était évidente pour tout observateur, et son choix de mots avec elle était inapproprié (Décision, pages 22 à 23).
[45] Enfin, le Comité s’est penché sur les allégations 5 et 6. Il a conclu que le statut de la témoin D, à titre de plaignante dans un vol de biens, l’avait placée « dans une situation où elle était plutôt vulnérable ». Le Comité a conclu que, lors de sa première visite à la résidence de la témoin D, l’appelant [TRADUCTION] « avait préparé [la témoin D] à un rendez-vous galant ». Il [TRADUCTION] « n’enquêtait certainement pas sur un vol de vélo, du moins pas après les cinq ou dix premières minutes ». Le Comité a précisé que les efforts déployés par l’appelant pour établir une relation personnelle avec la témoin D pendant qu’il était de service et qu’il répondait initialement à l’appel constituaient le cœur de la conduite déshonorante, plutôt que la rencontre sexuelle subséquente elle-même. Cela dit, leur relation sexuelle était la preuve que [TRADUCTION] « les efforts de l’appelant ont été récompensés ». Enfin, il n’y avait aucune raison opérationnelle justifiant que l’appelant effectue des recherches dans la base de données de la témoin D et communique à la témoin D les renseignements tirés de cette recherche, y compris le nom de sa sœur. Le Comité a considéré qu’il s’agissait d’une violation inutile de la vie privée (décision, pages 23 et 24).
Mesures disciplinaires
[46] Le Comité a ensuite énoncé les motifs qui sous-tendent sa décision d’ordonner à l’appelant de démissionner. Il a conclu que les actions de l’appelant à l’égard des témoins A et B ont révélé une faiblesse de caractère fondamentale. De l’avis du Comité, les violations exposées dans les allégations 1 et 2 à elles seules ont démontré que l’appelant n’était plus apte à être employé par la GRC. Le Comité a souligné qu’aucun facteur atténuant n’avait été invoqué en faveur de l’appelant. Toutefois, le dossier disciplinaire antérieur de l’appelant constituait un facteur aggravant important. Cette mesure disciplinaire antérieure consistait en une réprimande pour deux incidents d’inconduite survenus en août 2009. Le Comité a décrit la mesure disciplinaire antérieure comme suit (Décision, pages 26 et 27) [TRADUCTION] :
[123] Selon le dossier écrit de l’appel de la mesure disciplinaire simple qui a été imposée, le membre visé a d’abord [TRADUCTION] « harcelé [Mme H], notamment en l’arrêtant alors qu’elle conduisait, en lui proposant qu’ils se rencontrent dans une chambre d’hôtel après avoir terminé son quart de travail, ainsi qu’en l’appelant au téléphone ». Dans le cadre du deuxième incident, il s’est rendu à la résidence de cette même cliente à des fins « non liées au service ».
[124] En rejetant l’appel du membre visé, l’arbitre a souligné ce qui suit au paragraphe 9 [TRADUCTION] :
Il n’y a pas de problème avec le fait que l’appelant ait téléphoné à [Mme H] à deux reprises en utilisant un appareil de télécommunication de la GRC pour des raisons liées au service. L’appelant n’a pas expliqué comment il connaissait le numéro de téléphone cellulaire de [Mme H] ni pourquoi il l’a téléphonée [Mme H] deux fois. Bien que [Mme H] n’ait pas parlé à [le membre visé], le contact a été fait à sa résidence personnelle, pour aucune raison liée à ses fonctions, alors qu’il était en service. Deux appels sont de nature répétitive et constituent un comportement de harcèlement de la part d’un appelant non désiré. De plus, un autre contact a été établi après un premier contrôle routier pour aucune raison liée à la police. De plus, le fait de suivre une citoyenne jusqu’à sa résidence, sans qu’on le lui ait demandé et sans justification autre qu’une vague allégation que cette personne constitue un danger pour elle-même ou qu’une autre personne inconnue pose un danger pour elle, n’est pas un devoir policier normal ni approprié.
[traduit tel que reproduit dans la version anglaise]
[125] Le deuxième incident qui a entraîné l’imposition d’une mesure disciplinaire simple a été décrit dans le dossier d’appel comme étant le fait de [TRADUCTION] « s’être rendu à la résidence de [Mme H] pour des raisons autres que le travail », et il est expliqué au paragraphe 10 [TRADUCTION] :
En ce qui concerne [cette allégation], le fait que l’appelant se trouvait à la résidence de [Mme H], aucune explication plausible n’a été donnée par l’appelant pour justifier ses actes. [Mme H] et son époux ont indiqué que l’appelant voulait lui parler d’une [TRADUCTION] « affaire policière », et il n’y a aucune raison de contester leur crédibilité sur ce point. Il n’en demeure pas moins que l’appelant était là et qu’il n’a pas été en mesure de justifier de façon crédible sa présence.
[traduit tel que reproduit dans la version anglaise]
[47] Le Comité a noté que ces incidents mettaient en cause un comportement inapproprié semblable, qui était relativement récent. De l’avis du Comité, le dossier disciplinaire de l’appelant était un facteur aggravant important, et au cours de sa brève carrière de sept ans, l’appelant avait [TRADUCTION] « accumulé des antécédents disciplinaires inquiétants en matière de comportement inapproprié avec des clientes ». Le maintien en poste de l’appelant mettrait le public en danger, et une ordonnance de démission était la mesure disciplinaire appropriée à imposer (Décision, page 27).
L’APPEL
Déclaration d’appel et observations
[23] Le 23 mars 2016, l’appelant a présenté une déclaration d’appel au Bureau de la coordination des griefs et des appels (BCGA).
[24] L’appelant a indiqué que ses motifs d’appel, tels qu’ils sont énoncés dans la déclaration d’appel, sont fondés sur sa position selon laquelle la décision du Comité était manifestement déraisonnable, fondée sur une erreur de droit, et a été rendue d’une manière qui contrevenait aux principes d’équité procédurale.
[25] La déclaration d’appel était accompagnée d’une annexe demandant une ordonnance de communication de documents potentiellement pertinents pendant la procédure d’appel (Dossier, p. 8 et 9). Le BCGA a traité la demande de communication comme une question accessoire. Le 24 juin et le 12 juillet 2016, l’appelant a présenté ses observations sur la communication (Dossier, p. 127 à 134; 1245 à 1252). Le 13 avril 2017, l’intimé a présenté une réponse à la question de la communication (Dossier, p. 4120-4130), et le 12 mai 2017, l’appelant a présenté une réplique (Dossier, p. 4193 à 4205).
[26] Aucune des parties n’a formulé d’observations sur le bien-fondé de l’appel. Le 10 février 2017, l’appelant a présenté des observations sur le fond (Dossier, p. 4029 à 4049). Le 22 juin 2017, le BCGA a reçu la réponse de l’intimé à la suite d’une demande de prorogation du délai (Dossier, p. 4219 à 4235), réponse qui était (probablement par erreur) datée du 22 mai 2017 (Dossier, p. 4221). Le 31 juillet 2017, l’appelant a présenté une réplique (Dossier, p. 4287 à 4293).
[27] Le 19 juillet 2018, l’appel a été renvoyé au CEE. Une copie modifiée du dossier d’appel a été soumise au CEE le 30 juillet 2020.
Questions soulevées en appel
[28] L’appelant est d’avis que la décision du Comité devrait être annulée pour les motifs suivants :
- Le Comité n’a pas assuré une communication adéquate avant l’audience;
- Le Comité a indûment refusé d’exiger qu’un enquêteur, le serg. G, témoigne à l’audience;
- Le Comité n’a pas tenu compte des observations écrites présentées par l’appelant dans les conclusions finales et a préjugé de l’affaire avant de rendre sa décision;
- Le Comité a commis une erreur en sollicitant la comparution de témoins pour compenser la preuve entachée;
- Le Comité s’est indûment appuyé sur le témoignage de la témoin E et sur le rapport Tâche et mesure prise du serg. P;
- Le Comité a fait référence à des éléments de preuve corroborant l’allégation 2, sans être suffisamment précis;
- Le Comité a tiré certaines conclusions, qui tenaient compte de renseignements qui n’avaient pas été communiqués à l’appelant.
QUESTIONS PRÉLIMINAIRES
[29] L’intimé a entamé l’audience disciplinaire en avisant l’officier désigné, conformément au paragraphe 41(1) de la Loi sur la GRC le 4 juin 2015 (Éléments supplémentaires 2016-11-08, p. 5 à 7). Par conséquent, l’affaire a été amorcée moins d’un an après les dates des événements qui sous-tendent les six allégations entendues par le Comité, conformément à l’exigence du paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC.
[30] Au titre de l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels) [CC (griefs et appels)], l’Appelant devait déposer son appel auprès du BCGA dans les 14 jours suivant la signification du rapport de décision.
[31] Le rapport de décision a été publié par le Comité le 14 mars 2016 (Décision, p. 10-39). La déclaration d’appel de l’appelant a été présentée au BCGA le 23 mars 2016 (Dossier, p. 6 et 7), dans le délai prescrit de 14 jours.
NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE
[32] Pour traiter correctement les motifs d’appel soulevés par l’appelant, il faut d’abord définir la ou les normes en fonction desquelles les motifs doivent être évalués. L’appelant fait valoir l’équité procédurale et insiste sur le fait que la décision du Comité est manifestement déraisonnable.
[33] Comme je l’expliquerai, à la lumière du paragraphe 33(1) des CC (griefs et appels) et des principes de common law, une question d’équité procédurale est examinée selon la norme de la décision correcte [Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43]. Par ailleurs, pour les questions de fait ou les questions mixtes de droit et de fait, la norme de contrôle correspond à la norme de la décision « manifestement déraisonnable » :
33(1) Lorsqu’il rend une décision sur la disposition d’un appel, le commissaire évalue si la décision qui fait l’objet de l’appel contrevient aux principes d’équité procédurale, est entachée d’une erreur de droit ou est manifestement déraisonnable.
Équité procédurale
[34] Un manquement à l’équité procédurale rend normalement une décision invalide; le redressement habituel consiste à ordonner la tenue d’une nouvelle audience, sauf s’il est inévitable que l’issue soit la même, compte tenu des circonstances (Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada–Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers [1994] 1 RCS 202, aux paragraphes 51 à 54; Renaud c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 266, au paragraphe 5).
[35] L’équité procédurale est formée de deux droits généraux, comme l’a expliqué le CEE dans la décision G-568, qui a été approuvée par l’ancien commissaire le 20 janvier 2015 :
L’équité procédurale est un principe de la common law que l’on considère maintenant comme le [TRADUCTION] « fondement du droit administratif ». Elle comprend deux droits généraux : le droit de se faire entendre et le droit à un décideur impartial [voir David J. Mullan. Principes fondamentaux du droit canadien : Administrative Law (Toronto : Irwin Law, 2001) 4, 232]. S’il y a violation du droit à l’équité procédurale, une décision sera considérée comme nulle, à moins que le fond de la demande en question [TRADUCTION] « s’avère autrement sans espoir » [voir Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent [1985] 2 RCS 643; Kinsey c. Canada (Procureur général), 2007 CF 543; Mobil Oil Canada Ltd. c. [Office] Canada–Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers [1994] 1 RCS 202; et Stenhouse c. Canada (Procureur général) [2004] CF 375].
[36] Le droit d’être entendu suppose généralement que les personnes connaissent les faits qui leur sont reprochés et ont la capacité de faire valoir leurs arguments à l’instance (Macaulay & Sprague, Practice and Procedure Before Administrative Tribunals, Toronto : Carswell, 2004) (feuillet mis à jour en 2017, version 8), ch. 17-14 [Practice and Procedure]).
[37] Les organismes administratifs ont le devoir d’agir équitablement selon les règles de justice naturelle ou d’équité procédurale, et de se préoccuper des objectifs sous-jacents des règles de présentation de la preuve (Practice and Procedure, ch. 17-14).
[38] Dans Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75 [Mooring], la Cour suprême du Canada (CSC) a déterminé que la Commission nationale des libérations conditionnelles était assujettie à l’obligation d’agir équitablement, car ses décisions avaient une incidence sur les droits, les privilèges ou les intérêts des personnes, en fonction de son cadre législatif (Mooring, paragraphes 34 à 35). La Cour suprême du Canada a conclu que l’obligation d’agir varie quelque peu selon la structure et la fonction du comité ou du tribunal en question (Mooring, au paragraphe 36).
[39] Les comités de déontologie sont tenus d’agir de façon équitable au moment de décider si un membre a contrevenu au Code de déontologie. Une constatation d’inconduite peut avoir une incidence sur la carrière d’un membre, et les mesures disciplinaires peuvent comprendre des sanctions financières ou autres, y compris le congédiement.
[40] Dans la prise de ces décisions, comme il a été soutenu dans l’arrêt Mooring, l’obligation d’un comité de déontologie d’agir équitablement est guidée par le principe du maintien de la confiance du public tout en renforçant les normes élevées de conduite attendues des membres.
Manifestement déraisonnable
[41] La CSC a souligné que la norme de contrôle prescrite par la loi doit être respectée [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov] 2019 CSC 65 [Vavilov], au paragraphe 34). Il n’y a pas de présomption selon laquelle un appel administratif devrait être assujetti aux normes ordinaires de la common law en matière de contrôle judiciaire ou de contrôle en appel [Smith c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 73, au paragraphe 50].
[42] Le paragraphe 33(1) des CC (griefs et appels) exige que les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit soient évaluées selon la norme de la décision « manifestement déraisonnable ». Le terme « manifestement déraisonnable » est l’équivalent en common law de la norme de la décision manifestement déraisonnable (Smith c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 73, au paragraphe 56; Kalkat c. Canada (Procureur général), 2017 CF 794, au paragraphe 62).
[43] La CSC s’est penchée sur le degré de déférence à l’égard de la norme de la décision manifestement déraisonnable dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 RCS 748, au paragraphe 57 :
La différence entre « déraisonnable » et « manifestement déraisonnable » réside dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Si le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal, la décision de celui‑ci est alors manifestement déraisonnable. […] Comme l’a fait observer le juge Cory dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, à la p. 963, « [d]ans le Grand Larousse de la langue française, l’adjectif manifeste est ainsi défini : “Se dit d’une chose que l’on ne peut contester, qui est tout à fait évidente” ». Cela ne veut pas dire, bien sûr, que les juges qui examinent une décision fondée sur la norme de la décision manifestement déraisonnable ne peuvent pas examiner le dossier. Si la décision contrôlée par un juge est assez complexe, il est possible qu’il lui faille faire beaucoup de lecture et de réflexion avant d’être en mesure de saisir toutes les dimensions du problème. […] Mais une fois que les contours du problème sont devenus apparents, si la décision est manifestement déraisonnable, son caractère déraisonnable ressortira.
[44] Comme il est indiqué dans Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 RCS 247, au paragraphe 52 [Ryan], « […] dès qu’un défaut manifestement déraisonnable a été relevé, il peut être expliqué simplement et facilement, de façon à écarter toute possibilité réelle de douter que la décision est viciée.
La décision manifestement déraisonnable a été décrite comme étant “clairement irrationnelle” ou “de toute évidence non conforme à la raison”
[Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, p. 963-964] ». La CSC dans Ryan ajoute ceci : « [u]ne décision qui est manifestement déraisonnable est à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir »
.
[45] Le CEE a fait remarquer que la question pertinente consiste à déterminer s’il existe une ligne d’analyse rationnelle ou soutenable à l’appui de la décision et à démontrer que la décision n’est pas clairement irrationnelle, ce qui a été expliqué succinctement dans Victoria Times Colonist c. Communications, Energy and Paperworkers, 2008 BCSC 109, au paragraphe 65 [TRADUCTION] :
Lorsqu’elle examine le caractère manifestement déraisonnable d’une décision, la cour ne doit pas se demander si elle est convaincue par les motifs de la décision du tribunal; elle doit simplement se demander si, en évaluant la décision dans son ensemble, il existe une ligne d’analyse rationnelle ou soutenable à l’appui de la décision, de sorte que celle-ci n’est pas manifestement irrationnelle ou, selon la formulation employée dans Ryan, si la décision est à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir. Si la décision n’est pas clairement irrationnelle ou viciée au point décrit dans Ryan, on ne peut pas dire qu’elle est manifestement déraisonnable. C’est le cas sans égard au fait que la cour est d’accord avec la conclusion du tribunal ou qu’elle trouve l’analyse convaincante. Même s’il y a des aspects du raisonnement que la cour juge viciés ou déraisonnables, tant qu’ils ne modifient pas le caractère raisonnable de la décision prise dans son ensemble, la décision n’est pas manifestement déraisonnable.
[46] La norme de la décision manifestement déraisonnable exclut une nouvelle appréciation de la preuve ou le rejet des conclusions tirées par le décideur à partir de cette preuve. Une conclusion de fait n’est manifestement déraisonnable que si la preuve est incapable de l’appuyer (Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal) c. Fraser Health Authority, 2016 CSC 25, au paragraphe 30).
[47] Une conclusion de fait fondée sur une preuve simplement insuffisante n’est pas manifestement déraisonnable (Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 RCS 487, au paragraphe 44; Speckling c. Colombie-Britannique (WCB), [2005] BCJ No 270 (CA), au paragraphe 37).
MOTIFS D’APPEL
1. Le Comité a-t-il omis d’assurer une communication adéquate avant l’audience disciplinaire?
A. Observation de l’appelant
[48] Dans une annexe à la déclaration d’appel déposée le 23 mars 2016, l’appelant a demandé une ordonnance de [TRADUCTION] « communication de tous les documents potentiellement pertinents » (Dossier, p. 8). La portée de cette demande était détaillée dans une observation datée du 24 juin 2016, dans laquelle l’appelant a demandé 28 éléments précis (Dossier, p. 127 à 134). La liste de ces éléments comprend :
- tout élément dont le Comité était saisi et qui n’a pas été communiqué à l’appelant;
- les dossiers numériques fournis par le RAD au Comité pendant l’audience qui n’ont pas été communiqués à l’appelant (no 23).
[49] En ce qui concerne le premier élément, le CEE a souligné que le Comité avait indiqué le 28 juin 2016, en réponse à une demande de renseignements du BCGA, que les éléments demandés par l’appelant [TRADUCTION] « sont déjà dans le Rapport d’enquête (déjà communiqués) ou comprennent des renseignements que je n’ai jamais vus auparavant et auxquels je n’ai pas accès » (Dossier, p. 1231).
[50] En ce qui concerne le deuxième élément, le 13 avril 2017, le RAD a indiqué que les dossiers numériques qu’il a fournis au Comité avaient été communiqués au RM pendant les débats du Comité, et que [TRADUCTION] « tous les documents fournis au Comité ont été communiqués à [le RM] » (Dossier, p. 4128).
[51] Les autres éléments demandés par l’appelant en appel, énumérés dans l’observation du 24 juin 2016, comprennent des documents recueillis ou générés aux fins de l’enquête (Dossier, p. 129-134), comme des ordonnances de communication, des autorisations, des mandats de perquisition (y compris les affidavits à l’appui), des relevés de téléphone cellulaire pour le téléphone personnel de l’appelant et le BlackBerry de la GRC qui lui a été remis, tout enregistrement et toute transcription de conversations interceptées, et de multiples autres sources d’information. Les motifs à l’appui de cette demande sont énoncés dans les observations présentées par l’appelant pendant le processus d’appel, que le CEE a résumées (Rapport, paragraphe 77) [TRADUCTION] :
- Observation supplémentaire datée du 12 juillet 2016 (Dossier, p. 1248 à 1252) : L’appelant se reporte à la jurisprudence, qui établit un seuil général de communication dans les procédures civiles. Il soutient que, bien que le Comité n’ait peut-être pas vu les documents que l’appelant demande, la communication de renseignements sur lesquels le Rapport d’enquête était fondé peut mener à une série d’enquêtes en appel, qui pourraient réfuter les conclusions de fait ou les inférences que le Comité a tirées du Rapport d’enquête (Dossier, p. 1250 et 1251).
- Observations écrites sur le fond datées du 10 février 2017 (Dossier, p. 4031 à 4042) : L’appelant affirme que le RM a contesté l’absence de communication avant l’audience et a joint des extraits de correspondance entre les parties et le Comité (résumés ci-dessus) (Dossier, p. 4068 à 4072). L’appelant affirme que, malgré les préoccupations exprimées par le RM au sujet de la communication, des documents pertinents existent et n’ont pas été communiqués, ce qui laisse planer le doute quant à savoir s’il a eu droit à une audience équitable (Dossier, p. 4033 à 4034).
- Réponse à l’observation de l’intimé sur la question de la communication datée du 12 mai 2017 (Dossier, p. 4196 à 4205) : L’appelant mentionne l’applicabilité de l’article 25 des CC (griefs et appels), qui empêche l’appelant d’inclure tout nouveau renseignement sur l’appel qui aurait pu être connu au moment de l’audience. Il affirme qu’il n’avait pas accès aux documents demandés lorsque le Comité a rendu sa décision, et qu’il n’aurait pas pu raisonnablement les connaître à ce moment-là. Il réitère que, à son avis, le RM a demandé la communication de tous les documents potentiellement pertinents avant l’audience, et renvoie encore une fois à la correspondance par courriel entre les parties et le Comité (résumée ci-dessus), y compris celle qui a mené le Comité à rendre une décision en faveur de la communication du RAC non caviardé (Dossier, p. 4137 et 4141). L’appelant fait valoir l’obligation de communication à l’étape de l’appel pour établir qu’il s’est vu refuser la possibilité de formuler une défense pleine et entière.
- Réplique sur le fond datée du 31 juillet 2017 (Dossier, p. 4288 à 4293) : L’appelant soutient qu’on ne peut reprocher au RM de ne pas avoir insisté sur des éléments précis de communication au moment de l’audience. Bien que le RAD ait exigé que le RM définisse les éléments précis demandés, l’appelant est d’avis que le RAD avait l’obligation légale de veiller à ce que tous les éléments potentiellement pertinents soient communiqués, en gardant à l’esprit les principes généraux relatifs à la communication en matière pénale, qui ont été étendus aux tribunaux administratifs.
B. Observations de l’intimé
[52] Le CEE a résumé les arguments de l’intimé sur la question de la communication dans deux observations (Rapport, paragraphe 78) [TRADUCTION] :
- Réponse à la question de la divulgation datée du 13 avril 2017 (Dossier, p. 4124 à 4130) : L’intimé soutient qu’en vertu de l’article 25 des CC (griefs et appels), l’appelant ne peut pas demander de nouveaux renseignements si ceux-ci étaient connus ou auraient raisonnablement pu être connus de l’appelant au moment où le Comité a rendu sa décision, c.-à-d. si la demande de communication aurait pu être faite en première instance. Tous les éléments que l’appelant demande dans le cadre de l’appel auraient pu être demandés à l’audience, et le fait de permettre la communication à ce stade-ci serait contraire à l’article 25 des CC (griefs et appels).
- L’intimé exhorte le Comité à se pencher sur les questions relatives à la communication soulevées par le RM (Dossier, p. 4131 à 4169). L’intimé affirme que le RM était convaincu que la communication était complète avant l’audience et que ce dernier avait eu amplement l’occasion de soulever des questions de communication en suspens pendant l’audience.
- Réponse sur le fond datée du 22 mai 2017 (Dossier, p. 4221 à 4231) : L’intimé conteste la position de l’appelant selon laquelle le RM, avant l’audience, avait présenté une demande de communication générale. L’intimé souligne le contexte des courriels auxquels l’appelant a fait référence, lesquels faisaient en fait partie de la demande précise du RM d’obtenir une copie du RAC non caviardé et à l’égard desquels le Comité a finalement tranché en faveur de l’appelant.
C. Décision accessoire de l’arbitre sur la question de la communication
[53] L’appelant était d’avis que les documents qui ne lui ont pas été fournis avant l’audience devraient lui être fournis en appel. Le BCGA a renvoyé la question accessoire de la communication à un arbitre d’appel en matière de déontologie pour qu’il rende une décision.
[54] L’arbitre a rejeté la demande de communication de l’appelant le 9 janvier 2018 et a également tiré les conclusions suivantes, résumées par le CEE (Dossier, p. 4361 à 4391) (Rapport, paragraphe 79) [TRADUCTION] :
- Le processus d’appel est une occasion de contester une décision qui a déjà été rendue. Si le décideur en première instance a refusé l’accès à des documents précis, le recours consiste à contester cette décision comme motif d’appel;
- Comme il est décrit au paragraphe 25(2) des CC (griefs et appels), la communication de documents supplémentaires à l’étape de l’appel n’est pas justifiée si elle a trait à des documents qui étaient disponibles ou pour lesquels des demandes de communication auraient pu être présentées au cours du processus décisionnel de première instance;
- Il incombe à l’appelant de démontrer pourquoi les renseignements n’ont pas été demandés pendant le processus disciplinaire;
- En l’espèce, bien que le RM ait initialement indiqué avant l’audience qu’il souhaitait [TRADUCTION] « que tous les documents pertinents soient communiqués », le dossier ne contient aucune indication que cette demande ait été maintenue ou soulevée de nouveau avant ou pendant l’audience. De plus, l’appelant n’a fourni aucune explication quant à la raison pour laquelle la demande qu’il présente maintenant pour certains éléments précis n’a pas été faite pendant le processus d’audience disciplinaire.
[55] Les parties ont eu l’occasion de présenter des observations supplémentaires sur la question de la communication après la décision de l’arbitre sur la question accessoire. Cependant, aucune des parties n’a présenté d’observations, mais l’appelant a mentionné qu’il [TRADUCTION] « se contente de s’appuyer sur ses observations antérieures quant au fond » (Dossier, p. 4407 et 4479).
[56] Le CEE a souligné que, dans sa réponse au BCGA, l’appelant a joint des copies de ses observations sur le fond datées du 10 février 2017, qui traitent de la communication, et il a également joint des copies de ses observations sur la question accessoire de la communication (Dossier, p. 4422-4434) (Rapport, paragraphe 80).
[57] L’appelant a également joint une copie de sa réplique sur le fond (Dossier, p. 4469 à 4474), qui traite de la question de la communication.
D. Analyse du CEE
[58] Le CEE a conclu que ce motif d’appel doit être rejeté (Rapport, paragraphe 81).
[59] Le CEE a désigné l’alinéa 25(2)b) des CC (griefs et appels) comme la disposition habilitante relative à ce motif, selon laquelle un appelant dans le cadre d’un appel disciplinaire ne peut inclure de nouveaux renseignements dans des observations écrites qui étaient ou auraient pu être connus au moment où la décision initiale a été rendue (Rapport, paragraphe 82) :
(1) Le BCGA accorde à l’appelant la possibilité de déposer des observations écrites et d’autres documents à l’appui de son appel.
(2) L’appelant ne peut :
a) déposer un document qui n’a pas été fourni à l’auteur de la décision qui fait l’objet de l’appel si le document était à la disposition de l’appelant au moment où la décision a été rendue;
b) inclure dans ses observations écrites tout nouveau renseignement qui était connu ou aurait pu raisonnablement être connu de l’appelant au moment où la décision a été rendue.
[60] Le CEE met en évidence le rapport du CEE no C-2015-015 (C-025) dans lequel il est question de l’alinéa 40(2)b) des CC (griefs et appels), qui, pour le moment, est le même que l’alinéa 25(2)b). Ce rapport explique pourquoi la terminologie utilisée dans ces dispositions interdit les arguments en appel qui n’ont pas été présentés devant le décideur de première instance (C-025, paragraphe 103) (Rapport, paragraphe 83) [TRADUCTION] :
À mon avis, l’expression « tout nouveau renseignement » comprend de nouveaux arguments qui auraient pu être présentés au décideur de première instance. L’utilisation de ce terme général à l’alinéa 40(2)b) reflète l’intention d’interdire la production de nouveaux arguments dans le cadre de l’appel qui auraient pu être présentés au décideur de première instance. Cette interprétation de l’alinéa 40(2)b) est conforme au principe général selon lequel les organes d’appel ne devraient pas entendre de nouveaux arguments. Autrement, cela porterait préjudice à la partie adverse en la privant de la possibilité de répondre au nouvel argument au premier palier de décision (p. ex. voir R. c Warsing, [1998] 3 RCS 579). De plus, cela priverait le décideur de première instance d’un ensemble complet d’arguments contradictoires à évaluer d’emblée et à examiner. En plus de la jurisprudence importante à l’appui dans le contexte criminel, le principe général selon lequel de nouveaux arguments ne devraient pas être présentés en appel a également été énoncé dans divers contextes civils (voir Kaiman c. Graham [2009] O.J. no 324 [C.A.] (Kaiman) au paragraphe 18, ainsi que Catholic Children’s Aid Society of Hamilton c. C.R. [2009] O.J. no 2778 (Cour div.) (C.R.), aux paragraphes 19 à 21, où la Cour divisionnaire a refusé d’examiner un argument constitutionnel soulevé pour la première fois en appel).
[61] Bien que l’appelant affirme que le RM a demandé la communication de [TRADUCTION] « tous les documents potentiellement pertinents » avant l’audience, cette affirmation n’est pas étayée par le Dossier (Dossier, p. 4198).
[62] Le CEE a reconnu que le RM avait initialement avisé le Comité le 17 septembre 2015 qu’il souhaitait peut-être présenter une demande pour obtenir [TRADUCTION] « une liste de documents recueillis dans le cadre de l’enquête, mais qui n’ont pas été communiqués » (Dossier, p. 4141), rien n’indique qu’une demande aussi générale ait finalement été présentée (Rapport, paragraphe 84).
[63] Le RAD avait répondu le 18 septembre 2015 qu’il attendrait que le RM présente sa demande pour obtenir une liste de documents en suspens avant de prendre position sur la question. Le Comité ne s’est jamais prononcé sur une telle question parce qu’aucune demande n’a suivi (Rapport, paragraphe 84).
[64] Selon le CEE, ce qui est clair, c’est que le RM a demandé une copie non caviardée du RAC, une demande à laquelle le RAD s’est opposé, ce qui a amené le Comité à rendre une décision en faveur de l’appelant lors de la conférence préparatoire du 9 novembre 2015 (Rapport, au paragraphe 85).
[65] Le Comité avait indiqué avant la conférence préparatoire que [TRADUCTION] « [l]es requêtes en suspens, je crois que nous n’avons que celle-ci, sur la divulgation », et avait confirmé que la question de divulgation soulevée par le RM concernait le RAC caviardé (Rapport, p. 4163) [TRADUCTION] :
Je veux trancher la question de la divulgation à ce moment-là. Seriez-vous en mesure de me fournir le RAC en question, [RAD]? Il serait utile de connaître l’ampleur du caviardage afin que je puisse mieux comprendre les préoccupations du [RM].
[66] Le Comité a souligné qu’il avait ordonné la divulgation du RAC non caviardé dans son résumé de ce qui s’était passé à la conférence préparatoire du 9 novembre 2015 (Dossier, p. 4167). Cependant, le CEE souligne que le Comité n’a pas indiqué que d’autres questions de communication avaient été soulevées ou traitées (Rapport, paragraphe 86).
[67] Le CEE a conclu que les échanges de courriels entre le RAD et le RM, lesquels portent sur l’exactitude du résumé de la conférence préparatoire qu’a rédigé le Comité, ne mentionnent pas d’autres questions de communication ayant fait l’objet de discussions ou en attente d’être abordées à cette étape (correspondance préparatoire à l’audience, p. 1954-1957).
[68] Le CEE n’a vu aucune indication selon laquelle toute autre demande de documents potentiellement pertinents aurait été soumise au Comité aux fins de décision. Par conséquent, le CEE a conclu, tout comme l’arbitre d’appel en matière de déontologie, que l’appelant ne peut soulever cette question en appel et que, par conséquent, ce motif d’appel doit être rejeté (Rapport, paragraphe 87).
E. Analyse de la commissaire
[69] Je souscris au raisonnement du CEE et de l’arbitre d’appel en matière de déontologie. Bref, l’appelant ne peut soulever la question de la communication dont je suis saisie en appel.
[70] Néanmoins, j’ai l’intention de revenir sur quelques points mentionnés par le CEE. Premièrement, je souligne que je suis consciente que les tribunaux ont précisé à diverses occasions qu’il est parfaitement approprié de soulever un argument supplémentaire en appel qui n’a pas été soulevé au procès, si l’argument supplémentaire porte sur une question ou un motif qui a lui-même été soulevé au procès (R c. Vidulich, 1989 CarswellBC 110, au paragraphe 24 [Vidulich]). Toutefois, la question dont je suis saisie ne fait pas partie de ces situations.
[71] Deuxièmement, la décision de permettre à une partie de présenter des arguments supplémentaires qui n’ont pas déjà été soulevés relève d’un pouvoir discrétionnaire conféré à l’instance d’appel. En l’espèce, l’arbitre d’appel en matière de déontologie s’est déjà prononcé sur cette question et je ne suis pas disposée à infirmer cette décision, car je continue de me fonder sur l’équilibre des intérêts de la justice qui touchent les parties.
[72] Troisièmement, l’appelant aurait dû présenter sa défense lorsqu’il s’est retrouvé devant le Comité. S’il a décidé à ce moment-là, par tactique, stratégie, par erreur ou omission, ou même pour une autre raison, de ne pas faire valoir un moyen de défense à sa disposition, il doit se ranger derrière cette décision. L’appelant ne peut tout simplement pas s’attendre, s’il n’obtient pas gain de cause avec la défense qu’il a présentée, à ce qu’il puisse alors présenter une autre défense en appel et demander une nouvelle audience pour présenter la preuve relative à cette défense.
[73] Il y a très peu de circonstances exceptionnelles où l’équilibre des intérêts de la justice mène à la conclusion qu’une injustice a été commise. Dans de telles circonstances, un nouveau motif peut être admis lorsqu’il soulève une question de droit seule, plutôt que de présenter des éléments de preuve devant la Cour d’appel ou lors d’un nouveau procès (Vidulich, au paragraphe 27).
[74] Dans ce cas, j’admets l’alinéa 25(2)b) des CC (griefs et appels) :
Restriction
(2) L’appelant ne peut :
[…]
b) inclure dans ses observations écrites tout nouveau renseignement qui était connu ou aurait pu raisonnablement être connu de l’appelant au moment où la décision a été rendue.
[75] À titre de précision, je me reporte au critère de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse concernant la réception d’arguments pour la première fois en appel, comme il est énoncé dans Ross c. Ross (1999), 181 NSR (2d) 22 (NS CA). La Cour a souligné qu’un tel argument [TRADUCTION] « ne devrait être pris en considération que si la Cour d’appel est convaincue que la Cour a été saisie de tous les faits nécessaires pour aborder le point, au même titre que si la question avait été soulevée au procès » (au paragraphe 34). La justification du principe est la suivante : il est injuste de permettre un nouvel argument en appel à l’égard duquel des éléments de preuve auraient pu être présentés au procès s’il avait été su que cet argument serait soulevé [« Tasmania » (The) c. Smith (1890), 15 App Cas 223 (UK HL) à la p. 225; Homburg c. S-Marque Inc. (1999), 176 NSR (2d) 218 (NS CA); O’Bryan c. O’Bryan (1997), 97 BCAC 62 (BC CA)].
[76] Par conséquent, je rejette ce motif d’appel.
2. Le Comité a-t-il indûment refusé d’exiger qu’un enquêteur, le serg. G, témoigne à l’audience?
A. Observation de l’Appelant
[77] Le CEE a résumé les observations de l’appelant (Dossier, p. 4034-4035) en soulignant que l’appelant affirme ce qui suit (Rapport, paragraphe 91) [TRADUCTION] :
- Le Comité a exprimé de graves préoccupations au sujet des méthodes d’enquête du serg. G et, selon l’appelant, a refusé de lui permettre de témoigner.
- De l’avis de l’appelant, les décisions et les actions du serg. G à titre d’enquêteur principal « établissent le fondement de la preuve » pour l’enquête. Sans son témoignage, vérifié en contre-interrogatoire, la crédibilité de l’enquête et de l’audience disciplinaire a été irrémédiablement compromise, et le droit de l’appelant à une audience équitable a été « diminué ».
- La décision du Comité de « d’éviter concrètement au serg. G […] un contre-interrogatoire très désagréable » soulève une crainte raisonnable de partialité à l’égard du Comité (Dossier, p. 4036).
[78] Le CEE a résumé la réplique de l’appelant du 31 juillet 2017 (Dossier, p. 4291), dans laquelle l’appelant soutient ceci (Rapport, paragraphe 92) [TRADUCTION] :
- La décision du Comité de ne pas obliger le serg. G à témoigner a porté atteinte au droit de l’appelant à une audience équitable et vient vicier la décision du Comité. La convocation du serg. G avait pour but d’exposer toute l’étendue des techniques d’enquête inappropriées qui ont entaché, mélangé et remodelé les récits des témoins des prétendus événements. Le refus du Comité de permettre au serg. G de témoigner équivalait à une suppression d’éléments de preuve.
B. Observations de l’intimé
[79] Le CEE a résumé la réponse de l’intimé (Dossier, p. 4227 et 4228) (Rapport, paragraphe 93) [TRADUCTION] :
- Le RM n’a pas soulevé de question concernant son droit d’interroger des témoins à l’audience. Ni le serg. G ni le serg. P (un autre enquêteur) ne figuraient sur les listes de témoins du RAD ou du RM. Le Dossier montre que le RM n’a soulevé aucune question concernant son droit d’interroger l’un ou l’autre des enquêteurs à l’audience.
C. Analyse du CEE
[80] Le CEE a déterminé que ce motif d’appel doit être rejeté (Rapport, paragraphe 94).
[81] Le CEE ne souscrit pas à l’affirmation de l’Appelant selon laquelle la façon dont le Comité a abordé l’éventuel témoignage du serg. G a porté atteinte au droit de l’appelant à une audience équitable. Le CEE souligne que, le deuxième jour de l’audience, le Comité a déclaré qu’il n’était pas enclin à obliger le serg. G à témoigner, et ajoute que le Comité l’a indiqué dans le contexte très précis d’une demande du RAD (Rapport, paragraphe 95).
[82] Le CEE a mis l’accent sur le fait que le RAD a suggéré que le serg. G témoigne de son comportement reproché – pendant les entrevues avec les témoins si, comme le dit le RAD, « le Comité [était] enclin à tirer des conclusions sur le comportement de [serg. G] » (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 320) (Rapport, paragraphe 95).
[83] Le CEE fait ensuite remarquer que le RM a eu l’occasion de prendre position sur la nécessité de convoquer le serg. G, mais qu’il ne l’a pas fait dans le cadre d’un interrogatoire direct ou d’un contre-interrogatoire (Rapport, paragraphe 96).
[84] De plus, le RM n’a à aucun moment manifesté le désir d’interroger ou de contre-interroger le serg. G. Le CEE a admis que la liste des témoins du RM, soumise au Comité avant l’audience du 4 septembre 2015, n’indiquait pas que le serg. G était un témoin potentiel (Dossier, p. 4139 et 4140). De plus, le résumé qu’a fait le Comité de la conférence préparatoire du 9 novembre 2015 n’a révélé aucune question en suspens concernant des témoins potentiels (Dossier, p. 4167). Le CEE explique qu’il en est ainsi malgré le fait que, le 6 novembre 2015, le Comité avait dit aux parties que les listes de témoins devraient être finalisées à la conférence préparatoire (Dossier, p. 4163).
[85] Enfin, le CEE a déterminé que lorsque le Comité a demandé au RM le nom des personnes qu’il avait l’intention d’appeler comme témoins au nom de l’appelant, il a répondu qu’il avait l’intention d’appeler seulement le témoin TA et l’appelant (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 401), ce qui ne laisse aucune indication dans le dossier que le RM a cherché à faire appeler le serg. G comme témoin, ou qu’il a soulevé le besoin de le contre-interroger pour présenter la cause de l’appelant (Rapport, p. 97).
[86] Le CEE a réitéré sa position pour le premier motif d’appel susmentionné, notamment qu’une partie à un appel disciplinaire ne peut inclure de nouveaux renseignements dans des observations écrites qui étaient ou auraient pu être connus au moment où la décision initiale a été rendue, y compris les nouveaux arguments qui auraient pu être présentés au décideur de la première instance (Rapport, paragraphe 98).
[87] Le CEE a déclaré que l’appelant ne peut pas présenter maintenant en appel l’argument selon lequel le Comité aurait dû lui donner l’occasion d’interroger le serg. G., particulièrement parce que cela n’a pas été soulevé par le RM devant le Comité (Rapport, paragraphe 98).
D. Analyse de la commissaire
[88] Je souscris à l’analyse du CEE.
[89] Le RM a eu l’occasion de demander et d’expliquer au Comité pourquoi le témoignage du serg. G était nécessaire à l’audience disciplinaire.
[90] Dans ses observations, l’appelant affirme que, des trois enquêteurs, un seul a témoigné [TRADUCTION] : « Des trois enquêteurs principaux, seul le sergent [B] a témoigné en personne. Ni le sergent [G] ni le sergent [P] n’ont témoigné lors de l’audience disciplinaire, malgré le fait que les trois étaient des enquêteurs principaux » (Dossier, p. 4034).
[91] À mon avis, l’allégation de l’appelant, selon laquelle le Comité a refusé de permettre au serg. G de témoigner ou qu’il avait délibérément l’intention de supprimer des éléments de preuve, constitue une mauvaise interprétation des événements qui se sont produits.
[92] Par ailleurs, le RAD a souligné au Comité que [TRADUCTION] : « [s]i le Comité est enclin à tirer des conclusions sur le gend. – ou le comportement du sergent [G] qui n’a pas été divulgué dans la preuve, ou dans la preuve documentaire, je dirais que le sergent [G] devrait avoir l’occasion de répondre ou d’être – de témoigner sur ce qu’il prétend être – ou son prétendu comportement. » (Dossier, p. 460).
[93] Le Comité n’a pas écarté ni ignoré la suggestion du RAD, mais s’est plutôt penché directement sur la question.
[TRADUCTION] « Nous en débattrons. Je m’attends à des arguments très musclés à ce sujet. Mais je – maintenant, je ne vois pas la nécessité d’appeler le sergent [G] […] le sergent [G] n’est pas celui qui – ce n’est pas une audience sur son comportement. […] ma principale préoccupation, en fait, ma seule préoccupation concerne les témoins qui ont été convoqués ici. Je veux dire, cette question, toute cette audience concerne la crédibilité des témoins. Et nous devrons les entendre. Et nous pouvons tirer nos propres conclusions sur leur crédibilité en fonction de tout ce que nous voyons et entendons (Dossier, p. 461-462).
[94] Le Comité a poursuivi en expliquant que, bien que les allégations 7 à 9 aient été retirées en raison du décès de la témoin E, il était tout de même disposé à tenir compte de la déclaration de cette témoin à la suggestion du RAD, selon qui cette déclaration démontre un comportement habituel de la part de l’appelant; ceci, indépendamment de l’« effet préjudiciable » des déclarations du serg. G. (Dossier, p. 463).
[95] Le Comité a clairement indiqué que l’on débattrait de l’évaluation de la crédibilité du témoin, plutôt que de déplacer le point de mire de l’audience de la crédibilité du témoin à une évaluation critique des méthodes d’enquête du serg. G (Dossier, p. 463).
[96] Le RAD n’a pas poussé davantage le Comité à cet égard, et les transcriptions montrent clairement un silence prolongé de la part du RM pendant ces discussions (Dossier, p. 460 à 464).
[97] Bien que je reconnaisse les répercussions que les méthodes d’enquête du serg. G ont pu avoir sur les témoins, je suis plutôt d’accord avec le raisonnement du Comité. La méthode utilisée par le serg. G pour recueillir la preuve auprès des témoins, qu’elle soit entachée ou non, n’est pas en cause en l’espèce, c’est plutôt la crédibilité de ces témoins et la preuve qu’ils ont fournie qui nous occupent.
[98] Je conclus que l’appelant ne peut pas maintenant, en appel, laisser entendre qu’il a subi un préjudice irréparable et que son droit à une audience équitable a été violé d’une façon ou d’une autre, alors qu’il n’a présenté aucune observation au moment où le RAD a abordé la question avec le Comité, ni inclus le serg. G dans sa liste de témoins.
[99] Enfin, l’appelant aurait pu exercer son droit prévu au paragraphe 18(1) des CC (déontologie) et ajouter le serg. G à la liste des témoins qu’il a présentée au Comité le 4 septembre 2015, s’il s’était vraiment senti lésé par l’enquête du serg. G et s’il avait voulu l’interroger (Dossier, p. 4139 et 4140) :
Liste des témoins
18(1) Dans les trente jours suivant la date de la signification de l’avis d’audience, les parties soumettent au comité de déontologie la liste des témoins qu’elles désirent faire comparaître devant lui et la liste des questions pour lesquelles elles voudront peut-être faire témoigner un expert.
Renseignements sur les témoins
(2) La liste des témoins est accompagnée :
a) des nom et adresse des témoins;
b) des motifs pour lesquels leur comparution est demandée;
c) d’un résumé de leur témoignage anticipé;
d) du moyen approprié qui permettra à chacun d’eux de rendre son témoignage.
Établissement de la liste des témoins
(3) Le comité établit la liste des témoins qu’il entend assigner, y compris l’expert visé par l’avis d’intention prévu au paragraphe 19(3), et peut demander des observations supplémentaires aux parties pour ce faire.
Liste des témoins
(4) Le comité remet aux parties la liste des témoins qu’il entendra et les raisons pour lesquelles il a accepté ou refusé d’entendre ceux figurant à la liste soumise par les parties.
3. Le Comité a-t-il omis de tenir compte des observations écrites de l’appelant présentées au cours des conclusions finales, et a-t-elle préjugé indûment de l’affaire avant de rendre une décision?
A. Observation de l’appelant
[100] Le CEE a résumé les deux préoccupations de l’appelant au sujet de ce motif (Rapport, paragraphe 108) [TRADUCTION] :
1) Le Comité n’a pas tenu compte de l’exposé des arguments et de ses pièces jointes;
2) Il existe une crainte raisonnable de partialité, car le Comité a préjugé de l’affaire avant d’entendre les observations.
[101] Le CEE a résumé les observations de l’appelant (Rapport, paragraphe 108) [TRADUCTION] :
- Observations de l’appelant sur le fond datées du 10 février 2017 (Dossier, p. 4036 à 4038) : L’appelant fait valoir que le Comité n’a pas tenu compte de l’exposé des arguments et de ses pièces jointes. L’appelant estime que c’est en raison de la période limitée de deux heures pendant laquelle le Comité a délibéré après avoir entendu les observations de vive voix et reçu ces documents. Il souligne que le Comité n’a fait aucune mention de ces éléments dans sa décision de vive voix.
- L’appelant affirme également que le dossier révèle une crainte raisonnable de partialité, en ce sens que le Comité a rendu une décision ou commencé à expliquer sa décision avant d’entendre les conclusions finales. À l’appui de cette affirmation, l’appelant fait référence aux commentaires susmentionnés formulés par le Comité selon lesquels ce dernier a travaillé et porté une attention passionnée à l’affaire tout au long de la semaine de l’audience, et, à la lecture de sa décision de vive voix, le Comité a fait observer que les parties « verront dans la décision écrite que j’effectue une analyse beaucoup plus complète que celle que je vais vous fournir maintenant ». À son avis, cela montre que le Comité « rédigeait ou formulait » sa décision avant le dernier jour de l’audience et qu’une décision écrite avait été préparée avant la période des conclusions définitives. L’appelant est d’avis que les commentaires et les actions du Comité démontrent « un effort en vue de conclure l’audience ce jour-là », au détriment de son droit à une audience équitable.
- Dans une réplique sur le fond datée du 31 juillet 2017 (Dossier, p. 4292), l’appelant soutient qu’il n’y a pas eu suffisamment de temps entre la présentation des conclusions définitives et le moment où le Comité a présenté ses motifs de vive voix pour que le Comité puisse examiner adéquatement la preuve et les arguments juridiques. De l’avis de l’appelant, les propres mots du Comité révèlent qu’il a tiré une conclusion avant d’entendre les conclusions définitives.
B. Observations de l’intimé
[102] Dans ses observations, l’intimé soutient que l’allégation de l’appelant selon laquelle le Comité n’a pas tenu compte de l’exposé des arguments est, au mieux, hypothétique (Dossier, p. 4230) (Rapport, paragraphe 109).
[103] L’intimé fait remarquer que le Comité a accepté le document de quatre pages dans le dossier de l’audience et qu’il a autorisé le RAD à prendre une courte pause pour examiner le document, après quoi le RAD a poursuivi sa plaidoirie et a répondu à des points précis énoncés dans le document (Rapport, paragraphe 109).
C. Analyse du CEE
[104] Le CEE recommande que ce motif d’appel soit rejeté.
[105] Le CEE a divisé ses motifs en deux sections fondées sur les prétendues violations par l’appelant de son droit à une audience équitable (Rapport, p. 110) [TRADUCTION] :
- Les décideurs ne doivent avoir aucun préjugé réel ou perçu et doivent garder l’esprit ouvert;
- Les parties doivent être autorisées à faire valoir leur cause, à fournir des éléments de preuve, à présenter des observations ainsi qu’à faire entendre leurs points de vue et à les faire examiner par un décideur (voir Guy Régimbald, Canadian Administrative Law, deuxième édition [Markham : LexisNexis Canada Inc., 2015], aux pages 297 et 381; Sarah Blake, Administrative Law in Canada, quatrième édition [Toronto : LexisNexis Canada Inc., 2017], p. 12).
[106] Le CEE a conclu que le Comité n’avait pas omis de tenir compte de l’exposé des arguments et de ses pièces jointes avant de rendre sa décision de vive voix sur les allégations, comme l’a laissé entendre l’appelant (Rapport, paragraphe 112).
[107] Le CEE a insisté sur la façon dont les éléments ont été présentés au Comité lors des plaidoiries orales. En effet, selon le CEE, cela montre que l’essentiel des préoccupations contenues dans les éléments écrits a été discuté oralement par les parties et a donc été porté à l’attention du Comité (Rapport, paragraphe 113).
[108] Le CEE a fait remarquer que le RM avait passé en revue, pour le Comité, les exemples figurant à l’annexe de l’exposé des arguments et avait expliqué en détail ses préoccupations au sujet de l’effet de la preuve entachée sur l’allégation 2, qui impliquait la témoin B (Rapport, paragraphe 113).
[109] Le CEE a ajouté que le RM avait dit qu’il ne se reporterait pas à la jurisprudence en pièce jointe contenant les quatre affaires mentionnées dans l’exposé des arguments (Rapport, paragraphe 113). Le Comité a par la suite acquiescé à la demande du RAD de prendre une pause de 10 minutes pour lire l’exposé des arguments du RM, qui décrit ce plan comme [TRADUCTION] « un bon plan ». Le Comité a ensuite entendu le RAD, qui a abordé les points soulevés par le RM.
[110] Le CEE a expliqué que, bien que le Comité ait tenu compte des préoccupations générales soulevées dans l’exposé des arguments, son annexe et la jurisprudence jointe à ses motifs de vive voix, il ne les a pas explicitement mentionnées (Rapport, au paragraphe 114). Cependant, le CEE a reconnu que le Comité a admis la préoccupation du RM concernant la façon dont certains témoins ont été interrogés, comme il est indiqué dans l’exposé des arguments (Rapport, paragraphe 114).
[111] Le Comité a expliqué que c’était l’une des principales raisons pour lesquelles il avait ordonné que des témoignages de vive voix soient obtenus des témoins. De plus, le Comité a expliqué avoir déterminé que l’enquête n’était pas biaisée au point où la preuve relative à la témoin B ne pouvait pas être acceptée, ce qui répondait au point central de l’exposé des arguments (Rapport, paragraphe 114).
[112] À l’appui de sa position, l’Appelant fait référence à l’arrêt Edmonton Police Association c. Edmonton (City of), 2007 ABCA 184 (CanLII) [Service de police d’Edmonton], un jugement de la Cour d’appel de l’Alberta. Le CEE a déterminé que cette situation diffère de celle de l’affaire Service de police d’Edmonton, où un comité d’examen médical avait omis d’examiner une lettre et les documents d’accompagnement présentés par l’agent de police dont le cas était examiné, parce que ces éléments n’avaient pas été transmis au comité (Service de police d’Edmonton, aux paragraphes 12 et 13) (Rapport, paragraphe 115).
[113] Le CEE a souligné qu’il ne fait aucun doute que l’exposé des arguments et ses pièces jointes ont été présentés au Comité et que ce dernier était au courant de ces documents (Rapport, paragraphe 115). De plus, le Comité a entendu de rigoureux arguments de vive voix de la part du RM et du RAD qui traitaient des questions soulevées dans l’exposé des arguments, et le RM lui a présenté les exemples de questions prétendument inappropriées figurant à l’annexe.
[114] Le CEE a également reconnu que le Comité avait eu une autre occasion d’examiner ces éléments et les quatre cas soumis par le RM au cours de la pause de 10 minutes prise par le RAD à cette fin, et qu’il aurait eu une autre occasion d’examiner ces éléments au cours de ses deux heures d’ajournement pour délibérer (Rapport, paragraphe 115).
[115] Le CEE a conclu que l’appelant n’a pas réussi à démontrer que le Comité avait omis de tenir compte de l’exposé des arguments et des pièces jointes connexes et l’avait privé d’une audience équitable (Rapport, paragraphe 116).
[116] En ce qui concerne l’affirmation de l’appelant selon laquelle il y avait une crainte raisonnable de partialité du fait que le Comité aurait supposément préjugé de l’affaire, le CEE s’est montrée en désaccord (Rapport, paragraphe 117).
[117] Le CEE a rejeté la position de l’appelant selon laquelle la conduite du Comité pendant l’audience soulevait une crainte raisonnable de partialité (Rapport, paragraphe 117).
[118] Le CEE a souligné que le point de départ de l’analyse de la crainte raisonnable de partialité est le principe selon lequel, en l’absence de preuve contraire, un décideur administratif est présumé agir de façon impartiale (Rapport, paragraphe 117).
[119] Dans le dossier du CEE no 2900-08-006 (D-123), le CEE a déjà examiné les préoccupations relatives au préjugé découlant d’une période de délibération relativement courte (Rapport, paragraphe 120).
[120] Dans le dossier D-123, le comité d’arbitrage a rendu une décision de vive voix le dernier jour de l’audience après un ajournement de près de trois heures.
[121] Le membre visé dans cette affaire a déclaré que le temps limité que le comité d’arbitrage a passé en délibération a soulevé une préoccupation selon laquelle le comité d’arbitrage avait préjugé des questions en litige et qu’il avait essentiellement rendu une décision avant la fin de l’audience.
[122] Le CEE reconnaît que le travail préparatoire, y compris le résumé des éléments de preuve et la dactylographie des notes, peut être effectué à mesure que l’audience avance, pourvu qu’un comité de déontologie garde l’esprit ouvert. Le CEE a déterminé qu’il était [TRADUCTION] « tout à fait possible » que le Comité ait soupesé la preuve, examiné les observations, tiré des conclusions et formulé des motifs de vive voix au cours de ses délibérations. Toutefois, les motifs de vive voix ont permis d’apprécier la preuve et les observations présentées devant le Comité (D-123, aux paragraphes 68 à 70; commissaire, aux paragraphes 23 à 29).
[123] Le CEE a admis les délibérations du Comité (Rapport, paragraphe 122), mais n’a pas été influencé pour appuyer les actions du Comité en présumant qu’il demeurait ouvert d’esprit et qu’il n’était pas prédisposé à un résultat particulier jusqu’à ce que les observations définitives aient été présentées et examinées (Rapport, paragraphe 122).
[124] Le CEE a fait référence aux exemples suivants pour appuyer la présomption selon laquelle le Comité est demeuré ouvert d’esprit tout au long de l’audience (Rapport, paragraphe 122) [TRADUCTION] :
- Le deuxième jour de l’audience, le Comité a indiqué qu’il prévoyait une « discussion très musclée » sur la mesure dans laquelle les témoins avaient pu neutraliser les techniques d’entrevue problématiques utilisées par les enquêteurs (Dossier, p. 451).
- Après avoir rejeté la motion de non-lieu du RM concernant l’allégation 5 le matin du dernier jour d’audience, le Comité a indiqué qu’il s’attendait néanmoins à « un argument beaucoup plus complet sur […] l’allégation elle-même dans vos observations, de vous deux » (Dossier, p. 1028).
- Le Comité a d’abord annoncé qu’il rendrait une décision de vive voix le dernier jour de l’audience en déclarant que « si les observations sont présentées, votre travail est terminé et le mien commence » (Dossier, p. 1155).
[125] Le CEE a examiné la préoccupation de l’appelant à la lumière d’une déclaration faite par le Comité dans sa décision rendue de vive voix, qui, à son avis, soulignait l’existence d’une décision préparée avant les conclusions définitives (Dossier, p. 1159) (Rapport, paragraphe 123) [TRADUCTION] :
J’estime que l’enquête n’a pas été biaisée au point où je ne peux pas accepter la preuve relative à la témoin B. J’ai plutôt intégré tout préjugé lié à l’enquête qui aurait pu être présent au cours de… – la prise des déclarations dans mon analyse de sa crédibilité à la barre des témoins. Et vous verrez dans la décision écrite que j’effectue une analyse beaucoup plus complète que celle que je vais vous fournir maintenant.
[Soulignement du CEE.]
[126] Le CEE a conclu que la déclaration doit être examinée à la lumière de son explication, au début de la décision rendue de vive voix, et que ses motifs seraient détaillés davantage dans une décision écrite subséquente (Dossier, p. 1156) [TRADUCTION] :
Avant de rendre ma décision de vive voix sur les six (6) allégations, je tiens à préciser que, bien que ma décision soit définitive et qu’elle entre en vigueur immédiatement au moment où elle sera prononcée aujourd’hui, je me réserve le droit d’étoffer mon raisonnement dans la décision écrite qui sera rendue en temps opportun.
[127] D’un point de vue contextuel, le CEE n’a pas jugé que la mention par le Comité d’une analyse plus approfondie de la « décision écrite » démontrerait l’existence d’une décision définitive antérieure à la fin de l’audience. Le CEE a conclu que la déclaration du Comité peut tout aussi facilement être interprétée comme signifiant que la décision écrite éventuelle contiendrait une analyse plus approfondie de la question pertinente (Rapport, paragraphe 125).
[128] Le CEE a conclu qu’une personne bien renseignée et raisonnable ne jugerait pas que les commentaires du Comité et le temps qu’il a passé à délibérer sont suffisants pour réfuter la présomption selon laquelle le Comité a agi de façon équitable (Rapport, paragraphe 126).
D. Analyse de la commissaire
[129] Je suis d’accord avec le CEE.
[130] Je conclus que l’appelant suppose que le Comité n’a pas tenu compte de l’exposé des arguments et des pièces jointes connexes. Il fonde cette hypothèse sur les délibérations de deux heures du Comité après les conclusions finales, et sur le fait que le Comité n’a fait aucune mention de ces éléments au cours de la décision rendue de vive voix.
[131] Il convient de préciser qu’il n’est pas interdit au Comité de documenter et de préparer des notes de référence avant l’aboutissement de l’audience. Cela n’a pas d’incidence sur le droit de l’appelant à une audience équitable et ne constitue pas la preuve d’un manquement à ce droit.
[132] L’Appelant suppose qu’il n’y a pas eu suffisamment de temps entre les conclusions définitives et le retour du Comité pour rendre sa décision de vive voix.
[133] Si l’appelant était d’avis que son droit à une audience équitable avait été compromis par la courte durée des délibérations, il aurait pu soulever la question au retour du Comité.
[134] Par conséquent, j’admets qu’il est difficile pour l’appelant de présenter, en appel, un nouvel argument à la lumière du paragraphe 25(2) des CC (griefs et appels) :
Restriction
25(2) L’appelant ne peut :
a) déposer un document qui n’a pas été fourni à l’auteur de la décision qui fait l’objet de l’appel si le document était à la disposition de l’appelant au moment où la décision a été rendue;
b) inclure dans ses observations écrites tout nouveau renseignement qui était connu ou aurait pu raisonnablement être connu de l’appelant au moment où la décision a été rendue.
[135] Selon les transcriptions, l’exposé des arguments a été accepté comme partie intégrante du dossier par le Comité et comprenait quatre pages (Dossier, p. 1100 et 1101). Dès réception de l’exposé des arguments, le RAD a demandé une pause de 5 à 10 minutes pour l’examiner. Le Comité a accepté et suspendu la séance (Dossier, p. 1142). Après la pause, le RAC a répondu en détail à chacun des 15 paragraphes de l’exposé des arguments (Dossier, p. 1143 à 1154).
[136] Il est donc clair que les éléments supplémentaires, notamment l’exposé des arguments et les pièces jointes, ont effectivement été examinés au cours de l’audience.
[137] Je suis d’avis que le Comité était le mieux placé pour déterminer si une période de deux heures était suffisante pour formuler et finaliser sa décision. À moins de preuve du contraire, l’examen des éléments m’a amené à conclure que le Comité a fait preuve d’ouverture d’esprit, a appuyé sa décision et est demeuré tout à fait raisonnable tout au long du processus.
[138] J’ajouterais que dans des affaires antérieures comportant des faits similaires, notamment dans le dossier du CEE no 2900-08-006 (D-123), le CEE a souligné que la présomption de partialité est difficile à réfuter et que le fardeau d’établir une perception de partialité incombe à la partie qui en fait l’allégation (au paragraphe 59) (Rapport, paragraphe 117) [TRADUCTION] :
En l’absence de preuve contraire, on présume que les membres du tribunal administratif agissent de façon juste et impartiale. Le critère qui permet de conclure que la partialité est réelle ou perçue est exigeant. Plus précisément, il faut démontrer une probabilité réelle de partialité. Le fardeau de la preuve de partialité incombe à la partie qui en fait l’allégation [voir Zundel c. Citron, [2000] 4 CF 225 (CA)].
[139] Dans l’arrêt Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, au paragraphe 20, le critère applicable pour déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité a été confirmé par la CSC comme étant un critère pouvant être évalué par un observateur raisonnable :
20. Le critère applicable pour déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité n’est pas contesté et il a été formulé pour la première fois par notre Cour en ces termes :
… à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? [Référence omise.] (Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, à la p. 394, le juge de Grandpré (dissident))
[140] Le CEE a confirmé et identifié le critère comme étant un critère objectif visant à déterminer si une personne bien renseignée qui examine la question de façon réaliste et pratique, et qui a bien réfléchi à la question, conclurait qu’il y a une probabilité de partialité (Rapport, paragraphe 119).
[141] Je suis d’accord avec le CEE et j’ajouterais que dans R c. S (RD), [1997] 3 RCS 484, la CSC a réitéré que le critère à appliquer lorsqu’il est déclaré qu’un juge n’est pas impartial consiste à « se demander si la conduite particulière suscite une crainte raisonnable de partialité ». [aux p. 389 et 589]
… la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. »
[142] Je ne considère pas comme problématique le fait que le Comité ait indiqué, avant de délibérer, qu’il avait travaillé et porté [TRADUCTION] « une attention passionnée à l’affaire tout au long de la semaine » (Dossier, p. 1155).
[143] Enfin, je note que la Commission n’a pas rendu de décision écrite complète, mais plutôt une décision de vive voix plus courte tout en expliquant qu’un étoffement et des détails supplémentaires s’ensuivraient : « Et vous verrez dans la décision écrite que je procède à une analyse beaucoup plus complète que ce que je vais vous fournir maintenant » (Dossier, p. 1159).
[144] Je n’accepte pas l’interprétation de l’appelant selon laquelle les propos du Comité, à savoir [TRADUCTION] « “vous verrez” » font référence à une décision préparée par le Comité de déontologie avant les conclusions définitives et avant l’examen des observations du RM sur les enquêtes inappropriées » (Dossier, p. 4037). Je considère qu’il s’agit d’une explication du Comité, à l’intention des parties, pour préciser que la décision rendue de vive voix est un résumé de délibérations exhaustives et de l’analyse approfondie qui seraient présentées plus en détail dans la décision écrite.
[145] Ce raisonnement est conforme au travail préparatoire reconnu dans le dossier D-123, dans la mesure où le Comité a fait preuve d’une ouverture d’esprit dont je ne doute pas.
[146] En résumé, je suis d’accord avec le CEE. L’appelant ne m’a pas convaincue qu’une personne raisonnable confrontée à ces faits conclurait que le temps de délibération, ou les commentaires du Comité, a créé une crainte raisonnable de partialité.
4. Le Comité a-t-il commis une erreur en sollicitant la comparution de témoins pour compenser la preuve entachée?
A. Observation de l’appelant
[147] Le CEE a résumé la position de l’appelant (Rapport, paragraphe 135) [TRADUCTION] :
- Dans ses observations sur le fond datées du 10 février 2017, l’appelant fait référence aux préoccupations exprimées par le Comité au sujet de la façon dont les entrevues des témoins ont été menées. De l’avis de l’appelant, le Comité a commis une erreur en tentant de « nettoyer les éléments de preuve irrémédiablement entachés » en obtenant de nouveaux éléments de preuve auprès des témoins. Leurs souvenirs ont été irrémédiablement affectés par la façon dont l’enquête a eu lieu (Dossier, p. 4035 et 4036).
- L’appelant soutient que le caractère entaché de la preuve a des conséquences irrémédiables pour l’audience. Il est difficile pour un témoin d’éviter cette contamination. De tels éléments de preuve auraient dû être exclus au début de l’audience. Le Comité avait lu les déclarations des témoins à l’avance et aurait dû reconnaître que le fait de permettre aux témoins de se présenter à la barre porterait atteinte de façon irréparable au droit de l’appelant à une audience équitable. L’appelant laisse entendre qu’il serait « difficile pour quiconque autre qu’un juge de première instance d’expérience de lire ces déclarations, puis de rétablir ses pensées à la suite de l’effet déroutant des arguments entachés ».
- Dans une réplique sur le fond datée du 31 juillet 2017 (Dossier, p. 4289 à 4291), l’appelant soutient que le Comité a commis une erreur en présumant qu’il pourrait éliminer l’effet de la preuve entachée en entendant la preuve de vive voix.
B. Observations de l’intimé
[148] En réponse, l’intimé (Dossier, p. 4221 à 4235) fait remarquer que le Comité s’est expressément penché sur la façon dont la crédibilité des témoins devait être évaluée à la lumière des éléments « troublants » de l’enquête interne et que le RM avait la possibilité de contre-interroger chaque témoin.
[149] L’appelant soutient également en appel que les éléments de preuve entachés devraient être exclus de l’examen au titre des paragraphes 24(1) et (2) de la Charte canadienne des droits et libertés, 1982, ch. 11 (Dossier, p. 4038 à 4041).
[150] Quoi qu’il en soit, cet argument n’a pas été présenté au Comité. Conformément à son analyse précédente au sujet de l’alinéa 25(2)b) des CC (griefs et appels), le CEE n’a pas tenu compte de cet élément des arguments de l’appelant en appel (Rapport, paragraphe 137).
C. Analyse du CEE
[151] Le CEE a conclu que ce motif d’appel doit être rejeté (Rapport, paragraphe 138).
[152] D’après sa compréhension de la position de l’Appelant en appel, le CEE a conclu que ce dernier conteste la façon dont le Comité a choisi de traiter les préoccupations du RM relativement à l’entrevue des témoins (Rapport, paragraphe 139).
[153] Le CEE a réitéré que l’appelant a contesté le fait que le Comité se fiait au témoignage de vive voix pour évaluer la capacité de chaque témoin à, comme l’a dit le Comité, [TRADUCTION] « surmonter toute forme d’influence négative de la part des enquêteurs » (Dossier, p. 4468) (Rapport, paragraphe 139).
[154] Le CEE a fait remarquer que certaines préoccupations soulevées par l’appelant en appel concernent un témoin dont la preuve n’a pas été prise en compte par le Comité et à l’égard de laquelle les allégations ont été retirées (Rapport, paragraphe 140).
[155] Essentiellement, l’appelant fait référence à la préoccupation exprimée par le Comité au cours de la deuxième journée de l’audience au sujet de quelque chose qui aurait pu être dit à la témoin E. Le Comité a reconnu à ce moment-là que, selon un « Rapport Tâche et mesure prise » rédigé par le serg. P, la témoin E avait déclaré qu’un enquêteur, le serg. G, lui avait dit que l’appelant [TRADUCTION] « avait violé six femmes » (Dossier, p. 452 à 454; 4036) (Rapport, paragraphe 140).
[156] Le CEE explique que le Comité a fait référence à un commentaire du serg. G pour expliquer, en partie, pourquoi il n’était pas enclin à tenir compte des déclarations antérieures de la témoin E, étant donné qu’elle était décédée. Plus précisément, le Comité dit ce qui suit (dossier, p. 454) (Rapport, paragraphe 140) [TRADUCTION] :
Le fait que le serg. G l’en informe – ou je ne sais pas ce qu’il lui a dit. Mais quelle que soit son interprétation, je dirais qu’en l’absence de toute possibilité de lui parler de ce qui s’est réellement passé, son témoignage a été irrémédiablement entaché.
[157] Le CEE a reconnu que le Comité a fait référence à la preuve de la témoin E comme ayant été [TRADUCTION] « irrémédiablement entachée » dans ce contexte très précis (Dossier, p. 454), affirmation à laquelle l’appelant a accordé un poids important dans ses observations relatives à l’appel (Dossier, p. 4035 et 4036). Cependant, le CEE a reconnu que le dossier indique que le Comité n’a pas tenu compte des déclarations antérieures de la témoin E pour trancher les allégations.
[158] Lors de l’audience, le Comité a entendu que les préoccupations du RM tournaient principalement autour des témoins B et C. Le CEE était en désaccord avec l’affirmation selon laquelle le Comité a erré en s’appuyant sur des témoignages de vive voix pour évaluer la crédibilité de ces témoins à la lumière de ce que les enquêteurs leur avaient dit. De plus, le CEE a rejeté la notion selon laquelle l’appelant a été privé d’une audience équitable en raison de la façon dont le Comité a traité les préoccupations du RM (Rapport, paragraphe 142).
[159] Une explication détaillée de l’influence sur les témoins est abordée dans JH c. Windsor Police Services Board et al., 2017 ONSC 6507 (au paragraphe 41), où la Cour a déterminé que la question demeure une question de pondération.
[160] Le CEE a réitéré que le RM avait eu pleinement l’occasion de contre-interroger les témoins au sujet de leur témoignage à l’audience et que le RM avait contre-interrogé en profondeur le serg. B, l’enquêteur qui a interrogé les témoins B et SB, et dont les entrevues étaient au cœur des préoccupations du RM à l’audience (Rapport, paragraphe 142).
[161] En ce qui concerne l’incidence de préjudice dans son analyse de la crédibilité, le CEE a déterminé que l’approche du Comité à cet égard était appropriée (Rapport, paragraphe 143).
[162] Les questions posées par le RM à la témoin B et à la témoin C, qui portaient sur certains des éléments centraux de la preuve entachée, ont fourni des renseignements pertinents au Comité sur l’évaluation de la crédibilité.
[163] Par exemple, le CEE a noté que le RM a interrogé la témoin B pour savoir si elle avait discuté de la réputation de l’appelant avec le serg. B (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 589 et 590). Le RM a également interrogé la témoin C au sujet de son témoignage selon lequel un agent de police lui aurait dit que l’appelant avait [TRADUCTION] « arrêté et fait le profil » de quatre autres femmes (Dossier, p. 1433). De plus, le Comité a observé le contre-interrogatoire par le RM et le réinterrogatoire par le RAD du serg. B au sujet de ses entrevues des témoins B et SB relativement à l’allégation 2 (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 486 à 538). La façon dont le serg. B a interrogé les deux témoins, y compris les questions précises qui préoccupaient le RM, a été examinée en profondeur dans ce témoignage (Rapport, paragraphe 146).
[164] Le CEE était convaincu que les motifs écrits du Comité démontraient une connaissance des préoccupations soulevées par le RM au sujet du caractère entaché de la preuve, et il a résumé les principaux éléments des observations du RM sur la preuve entachée (Dossier, p. 27) (Rapport, paragraphe 147) [TRADUCTION] :
Le RM a soutenu que la façon biaisée, injuste et incompétente dont l’enquête du membre visé a été menée l’empêchait d’obtenir une audience équitable. On ne peut pas se fier au rapport d’enquête en raison de la façon inappropriée dont les entrevues des témoins ont été menées. Les enquêteurs du Groupe des normes professionnelles, en interrogeant les témoins, ont discuté de la mauvaise réputation du membre visé et ont propagé des rumeurs et des allusions à son sujet. On a utilisé le mot « prédateur ». Dans certains cas, non seulement les interrogateurs dirigeaient les témoins, mais ils mettaient des mots dans leur bouche. Ils disaient essentiellement aux témoins que « tout le monde croit que cela s’est produit ». C’était une chasse aux sorcières, pas une enquête. Les témoins étaient « alimentés » par l’information d’autres témoins. Par exemple, [la témoin C], dans son témoignage, se souvient d’avoir été informée que l’enquête du membre visé comprenait des plaintes de cinq autres femmes. […]
[165] Le CEE fait remarquer que le Comité est conscient des préoccupations du RM. Le Comité était au courant de l’appréhension du RM en ce qui a trait précisément à l’allégation 2, qui mettait en jeu la témoin B. Ces préoccupations ont été résumées par le Comité (Dossier, p. 28) [TRADUCTION] :
En ce qui concerne l’allégation 2 concernant [témoin B], l’enquête est si problématique que toute cette allégation devrait être rejetée pour cette seule raison. [Témoin B] ne s’est pas plainte; le sujet a été amené par quelqu’un d’autre, que les enquêteurs ont entaché en présentant le membre visé comme un prédateur. Au moment où [témoin B] est interrogée, [témoin B] parle de la même façon que les enquêteurs, affirmant que le membre visé est un « prédateur ».
[166] Le CEE a souligné que le Comité avait expliqué dans ses motifs écrits comment il avait abordé la question de la preuve entachée. Tout en reconnaissant certaines des préoccupations du RM au sujet de la façon dont les entrevues avaient été menées, le Comité a néanmoins expliqué que sa capacité de regarder chaque témoin témoigner lui avait permis d’évaluer tout effet négatif que les enquêteurs auraient pu avoir (Dossier, p. 31) (Rapport, paragraphe 149) [TRADUCTION] :
En ce qui concerne la façon dont l’enquête interne a été menée et la façon dont les témoins ont été abordés et interrogés, je suis en partie d’accord avec le RM. Il est inacceptable d’« alimenter » certains témoins en leur fournissant des renseignements obtenus d’autres témoins.
Le RM a signalé à juste titre plusieurs cas de conduite inappropriée de la part de l’interrogateur dans les transcriptions des déclarations. L’emploi du mot « prédateur », par exemple, crée une impression dans l’esprit du témoin et peut influencer sa perception des événements. Cette pratique est dangereuse.
Ma principale préoccupation, que j’ai exprimée au cours de l’audience, était la tendance des enquêteurs internes à informer les témoins de l’existence d’autres plaintes contre le membre visé. [Témoin E], qui est malheureusement décédée quelques semaines seulement avant le début de l’audience, a apparemment déclaré que « l’agent qui l’a interrogée lui avait dit que [membre visé] avait violé six femmes ». Dans son témoignage, [témoin C] a mentionné avoir été informée par la policière qui l’a interrogée qu’elle n’était pas la seule, que le membre visé avait « arrêté et fait le profil » d’autres filles; « en fait, elle était la cinquième ».
L’une des raisons pour lesquelles j’ai convoqué les témoins à comparaître et à témoigner de vive voix devant moi, c’était pour me donner l’occasion d’évaluer dans quelle mesure les témoins ont pu surmonter les effets négatifs que les enquêteurs internes ont pu avoir […].
[167] Le CEE a conclu que les motifs du Comité démontraient qu’il était aux prises avec des questions de crédibilité à la lumière de la preuve et des observations (Rapport, paragraphe 151).
[168] Le CEE a mis en évidence certains témoignages de témoins dont le Comité a traité dans sa décision. Par exemple, en ce qui concerne l’allégation 2, le Comité a examiné les versions contradictoires des événements fournies par la témoin B, qui a déclaré que l’appelant et elle avaient eu des relations sexuelles, et par l’appelant, qui a nié ces relations. Le Comité a expliqué qu’elle avait préféré le témoignage de la témoin B à celui de l’appelant, non seulement en raison de la [TRADUCTION] « fermeté avec laquelle elle a livré son témoignage » (Dossier, p. 33), mais aussi parce que sa version des faits [TRADUCTION] « semblait authentique » (Dossier, p. 33). Sur ce dernier point, le Comité a souligné que la témoin B se rappelait de détails intimes de la relation sexuelle. Le Comité a également expliqué pourquoi le fait que la témoin B ne se souvenait pas de certains détails de la rencontre, ou qu’il y avait des divergences dans son témoignage, ne l’avait pas convaincu qu’elle avait inventé son histoire (Rapport, 151).
[169] Enfin, le Comité a ajouté que la témoin B avait été franche lorsqu’elle a expliqué son état médical et psychologique, tant au moment de la rencontre qu’au moment de sa comparution devant le Comité (Dossier, p. 33) (Rapport, paragraphe 151).
[170] En ce qui concerne les allégations 3 et 4, le CEE a noté que le Comité avait expliqué en détail pourquoi il avait trouvé la témoin C crédible. Le Comité a fait référence à la cohérence entre son témoignage et ce qu’elle avait raconté à d’autres personnes. De plus, le Comité a abordé directement les défis cognitifs de la témoin C en notant la franchise avec laquelle elle a livré son témoignage. Le Comité a déclaré que la témoin C avait été [TRADUCTION] « candide et qu’elle avait fait preuve de beaucoup d’ouverture lors du contre-interrogatoire au sujet des divers aspects de la rencontre […] et des choses qui lui avaient été dites par les enquêteurs internes » (Dossier, p. 34). Le Comité a reconnu qu’il était [TRADUCTION] « quelque peu étrange » que la témoin C, qui a déclaré que [TRADUCTION] « les policiers la terrifient » (Dossier, p. 34), ait quand même demandé à l’appelant si elle pouvait monter dans son véhicule. Toutefois, étant donné que l’appelant a admis qu’il a peut-être fait un commentaire [TRADUCTION] « d’une vague similitude, à tout le moins » (Dossier, p. 34) à ce que la témoin C a déclaré au sujet des [TRADUCTION] « personnes nues » (Dossier, p. 34 à 35), le Comité était convaincu de la sincérité de la témoin C quant à ce qu’elle croyait avoir entendu de l’appelant (Dossier, p. 34) (Rapport, paragraphe 152).
[171] En conclusion, le CEE a déterminé que les motifs du Comité montrent qu’il était très sensible aux préoccupations du RM au sujet du « caractère entaché » de la preuve et à la question générale de la crédibilité des témoins B et C (Rapport, paragraphe 153).
[172] De plus, le CEE a insisté sur le fait que le processus par lequel le Comité a évalué ces préoccupations était équitable, surtout compte tenu de la possibilité pour l’appelant d’opter pour le contre-interrogatoire (Rapport, paragraphe 153).
[173] Le CEE déclare qu’il ne m’appartient pas, en appel, de demander si le Comité a commis une erreur en remplissant simplement la fonction qui lui a été confiée (CEE no 2500-05-005 [D-103], au paragraphe 42) (Rapport, paragraphe 153).
[174] Le CEE a conclu qu’il n’y avait aucune raison d’intervenir pour ce motif, particulièrement compte tenu de la déférence à l’égard des conclusions relatives à la crédibilité, conjointement avec la ligne d’analyse rationnelle et défendable du Comité, qui ont tous démontré sans équivoque que le Comité était effectivement aux prises avec des questions pertinentes concernant la crédibilité (Rapport, paragraphe 153).
D. Analyse de la commissaire
[175] Je souscris à l’analyse du CEE.
[176] Dans sa conclusion, le RM a soutenu que la façon dont l’enquête avait été menée avait entaché la perception des témoins. Il a présenté l’exposé des arguments et une annexe faisant référence à des passages des entrevues des témoins B et SB relativement à l’allégation 2.
[177] Le RM a déclaré que ces passages révélaient des questions problématiques de la part du serg. B, par suite de son utilisation de questions suggestives, ce qui a fait en sorte que les témoins ont été « alimentés » de renseignements provenant d’autres témoins (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 955 à 960, 997; Éléments supplémentaires, p. 249 à 252, 681 à 687).
[178] Le RM a présenté au Comité certains des exemples de questions difficiles posées aux témoins, lesquelles figurent à l’annexe (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 955 à 959).
[179] Il a ajouté que les autres déclarations de témoins obtenues relativement à l’allégation 2, comme celle de SB, ne devraient pas non plus être prises en compte par le Comité, et que le fait de [TRADUCTION] « se fonder sur le résultat de l’enquête de quelque façon que ce soit dans le cadre de la présente instance équivaudrait à un manquement flagrant à la justice naturelle et à l’équité procédurale » (Éléments supplémentaires, p. 250 et 251; Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 955 à 959).
[180] Le RM a également laissé entendre que les « lacunes flagrantes » de l’enquête ont nui à la fiabilité et à la crédibilité de tout témoignage à l’appui de l’allégation 2, à un point tel que la capacité de contre-interroger ces témoins serait insuffisante pour « démêler les rumeurs et allusions des faits » (Éléments supplémentaires, p. 250).
[181] À son avis, ces lacunes étaient suffisantes pour justifier le rejet intégral de l’allégation 2 ou pour nuire considérablement à la crédibilité de la témoin B (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 996 à 998). Il a exprimé une préoccupation semblable à l’égard des allégations 3 et 4, car un enquêteur avait dit à la témoin C que l’appelant s’était conduit de la même façon avec plusieurs autres femmes. Cela a soulevé une préoccupation selon laquelle la preuve de la témoin C avait été entachée, ce qui a nui à sa crédibilité (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 959 et 988).
[182] Dans la décision rendue de vive voix sur les allégations, le Comité a indiqué qu’il était conscient de la préoccupation du RM selon laquelle les entrevues avec les témoins avaient été problématiques, et qu’il partageait cette préoccupation à certains égards.
[183] C’est l’une des principales raisons pour lesquelles le Comité a ordonné l’obtention de témoignages de vive voix. Le Comité a également déclaré qu’il [TRADUCTION] « n’a pas conclu que l’enquête avait été biaisée au point de ne pas accepter » le témoignage de la témoin B (Dossier, p. 1159).
[184] Le Comité a expliqué que [TRADUCTION] « peu importe la partialité potentielle de l’enquête pendant la prise des déclarations », elle serait prise en compte dans son [TRADUCTION] « analyse de sa crédibilité à la barre des témoins » (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 1018 et 1019).
[185] Dans la décision écrite, le Comité a confirmé et étoffé son raisonnement sur ce point et a également expliqué plus en détail, en abordant chaque allégation, pourquoi elle avait trouvé crédible le témoignage de chaque témoin.
[186] Dans Mr. X c. British Columbia College of Teachers, [2004] BCSC 1593, aux paragraphes 50 à 59 [British Columbia College of Teachers], la Cour s’est penchée en détail sur la question de la preuve entachée. La Cour a déterminé que, dans le contexte des procédures disciplinaires professionnelles, il revient au juge des faits de prendre en considération, dans une évaluation de la crédibilité, les préoccupations selon lesquelles la preuve est entachée parce que, par exemple, les témoins ont lu les déclarations d’autres témoins avant de témoigner.
[187] Dans l’arrêt British Columbia College of Teachers, la Cour d’appel de l’Ontario a cité l’arrêt College of Physicians and Surgeons (Ontario) c. K (1987), 36 DLR (4th) 707, 59 OR (2d) 1 (Ont CA), aux pages 720 à 721, pour expliquer davantage les évaluations de la crédibilité [TRADUCTION] :
S’il y a possibilité de collusion, le juge des faits doit s’empresser de se demander si le témoignage des témoins a été fabriqué. Toutefois, ce n’est que si le juge des faits est convaincu qu’il y a une réelle possibilité d’une telle fabrication, ou que les faits sont tels que l’on pourrait raisonnablement en déduire une fabrication, que le témoignage d’un témoin, s’il est autrement admissible, ne peut être utilisé pour appuyer ou confirmer le témoignage d’un autre témoin.
[188] Conformément au paragraphe 33(1) des CC (griefs et appels), je dois déterminer si la décision du Comité est manifestement déraisonnable. Ce faisant, le Comité doit faire preuve de déférence à l’égard de ses conclusions sur la crédibilité, car il était le mieux placé pour effectuer cette évaluation (CEE no C-2020-021 (C-055), au paragraphe 119).
[189] Dans Elhatton c. Canada (Procureur général), 2013 CF 71, au paragraphe 47, la Cour fédérale a souligné, dans le contexte de mon rôle dans l’examen d’un appel disciplinaire, la grande déférence à accorder aux conclusions relatives à la crédibilité.
[190] Le Comité a défini ce qu’il a décrit comme un « cadre utile » pour l’analyse des questions de crédibilité, comme l’indiquent des extraits de précédents judiciaires dans Wallace c. Davis, [1926] 31 OWN 202 (Ont. HC); MacDermid c. Rice, (1939) 45 R de Jur 208; et Faryna c. Chorney, [1952] 2 DLR 354 (BCCA). Ces extraits soulignent divers éléments à prendre en considération pour évaluer la crédibilité des témoins. Il s’agissait notamment d’évaluer la [TRADUCTION] « capacité de résister à l’influence, souvent inconsciente, d’un intérêt à modifier son souvenir » et de soumettre son souvenir « à un examen de sa compatibilité avec les probabilités qui entourent les conditions actuelles » (Dossier, p. 30-31).
[191] Le Comité a examiné le critère dans chaque cas (Dossier, p. 30 et 31) [TRADUCTION] :
Le critère énoncé dans l’arrêt Wallace c. Davis se trouve à la page 203 :
[…] la crédibilité d’un témoin au sens propre ne dépend pas seulement de son honnêteté dans l’expression de son opinion. Elle dépend aussi de l’occasion qu’a eue le témoin d’observer la situation avec exactitude, de sa capacité d’observer avec précision, la fermeté de sa mémoire à conserver les faits observés, sa capacité
à résister aux influences, souvent inconscientes, des intérêts à modifier son souvenir, sa capacité à reproduire dans la barre des témoins les faits observés, sa capacité d’exprimer clairement ses idées […] tous ces éléments doivent être pris en considération lors de la détermination de l’effet à donner à la preuve d’un témoin.
Dans l’affaire MacDermid c. Rice, le juge Archambault a déclaré ce qui suit à la page 210 [TRADUCTION] :
[…] lorsque la preuve d’un fait important est contradictoire […] la Cour doit soupeser les motifs des témoins, leurs relations ou leurs amitiés avec les parties, leurs attitudes et leurs comportements dans la barre des témoins, la façon dont ils ont témoigné, la probabilité des faits assermentés, et en arriver à une conclusion concernant la version à prendre comme étant la vraie.
Dans l’arrêt Faryna c. Chorney, le critère suivant a été énoncé par la Cour à la page 357 [TRADUCTION] :
On ne peut évaluer la crédibilité d’un témoin intéressé, en particulier dans les cas de témoignages contradictoires, en se fondant exclusivement sur le point de savoir si son comportement personnel inspire la conviction qu’il dit la vérité. Il faut soumettre la version qu’il propose des faits à un examen raisonnable de sa compatibilité avec les probabilités afférentes à la situation considérée. Bref, le véritable critère applicable à la véridicité de la version du témoin dans un tel cas doit être sa conformité à la prépondérance des probabilités qu’une personne informée et douées de sens pratique estimerait d’emblée raisonnable dans le lieu et la situation en question.
[192] Le Comité a également souligné l’examen de la crédibilité et de la fiabilité des témoins effectué par la CSC dans l’arrêt FH c. McDougall, [2008] 3 RCS 41, au paragraphe 86, et leur pertinence par rapport aux procédures dont elle était saisie (Dossier, p. 31) :
[…] au civil, lorsque les témoignages sont contradictoires, le juge est appelé à se prononcer sur la véracité du fait allégué selon la prépondérance des probabilités. S’il tient compte de tous les éléments de preuve, sa conclusion que le témoignage d’une partie est crédible peut fort bien être décisive, ce témoignage étant incompatible avec celui de l’autre partie. Aussi, croire une partie suppose explicitement ou non que l’on ne croit pas l’autre sur le point important en litige. C’est particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, le demandeur formule des allégations que le défendeur nie en bloc.
[193] Pour conclure, le Comité était convaincu que les commentaires des enquêteurs n’avaient pas nui à la crédibilité ou à la fiabilité des témoins qui avaient témoigné (Dossier, p. 32) (Rapport, paragraphe 150) [TRADUCTION] :
[…] Je suis convaincu que chacun a fourni un compte rendu franc et honnête de ses interactions respectives avec le membre visé. Les choses que les enquêteurs internes ont pu leur dire au sujet du membre visé, y compris le fait que leurs plaintes n’étaient pas uniques, n’ont pas nui à leur crédibilité ni à leur fiabilité.
[194] Je suis d’accord avec le Comité et j’estime qu’aucune preuve n’indique que les commentaires de l’enquêteur ont affecté leur témoignage.
5. Le Comité s’est-il indûment appuyé sur le témoignage de la témoin E et sur le rapport Tâche et mesure prise du serg. P?
[195] Le CEE a réitéré que les trois allégations d’inconduite de l’appelant à l’égard de la témoin E ont été retirées par le RAD au début de l’audience en raison du décès de la témoin E (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 10 et 11).
[196] Cependant, le RAD a soutenu que l’on pourrait considérer la preuve documentaire contenue dans le dossier, décrivant les interactions de la témoin E avec l’appelant, comme laissant entendre que l’appelant avait eu un comportement récurrent avec plusieurs personnes (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 945 à 947). (Rapport, paragraphe 156).
[197] Le RM s’est opposé à ce point de vue et a plutôt soutenu que la témoin E avait été interrogée de façon problématique et que, par conséquent, il serait injuste pour l’appelant que le Comité tienne compte du témoignage non vérifié de la témoin E en raison de son incapacité à témoigner (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 969 et 970).
[198] L’appelant a exprimé en appel une préoccupation selon laquelle le Comité n’a jamais explicitement déclaré qu’il ne tenait pas compte de la preuve de faits similaires de la témoin E. Pour l’appelant, cela signifie que le Comité a peut-être tenu compte du témoignage de la témoin E concernant ses interactions avec l’appelant pour déterminer que les autres allégations avaient été établies (Dossier, p. 4290) [TRADUCTION] :
[…] le Comité de déontologie (CD) a permis au RAD de présenter ces observations, et le CD les a vraisemblablement prises en considération pour rendre sa décision. Le CD n’indique nulle part dans sa décision qu’il n’a pas tenu compte de la preuve de faits similaires sur laquelle le RAD s’est fondé dans ses conclusions définitives.
[199] Le CEE a expliqué que les précisions du Comité concernant son traitement de la preuve doivent être prises en compte dans le contexte du dossier, de la preuve et des observations en l’espèce (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 15, 18; Relations de travail dans la construction c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, au paragraphe 3; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, au paragraphe 103) (Rapport, au paragraphe 159).
[200] Lorsque le dossier est examiné dans son intégralité, rien n’indique que le Comité a tenu compte de la preuve relative à la témoin E au moment de trancher les allégations. En réalité, le Dossier indique le contraire. Le Comité a expressément indiqué au cours de l’audience qu’il n’avait pas pu évaluer de première main la mesure dans laquelle le témoin E pouvait contrer l’« effet préjudiciable » de son entrevue sur son témoignage (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 311 et 312; 322 et 323).
[201] Bien que le Comité ait indiqué qu’il continuerait d’entendre les parties sur ce point lors de la présentation des conclusions finales, la décision rendue de vive voix du Comité sur les allégations élimine tout doute quant à savoir si des éléments de preuve relatifs à la témoin E ont été utilisés (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 1019) [TRADUCTION] :
J’ai pu évaluer de première main la mesure dans laquelle les témoins ont pu surmonter la perception selon laquelle les enquêteurs internes pourraient avoir entaché leur témoignage. J’ai pu le faire pour chaque témoin clé, sauf pour [témoin E]. Pour cette raison, je n’intégrerai pas les renseignements qu’elle a fournis aux enquêteurs dans mes conclusions de fait concernant les allégations.
[202] Le CEE a estimé que les explications qu’a fournies le Comité de vive voix soient interprétées conjointement avec l’absence de mention dans ses motifs écrits du recours à la preuve de la témoin E à l’appui des allégations (Rapport, paragraphe 160). Le CEE explique ensuite que le dossier, lu dans son ensemble de pair avec la décision écrite du Comité, appuie une conclusion selon laquelle le Comité n’a pas tenu compte de la preuve de la témoin E pour trancher les allégations (Rapport, paragraphe 160).
[203] Une deuxième préoccupation soulevée par l’appelant au sujet de ce motif était l’utilisation par le Comité du rapport Tâche et mesure prise du serg. P.
[204] Le deuxième jour de l’audience, le Comité a fait référence à un rapport Tâche et mesure prise rédigé par le serg. P en date du 14 septembre 2015. Le Comité a fait remarquer que, selon le rapport Tâche et mesure prise, la témoin E a déclaré qu’un enquêteur, le serg. G, lui avait dit que l’appelant [TRADUCTION] « avait violé six femmes » (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 312 à 314).
[205] Le Comité établit un lien avec cette référence à un commentaire que le serg. G aurait fait, pour expliquer, en partie, pourquoi il hésitait à tenir compte des déclarations antérieures de la témoin E. Essentiellement, le Comité a expliqué qu’étant donné le décès de la témoin E, il ne serait pas à même d’évaluer la mesure dans laquelle la témoin E pourrait neutraliser l’effet préjudiciable de la méthode d’interrogation employée à son endroit.
[206] Le rapport Tâche et mesure prise ne figurait pas dans le dossier. Le CEE a obtenu une copie par l’entremise du BCGA, mais l’appelant s’est opposé à l’admissibilité de ce document en appel.
[207] Dans son objection du 16 juin 2021, l’appelant a déclaré que ce document ne lui avait pas été communiqué pendant les procédures disciplinaires. Toutefois, bien qu’il n’ait pas été admis en preuve, le document avait été examiné par le Comité. Par conséquent, l’appelant croyait que son droit à une audience équitable avait été compromis (Rapport, paragraphe 162).
[208] Dans des observations subséquentes, l’appelant a exposé en détail les motifs qui sous-tendent ses préoccupations, mais il n’a pas laissé entendre que le rapport Tâche et mesure prise n’avait pas été communiqué. Ses observations ont plutôt été résumées comme suit (Rapport, paragraphe 163) [TRADUCTION] :
- De l’avis de l’appelant, le RAD avait prétendu utiliser le rapport Tâche et mesure prise pour prouver que l’appelant avait fait preuve d’inconduite récurrente, et le RM s’est opposé à l’admissibilité du rapport Tâche et mesure prise comme « tentative détournée d’introduire des éléments de preuve de faits similaires ».
- Selon l’appelant, le rapport Tâche et mesure prise, qui équivalait à des ouï-dire inadmissibles, n’était en aucun cas pertinent à l’égard des faits en litige, puisque les allégations concernant la témoin E avaient été retirées par le RAD.
- Malgré les motifs du Comité évoquant le contraire, celui-ci n’a pas été en mesure de « rétablir suffisamment » sa pensée quant à l’information contenue dans le rapport Tâche et mesure prise. Le Comité s’est effectivement appuyé sur le rapport Tâche et mesure prise pour rendre sa décision. Cela est venu brimer le droit de l’appelant à une audience équitable.
[209] En réponse à l’objection de l’appelant, l’intimé déclare ce qui suit (Rapport, paragraphe 164) [TRADUCTION] :
- L’intimé est d’avis que le RM, au cours de l’audience, ne s’est jamais opposé à l’admissibilité du rapport Tâche et mesure prise.
- L’intimé souligne que le rapport Tâche et mesure prise « n’a été utilisé par le [Comité] que comme exemple de pratiques d’enquête pernicieuses » et que le Comité n’en a pas tenu compte dans ses conclusions sur les allégations. Le Comité a expressément écarté tous les éléments de preuve concernant la témoin E. Par conséquent, l’intimé conteste la suggestion de l’appelant selon laquelle son droit à une audience équitable a été compromis.
Analyse du CEE
[210] Le CEE a conclu que la façon dont le Comité s’est fondé sur le rapport Tâche et mesure prise ne privait pas l’appelant de son droit à une audience équitable (Rapport, paragraphe 165).
[211] Le CEE a fait remarquer qu’au cours de l’audience, le RAD a soutenu que la preuve documentaire décrivant les interactions de la témoin E avec l’appelant devrait être prise en compte pour inférer que l’appelant avait eu un comportement récurrent avec plusieurs personnes. Cela s’est produit malgré le fait que la témoin E était décédée et que les allégations la concernant avaient été retirées (Rapport, paragraphe 166).
[212] Le CEE a conclu que le Comité avait indiqué qu’il ne tiendrait pas compte des renseignements fournis par la témoin E aux enquêteurs pour trancher les allégations, parce que le Comité n’a pas été à même d’évaluer de première main la mesure dans laquelle la témoin E avait réussi à surmonter l’influence des enquêteurs, comme il a pu le faire pour les autres témoins (Rapport, paragraphe 166).
[213] Le CEE était convaincu que le Comité avait fait référence au rapport Tâche et mesure prise dans ce contexte et qu’il avait lu des parties du rapport textuellement, en mentionnant que le serg. G avait prétendument dit à la témoin E que l’appelant [TRADUCTION] « avait violé six (6) femmes » (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 312 et 313) (Rapport, paragraphe 167).
[214] Le CEE a en outre reconnu que le Comité a expressément fait part de sa préoccupation selon laquelle, compte tenu de l’incapacité de la témoin E de témoigner, il ne serait pas en mesure « d’évaluer la mesure dans laquelle elle a réussi à neutraliser l’effet préjudiciable de ce que [serg. G] a dit » (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 323) (Rapport, paragraphe 167).
[215] Le CEE a expliqué que si le RM avait eu quelque raison que ce soit de s’opposer à ce que le Comité s’appuie sur le rapport Tâche et mesure prise, par exemple parce qu’il avait l’impression que le Comité invoquait de l’information qui n’avait pas été communiquée, le RM aurait dû soulever le point à la première occasion (Rapport, paragraphe 168).
[216] Le CEE reconnaît que le Comité est conscient de la position du RM et qu’il la comprend bien. Par exemple, le Comité a indiqué dans ses motifs de vive voix que, parce qu’il n’avait pas été à même d’évaluer la mesure dans laquelle la témoin E avait réussi à surmonter les éléments troublants de l’enquête interne, il n’intégrerait pas l’information qu’elle a fournie aux enquêteurs dans ses conclusions de fait sur les allégations (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 1019).
[217] Le CEE a conclu que, dans la décision écrite, le Comité a mentionné que la témoin E aurait été informée que l’appelant avait [TRADUCTION] « violé six femmes », comme l’indique le rapport Tâche et mesure prise, afin de souligner ses préoccupations à l’égard de certains aspects de l’enquête (Rapport, paragraphe 170).
[218] Dans ce contexte, le CEE a conclu que ce passage ne soulève pas, comme le laisse entendre l’appelant, une préoccupation selon laquelle le Comité a été indûment influencé par le rapport Tâche et mesure prise pour évaluer les allégations contre l’appelant. Lorsqu’ils sont interprétés de façon globale, les motifs du Comité démontrent plutôt que ce dernier a compris la préoccupation soulevée par le RM à l’audience (Rapport, paragraphe 170).
[219] Il était clair pour le CEE que le Comité considérait que la preuve de la témoin E n’était pas fiable parce qu’elle ne pouvait pas être vérifiée et que le Comité ne l’a pas prise en considération pour tirer ses conclusions sur les allégations (Rapport, paragraphe 170).
ANALYSE DE LA COMMISSAIRE
[220] Je souscris à l’analyse du CEE et je serai brève.
[221] Il m’apparaît évident que le Comité a reconnu son incapacité à évaluer la témoin E, en raison de son décès imprévu, et à déterminer la mesure dans laquelle elle a pu ou non être influencée par l’enquête. Je suis convaincue que le Comité ne s’est pas appuyé sur la déclaration de la témoin E aux enquêteurs pour tirer des conclusions de fait sur les allégations.
[222] Dans Muskego c. Comité d’appel de la Nation crie de Norway House, 2011 CF 732, au paragraphe 42, la Cour fédérale a déclaré qu’une partie doit soulever une question d’équité procédurale à la première occasion. Cela étant dit, le RM n’a soulevé aucune préoccupation au sujet de la mention du rapport Tâche et mesure prise par le Comité pendant l’audience disciplinaire. Dans ses observations finales, il s’est plutôt appuyé sur le contenu du rapport Tâche et mesure prise pour étayer son argument selon lequel la preuve non vérifiée des interactions de la témoin E avec l’appelant ne devrait pas être invoquée pour corroborer les autres allégations, du fait qu’elle est entachée (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 969 à 970) [TRADUCTION] :
Encore une fois, et pour ce qui est du dernier point concernant [témoin E], nous ne pensons pas que – je veux dire, surtout lorsqu’elle dit qu’elle a été informée par un enquêteur, [serg. G], que [appelant] violait des femmes – encore une fois, je veux dire, je pense certainement que ce serait un cas de refus d’une audience équitable qui pourrait être invoqué – sur des preuves non vérifiées avec ce genre de préjudice.
[223] Dans sa décision écrite, le Comité a expressément fait référence au contenu du rapport Tâche et mesure prise et a répondu aux préoccupations concernant la façon dont l’enquête avait été menée (Dossier, p. 32) [TRADUCTION] :
Ma principale préoccupation, que j’ai exprimée au cours de l’audience, était la tendance des enquêteurs internes à informer les témoins de l’existence d’autres plaintes contre le membre visé. [Témoin E], qui est malheureusement décédée quelques semaines seulement avant le début de l’audience, a apparemment déclaré que « l’agent qui l’a interrogée lui avait dit que [membre visé] avait violé six femmes ». Dans son témoignage, [témoin C] a mentionné avoir été informée par la policière qui l’a interrogée qu’elle n’était pas la seule, que le membre visé avait « arrêté et fait le profil » d’autres filles; « en fait, elle était la cinquième ».
[224] Le Comité a expliqué que l’une des raisons pour lesquelles il a convoqué les témoins à comparaître et à témoigner de vive voix, c’était pour [TRADUCTION] « évaluer dans quelle mesure les témoins ont pu surmonter les effets négatifs que les enquêteurs internes ont pu avoir » (Dossier, p. 32).
[225] Le Comité a ensuite conclu ceci (Dossier, p. 32) [TRADUCTION] :
Dans chaque cas, je [Comité] suis convaincu que chaque [témoin] a présenté un compte rendu franc et honnête de ses interactions respectives avec le membre visé. Les choses que les enquêteurs internes ont pu leur dire au sujet du membre visé, y compris le fait que leurs plaintes n’étaient pas uniques, n’ont pas nui à leur crédibilité ni à leur fiabilité.
[226] À l’instar du CEE, je rejette ce motif parce que, à mon avis, le Comité est arrivé à une conclusion raisonnable fondée sur la preuve et s’est efforcé d’expliquer clairement comment il a évalué chaque témoin et les questions liées à la crédibilité ou à la fiabilité. Par conséquent, je suis convaincu que le Comité n’a pas indûment invoqué le témoignage de la témoin E, et je ne remets pas en question l’utilisation du rapport de tâche du serg. P.
6. La référence vague du Comité à la preuve indépendante corrobore-t-elle l’allégation 2?
ANALYSE DU CEE
[227] En concluant que l’allégation 2 est établie, le Comité a accepté le témoignage de la témoin B, selon lequel l’appelant et elle avaient eu des relations sexuelles, et qu’à une autre occasion, ils s’étaient étreints et embrassés sur sa galerie. Le Comité a souligné que la présence de l’appelant, le soir où ils se seraient étreints et embrassés, a été confirmée par ce qui a été suggéré comme preuve indépendante (Dossier, p. 33).
[228] L’appelant s’est demandé à quels éléments de preuve le Comité faisait référence lorsqu’il a écrit dans sa décision que des éléments de preuve indépendants confirmaient que l’appelant s’était rendu à la résidence de la témoin B le soir du présumé incident où ils se seraient étreints et embrassés (Dossier, p. 1251).
[229] Le CEE a laissé entendre que le Comité faisait peut-être référence au témoignage de MB, qui avait fourni une déclaration aux enquêteurs selon laquelle il avait vu la témoin B embrasser un policier en uniforme sur sa galerie. Le CEE reconnaît que ces éléments de preuve posaient problème (Rapport, paragraphe 172).
[230] De plus, MB a été appelé à témoigner à titre de témoin, mais il a refusé de répondre aux questions du RAD à l’audience; il a semblé au CEE qu’il avait refusé de prêter serment ou d’affirmer solennellement que son témoignage serait véridique (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 378 à 388) (Rapport, paragraphe 172).
[231] Le RAD a obtenu du Comité la permission de traiter MB comme un témoin hostile et de le contre-interroger sur sa déclaration antérieure (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 395 à 400) (Rapport, paragraphe 172).
[232] L’appelant a admis dans son témoignage qu’il se rappelait avoir visité la résidence de la témoin B en uniforme le soir pour obtenir des renseignements de sa part; que cela s’était produit dans le vestibule de sa résidence et sur la galerie; qu’elle lui avait demandé de la serrer dans ses bras et de l’embrasser, ce qu’il a accepté de bon cœur; et que le baiser était sur [TRADUCTION] « la joue ou les lèvres ou un peu entre les deux » (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 732, 764 à 766).
[233] Par conséquent, le CEE a conclu qu’à son avis, rien ne tournait autour de la question de la preuve indépendante (Rapport, paragraphe 173).
ANALYSE DE LA COMMISSAIRE
[234] Je suis en accord avec l’analyse du CEE.
[235] Je reconnais que la question de la preuve indépendante a d’abord été soulevée dans les observations de l’appelant en appel, soutenant qu’il ne connaît pas la source de cette preuve (Dossier, p. 4048).
[236] À ma connaissance, cependant, la question de la preuve indépendante corroborant la présence de l’appelant au domicile de la témoin B a été soulevée et a fait l’objet de discussions considérables à l’audience (Dossier, p. 1021, 1062, 1065 et 1071). Le Comité l’a également confirmé dans ses décisions (rendues de vive voix et par écrit) (Dossier, p. 72 et 73).
[237] Tout comme le CEE, je ne vois pas ce qu’il y a de nouveau dans cette preuve indépendante, étant donné que l’appelant a lui-même admis dans son témoignage qu’il était présent au domicile de la témoin B le soir en question, qu’il était debout dans son vestibule, qu’il la serrait dans ses bras et qu’il aurait tourné le visage pendant qu’elle essayait de l’embrasser (Dossier, p. 2604 à 2606).
7. Les conclusions du Comité tiennent-elles compte des renseignements qui n’ont pas été communiqués à l’appelant?
ANALYSE DU CEE
[238] En ce qui concerne l’allégation 1, l’appelant s’est dit quelque peu préoccupé par la conclusion du Comité relativement à l’interrogatoire de la témoin A par l’appelant après qu’elle lui a divulgué une agression sexuelle possible.
[239] De plus, le Comité n’a trouvé aucune raison de douter de la forte probabilité que le superviseur de l’appelant, le cap. R., ait demandé à l’appelant de faire un suivi auprès de la témoin A au sujet de la plainte d’agression sexuelle et que l’appelant n’avait pris aucune autre mesure (Dossier, p. 32 et 33). Lors du contre-interrogatoire du cap. R., on a cherché à savoir dans quelle mesure il avait fourni des conseils à l’appelant.
[240] En appel, l’appelant souligne précisément les conclusions suivantes du Comité (Dossier, p. 1251) [TRADUCTION] :
- Bien qu’il puisse être vrai que le degré de supervision documentée assuré par le cap. R n’a peut-être pas été ce à quoi on aurait pu s’attendre, les crimes majeurs comme les agressions sexuelles ne nécessitent pas d’instructions écrites explicites pour qu’un suivi soit fait;
- L’appelant savait ce qu’il devait faire.
[241] L’appelant soutient que ces conclusions mettent directement en cause la formation que la GRC lui a donnée, ainsi que les politiques et les procédures de la GRC en matière d’enquêtes et le degré de supervision qui lui a été accordé au cours de sa carrière. L’appelant semble affirmer que ces conclusions étaient injustes en l’absence d’une communication complète (Dossier, p. 1251) [TRADUCTION] :
[…] la présence ou l’absence de telles politiques et l’étendue de la supervision et de l’encadrement fournis à [appelant] au cours de sa carrière sont pertinentes et importantes pour les conclusions du Comité de déontologie; néanmoins, ces renseignements ne sont pas inclus dans les documents fournis aux fins de l’appel.
[242] Le CEE n’a constaté aucun manque d’équité découlant de ce motif. Plus précisément, l’appelant affirme qu’il aurait dû être mis au courant de certaines exigences entourant l’enquête sur l’agression sexuelle. Le CEE était en désaccord (Rapport, paragraphe 177).
[243] Le CEE a abordé cette question en deux points. Premièrement, les politiques régissant les enquêtes sur les agressions sexuelles dans la Division E figuraient dans le dossier dont le Comité était saisi (Éléments, p. 2493 à 2529; Éléments supplémentaires, p. 1013 et 1044) (Rapport, paragraphe 177).
[244] En guise de conclusion, le RAD a fait référence à certaines dispositions de ces politiques démontrant que l’appelant avait omis de consigner adéquatement la plainte d’agression sexuelle de la témoin A et de mener une enquête à ce sujet (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 908 à 914). De plus, les conclusions finales du RM faisaient expressément référence aux [TRADUCTION] « politiques d’enquête » sur les allégations d’agression sexuelle (Documents à communiquer – Comité de déontologie, p. 990 et 995).
[245] Deuxièmement, le CEE était en désaccord avec l’affirmation de l’appelant selon laquelle les conclusions du Comité soulèvent en quelque sorte une question d’équité en raison de l’absence de preuve de formation reçue par l’appelant au cours de sa carrière. Le CEE a déterminé que ce type de preuve n’avait aucun lien et n’était pas nécessaire pour démontrer que l’appelant aurait dû être au courant des politiques régissant les enquêtes sur les agressions sexuelles (Rapport, paragraphe 178).
[246] Le CEE et les commissaires soutiennent depuis longtemps que les membres doivent se familiariser avec les politiques applicables à leur situation (CEE no 3300-15-008 [G-645], au para 32; Commissaire, paragraphe 32). Selon le CEE, c’est dans ce contexte que les conclusions du Comité doivent être examinées et comprises (Rapport, paragraphe 178).
ANALYSE DE LA COMMISSAIRE
[247] Je conclus que ce motif d’appel doit être rejeté.
[248] Le CEE a déjà appliqué ce principe à une politique sous-jacente aux allégations de conduite déshonorante (C-2016-009 [C-029], aux paragraphes 125 à 128). Bien qu’il découle habituellement du contexte des griefs, je reconnais qu’il devrait s’appliquer également au contexte de l’appel disciplinaire.
[249] On s’attend à ce que les membres fassent « preuve de diligence dans l’exercice de leurs fonctions et de leurs responsabilités, notamment en prenant les mesures appropriées afin de prêter assistance à toute personne exposée à un danger réel, imminent ou potentiel (Code de déontologie, article 4.2).
[250] Les membres de la GRC reçoivent une formation approfondie sur les politiques, les procédures et les enquêtes au début de leur carrière et doivent se familiariser régulièrement avec le sujet. Il incombe donc à chaque membre de maintenir son perfectionnement professionnel au moyen d’une formation continue et de demander des conseils et des directives à ses supérieurs, au besoin.
[251] Je rejette l’affirmation de l’appelant concernant la responsabilité de la GRC dans la mauvaise gestion de l’enquête sur l’agression sexuelle par l’appelant (Dossier, p. 1251) [TRADUCTION] :
Ces constatations du Comité de déontologie mettent directement en cause la formation que la GRC avait donnée au gend. Marshall en ce qui concerne l’enquête sur de telles questions, les politiques et les procédures de la GRC relativement à de telles enquêtes et au degré de supervision accordé au gend. Marshall par la GRC.
[252] L’appelant n’a pas mené une enquête appropriée sur une plainte d’agression sexuelle. On lui a demandé de faire un suivi auprès de la plaignante, mais il ne l’a pas fait. Si l’appelant avait eu l’impression qu’il ne connaissait pas les politiques, les procédures ou la méthode appropriée pour mener une telle enquête, il aurait dû demander de l’aide supplémentaire à son superviseur, à ses collègues ou à d’autres ressources à sa disposition.
[253] L’appelant n’a pas du tout tenu compte de la directive. L’appelant ne peut pas jeter après coup le blâme sur la GRC pour ne pas lui avoir donné la formation appropriée.
[254] Bien que je reconnaisse l’importance qu’un superviseur joue dans le perfectionnement des compétences, il incombe également aux membres de reconnaître les lacunes ou le manque de connaissances qu’ils peuvent avoir et de demander de l’aide au besoin. Je n’ai devant moi aucun élément de preuve montrant que l’appelant a tenté de demander de l’aide, mais qu’il a plutôt fait fi de la directive d’enquête.
RECOMMANDATION DU CEE
[255] Le CEE me recommande de rejeter l’appel.
DÉCISION
[256] L’appelant n’a pas établi que le Comité de déontologie avait commis des erreurs donnant lieu à une révision.
[257] Conformément à l’alinéa 45.16(1)a) de la Loi sur la GRC, je rejette l’appel et confirme la mesure disciplinaire imposée par le Comité, soit une ordonnance de démission de la Gendarmerie dans les quatorze jours, à défaut de quoi l’appelant devait être congédié.
[258] Si l’appelant est en désaccord avec ma décision, il peut exercer un recours auprès de la Cour fédérale au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch. F-7.
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Brenda Lucki
Commissaire
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Date
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