Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Le membre visé faisait face à quatre allégations formulées à la suite de sa tentative de restituer les droits de conducteur à un particulier dont l’échantillon d’haleine avait successivement révélé une alcoolémie de 90 mg/100 ml et de 100 mg/100 ml. Le membre visé craignait que le conducteur perde son emploi si un chef d’accusation était porté contre lui. En effet, une accusation aurait entraîné la suspension prolongée du permis de conduire de l’intéressé, dont le travail exigeait l’utilisation d’un véhicule.
Le membre visé a falsifié de toutes pièces un échange de courriels entre lui et le procureur de la Couronne local dans lequel ce dernier recommande de ne pas déposer d’accusation. Il a aussi, de vive voix et dans le rapport électronique, produit des rapports reprenant pour l’essentiel le contenu du faux courriel. Celui-ci devait servir à convaincre le superviseur concerné de clore le dossier. Le courriel, cependant, a été envoyé par mégarde au procureur de la Couronne, à la suite de quoi le membre visé a été accusé d’avoir commis un faux. Ce dernier, après avoir plaidé coupable, a bénéficié d’une absolution conditionnelle.
Lors de la conférence préparatoire, la requête visant à joindre les deux allégations de conduite déshonorante aux deux allégations de rapport inexact a été rejetée. Le membre visé ayant avoué avoir commis les actes qui lui étaient reprochés, les quatre allégations ont été jugées établies. Le membre visé n’ayant nullement agi par intérêt personnel, son congédiement est apparu comme une peine disproportionnée. Sa malhonnêteté a nui à l’application de la loi et mis en péril la relation entre la GRC et la Couronne, ce qui justifie l’imposition d’une confiscation de solde considérable. Au total, le membre visé s’est vu imposer une confiscation de solde pour soixante jours de travail, a été déclaré inadmissible à quelconque promotion pour une période de deux ans, a reçu l’ordre de suivre un traitement psychologique adéquat et a été désigné comme devant être muté ou réaffecté, selon ce que l’autorité disciplinaire juge le mieux indiqué.

Contenu de la décision

Protégé A

Numéro de dossier OCGA : 2015-3382

Citation : 2016 DARD 2

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

DANS L’AFFAIRE D’UNE AUDIENCE DISCIPLINAIRE INTÉRESSANT LA

LOI SUR LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Entre :

Commandant de la Division J

Autorité disciplinaire

- et -

Gendarme Jonathan Cormier, numéro de matricule 55497

Membre visé

Décision du comité de déontologie

John A. McKinlay, comité de déontologie

Le 28 janvier 2016

Me Julie Roy et Me Denys Morel, représentants de l’autorité disciplinaire

Me Nicole Jedlinski, représentante du membre


Table des matières

Résumé  2

Introduction  4

Aperçu des procédures préalables à l’audience  4

Avis d’audience disciplinaire  8

Requête préliminaire  10

Décision sur la requête  11

Décision sur les allégations  14

Décision sur les mesures disciplinaires  22

Survol du parcours personnel et professionnel  27

Jurisprudence en matière disciplinaire  32

Facteurs aggravants et atténuants  35

Mesures disciplinaires imposées  40

Observations finales  43

 

Résumé

Le membre visé faisait face à quatre allégations formulées à la suite de sa tentative de restituer les droits de conducteur à un particulier dont l’échantillon d’haleine avait successivement révélé une alcoolémie de 90 mg/100 ml et de 100 mg/100 ml. Le membre visé craignait que le conducteur perde son emploi si un chef d’accusation était porté contre lui. En effet, une accusation aurait entraîné la suspension prolongée du permis de conduire de l’intéressé, dont le travail exigeait l’utilisation d’un véhicule.

Le membre visé a falsifié de toutes pièces un échange de courriels entre lui et le procureur de la Couronne local dans lequel ce dernier recommande de ne pas déposer d’accusation. Il a aussi, de vive voix et dans le rapport électronique, produit des rapports reprenant pour l’essentiel le contenu du faux courriel. Celui-ci devait servir à convaincre le superviseur concerné de clore le dossier. Le courriel, cependant, a été envoyé par mégarde au procureur de la Couronne, à la suite de quoi le membre visé a été accusé d’avoir commis un faux. Ce dernier, après avoir plaidé coupable, a bénéficié d’une absolution conditionnelle.

Lors de la conférence préparatoire, la requête visant à joindre les deux allégations de conduite déshonorante aux deux allégations de rapport inexact a été rejetée. Le membre visé ayant avoué avoir commis les actes qui lui étaient reprochés, les quatre allégations ont été jugées établies. Le membre visé n’ayant nullement agi par intérêt personnel, son congédiement est apparu comme une peine disproportionnée. Sa malhonnêteté a nui à l’application de la loi et mis en péril la relation entre la GRC et la Couronne, ce qui justifie l’imposition d’une confiscation de solde considérable. Au total, le membre visé s’est vu imposer une confiscation de solde pour soixante jours de travail, a été déclaré inadmissible à quelconque promotion pour une période de deux ans, a reçu l’ordre de suivre un traitement psychologique adéquat et a été désigné comme devant être muté ou réaffecté, selon ce que l’autorité disciplinaire juge le mieux indiqué.

 


Introduction

[1]  Depuis le 28 novembre 2014, un nouveau régime de gestion de la déontologie est en vigueur à la GRC. Sous ce régime, il revient au comité de déontologie de statuer sur l’allégation qui, de l’avis de l’autorité disciplinaire, se rapporte à un incident dont la gravité et les circonstances justifieraient, si l’allégation était jugée établie, l’imposition d’une peine de congédiement.

[2]  La présente affaire a fait l’objet d’une audience que j’ai, en ma qualité de comité de déontologie, présidée par téléconférence le lundi 16 novembre 2015. L’audience s’est poursuivie le jeudi 19 novembre 2015, à Moncton (Nouveau-Brunswick), en présence des parties.

[3]  Les présents motifs écrits étayent les décisions que j’ai rendues de vive voix le 16 novembre 2015, à savoir mon rejet de la requête préliminaire du membre visé qui demandait la réunion des allégations, d’une part, et ma conclusion établissant le bien-fondé de toutes les allégations, d’autre part.

[4]  Après avoir entendu les observations des représentants des parties, le 19 novembre 2015, j’ai pris en délibéré la question des mesures disciplinaires à imposer. Les présents motifs écrits se terminent avec les mesures disciplinaires que j’ai décidé d’imposer.

Aperçu des procédures préalables à l’audience

[5]  La première étape du processus intéressant le présent comité de déontologie a consisté en la production, par l’autorité disciplinaire, d’un avis à l’officier désigné concernant la convocation d’une audience disciplinaire le 17 août 2015. L’officier désigné a reçu cet avis le 18 août 2015. Ma nomination à titre de comité de déontologie, effectuée en application du paragraphe 43(1) de la Loi sur la GRC, a pris effet le 24 août 2015.

[6]  Le 8 septembre 2015, le membre visé s’est vu signifier l’avis d’audience disciplinaire (l’« avis disciplinaire ») que l’autorité disciplinaire a signé le 2 septembre 2015 ainsi qu’une copie du rapport d’enquête.

[7]  Le 28 septembre 2015, j’ai reçu le premier document à m’être acheminé relativement à cette affaire après l’avis m’ayant nommé à titre de comité de déontologie. Il s’agissait d’une requête de la représentante du membre (la « RM ») qui demandait la prorogation du délai applicable à la présentation des observations.

[8]  La requête a été accueillie, et le délai impartit pour la présentation de la réponse du membre visé, prévue aux articles 15 et 18 des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291 (les « CC (déontologie) »). Le représentant de l’autorité disciplinaire (le « RAD » [1] ) ne s’est pas opposé à la requête, car je n’avais pas encore reçu l’avis disciplinaire ni le rapport d’enquête.

[9]  Le 2 octobre 2015, afin de se conformer à l’article 18 des CC (déontologie), le RAD a produit la liste des témoins que l’autorité disciplinaire avait l’intention, au besoin, d’appeler à la barre en cours d’audience.

[10]  Le 8 octobre 2015, j’ai reçu une copie papier de l’avis disciplinaire; quant au rapport d’enquête, j’en ai reçu la version numérique le 14 octobre 2015. À cette dernière date m’ont également été transmises une copie de l’enregistrement vidéo de la déposition du membre visé et une copie de l’enregistrement audio des déclarations du gendarme Roy, le superviseur du membre visé, et de M. Lalonde, le procureur de la Couronne concerné.

[11]  Le 19 octobre 2015, il a été décidé qu’une conférence préparatoire aurait lieu le 30 octobre suivant.

[12]  Le 26 octobre 2015, la RM a présenté ses observations. Elle y signale des difficultés dans le visionnement de l’enregistrement vidéo de la déclaration du membre visé. Elle relève par ailleurs l’absence, dans les documents d’enquête, d’un sommaire du rapport dans le Système d’incidents et de rapports de police (« SIRP ») ainsi que celle du rapport général mentionné dans l’allégation 4 de l’avis disciplinaire. Soucieuse du respect des obligations que l’article 15 des CC (déontologie) impose au membre visé, la RM a fourni un sommaire exhaustif des pièces relatives à la santé du membre visé, à la poursuite pénale parallèle dont il faisait l’objet, de même qu’à d’autres questions connexes. Se conformant à l’article 18 des CC (déontologie), la RM a fait connaître l’identité des témoins qu’elle était susceptible de citer à l’audience.

[13]  Le 26 octobre 2015, la RM s’est vu accorder une autre prorogation de délai, cette fois jusqu’au 30 octobre 2015. Cette dernière date marquait aussi l’échéance du délai imparti au membre visé pour fournir les documents visés à l’article 15 des CC (déontologie) avant la conférence préparatoire, prévue pour cette même journée.

[14]  Le 28 septembre 2015, la RM a informé le comité de déontologie que le membre visé avait déposé un plaidoyer de culpabilité à l’infraction de commission de faux, infraction sanctionnée par le Code criminel, et que l’audience de détermination de la peine devait avoir lieu le 19 octobre 2015.

[15]  Le 20 octobre 2015, j’ai demandé au RAD de faire le point, lors de la conférence préparatoire, sur la peine imposée au membre visé dans l’instance criminelle le concernant. Le 27 octobre 2015, le RAD a fait connaître les détails de la peine, finalement prononcée le 26 octobre 2015 après que l’audience eut été reportée d’une semaine : le tribunal a accordé une absolution conditionnelle au membre visé, qui s’est vu imposer une période de probation de quatre mois, l’obligation de verser 1000 $ à un organisme de bienfaisance et le devoir de poursuivre ses consultations auprès d’un psychologue. Le don de 1000 $ a été effectué sans délai.

[16]  Le 29 octobre 2015, le RAD a déposé une copie d’un rapport SIRP réalisé par le membre visé. Le même jour, la RM a déposé la réponse du membre visé aux allégations énoncées dans l’avis disciplinaire initial. La RM a en outre présenté le résumé des faits introduit en preuve dans l’instance criminelle mettant en cause le membre visé.

Conférence préparatoire (30 octobre 2015)

[17]  Lors de la conférence préparatoire du 30 octobre 2015, j’ai accueilli la requête que le RAD a présentée verbalement en vue de pouvoir modifier l’avis disciplinaire en remplaçant le numéro de dossier SIRP qui y est employé par un autre numéro de dossier SIRP. En conséquence de cette modification, la RM s’est vu donner jusqu’au 2 novembre 2015 pour déposer une version révisée des documents exigés par l’article 15 des CC (déontologie).

[18]  Dans la requête présentée dans sa réponse initiale aux allégations, la RM demandait que les allégations 1 et 4 soient fondues en une seule allégation, de même que les allégations 2 et 3. La RM s’est vu donner jusqu’au 4 novembre 2015 pour fournir une argumentation écrite à l’appui de sa requête (assimilable à une requête préliminaire), après quoi le RAD aurait jusqu’au 6 novembre 2015 pour produire une réponse écrite.

[19]  Pour les besoins de la présente affaire, j’appellerai « le Dossier » l’ensemble des documents et autres éléments d’information déposés en preuve par les parties, à commencer par l’avis d’audience disciplinaire et le rapport d’enquête accompagné des pièces y afférentes. J’ai informé les parties que j’étais prêt à statuer sur les allégations à partir du Dossier, celui-ci comprenant aussi toutes les pièces qui seraient introduites en preuve lors de la cette partie de la procédure. La RM était prête à produire son argumentation relative aux allégations en même temps que sa demande de fusion des allégations.

[20]  Le RAD a produit des transcriptions des déclarations faites par le membre visé, le gendarme Roy (superviseur du membre visé) et de M. Lalonde.

[21]  Le 10 novembre 2015, j’ai signifié aux parties que je leur savais gré de vouloir que je leur communique par écrit mes décisions sur la requête de la RM et sur la question de savoir si les allégations étaient établies, mais que je craignais que cette façon de procéder ne fût pas conforme aux exigences légales relatives à la tenue d’une audience publique. Les représentants juridiques ont tous deux exprimé leur avis sur la question. J’ai finalement décidé qu’une audience aurait lieu par vidéoconférence le 16 novembre 2015, ce qui devait assurer le strict respect de l’équité procédurale à laquelle le membre visé a droit en vertu de l’article 20 des CC (déontologie).

Avis d’audience disciplinaire

[22]  Avec le consentement des parties, l’audience, à laquelle a participé le membre visé, a finalement eu lieu par téléconférence le 16 novembre 2015.

[23]  Le RAD a déposé la version modifiée de l’avis disciplinaire, dans laquelle le numéro de dossier SIRP « 201593210 », qui était erroné, a été remplacé par « 201593120 ».

[24]  Les parties ont présenté leurs observations écrites relatives à la demande de la RM visant la fusion des allégations 1 et 4 et celle des allégations 2 et 3, comme celles-ci sont formulées dans l’avis disciplinaire modifié, qui se lisait comme suit :

[Traduction]

Allégation 1

Le ou vers le 26 février 2015, à Moncton ou dans ses environs, dans la province du Nouveau- Brunswick, [le membre visé] n’a pas rendu compte en temps opportun, de manière exacte et détaillée, de l’exécution de ses responsabilités, de l’exercice de ses fonctions et du déroulement d’une enquête dont il était chargé, contrevenant ainsi à l’article 8.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division J, dans la province du Nouveau-Brunswick.

2. Le ou vers le 26 février 2015, tandis que vous étiez de service, vous avez dit au gendarme Pierre- Alexandre Roy, votre superviseur par intérim, que l’avocat de la Couronne ne recommandait pas le dépôt d’accusations criminelles dans le dossier SIRP no 201593120 et qu’il vous avait envoyé un courriel en ce sens.

3. Votre déclaration au gendarme Pierre-Alexandre Roy contenait des renseignements faux ou trompeurs.

Allégation 2

Le ou vers le 26 février 2015, à Moncton ou dans ses environs, dans la province du Nouveau- Brunswick, [le membre visé] a fait preuve d’une conduite déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division J, dans la province du Nouveau-Brunswick.

2. Le ou vers le 26 février 2015, tandis que vous étiez de service, vous avez supprimé le contenu original d’un courriel que l’avocat de la Couronne Eric Lalonde vous avait envoyé dans le cadre d’une autre affaire et l’avez remplacé par de faux renseignements relatifs au dossier SIRP no 201593120. Le courriel que vous avez créé donnait l’impression d’avoir été rédigé par Eric Lalonde.

3. Le 26 février 2015, vous avez envoyé le faux courriel à l’avocat de la Couronne Eric Lalonde au moyen du système Groupwise de la GRC.

Allégation 3

Entre le 26 février et le 24 mars 2015, à Moncton ou dans ses environs, dans la province du Nouveau-Brunswick, [le membre visé] a fait preuve d’une conduite déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division J, dans la province du Nouveau-Brunswick.

2. Le ou vers le 26 février, tandis que vous étiez de service, vous avez supprimé le contenu original d’un courriel que l’avocat de la Couronne Eric Lalonde vous avait envoyé dans le cadre d’une autre affaire et l’avez remplacé par de faux renseignements relatifs au dossier SIRP no 201593120. Le courriel que vous avez créé donnait l’impression d’avoir été rédigé par Eric Lalonde.

3. Entre le 26 et le 27 février 2015, vous avez adressé le faux courriel à votre superviseur par intérim, le gendarme Pierre-Alexandre Roy, qui vous a dit de le verser au dossier.

4. Entre le 26 février et le 24 mars 2015, vous avez versé le faux courriel au dossier de la GRC no 201593120.

5. Le ou vers le 26 février 2015, vous avez fait parvenir à la Direction des véhicules à moteur du Nouveau-Brunswick une lettre se rapportant au dossier no 201593120 dans laquelle vous indiquiez qu’aucune accusation ne serait déposée.

6. Le 27 février 2015, votre superviseur par intérim, le gendarme Pierre-Alexandre Roy, a fermé le dossier no 201593120.

7. Vous avez porté atteinte à l’intégrité de la loi, de l’application de la loi et de l’administration de la justice.

Allégation 4

Le ou vers le 26 février 2015, à Moncton ou dans ses environs, dans la province du Nouveau- Brunswick, [le membre visé] n’a pas rendu compte en temps opportun, de manière exacte et détaillée, de l’exécution de ses responsabilités, de l’exercice de ses fonctions et du déroulement d’une enquête dont il était chargé, contrevenant ainsi à l’article 8.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division J, dans la province du Nouveau-Brunswick.

2. Dans le dossier SIRP no 201593120, vous avez noté les renseignements suivants : « Le membre a communiqué avec la Couronne. Aucune accusation à déposer. [M. A] a été informé. »

3. Dans le rapport général du dossier SIRP no 201593120 que vous avez préparé, vous avez inscrit ceci sous la date du 19 février 2015 : « Le membre a envoyé un courriel à la Couronne, qui en retour a demandé s’il y avait des éléments de preuve de la conduite avec facultés affaiblies. Le membre ne disposait d’aucune preuve : il s’est fié aux signes visibles d’ébriété pour procéder à l’arrestation. » Vous avez en outre inscrit ceci sous la date du 26 février 2015 : « Le membre a reçu le courriel d’Eric Lalonde disant qu’aucune accusation ne serait déposée, pour une part, parce que la politique interne de la GRC veut qu’on ne dépose pas d’accusation dans les cas d’alcoolémie de 100 mg/100 ml, et que, d’autre part, parce que je ne disposais pas de preuve de la conduite avec facultés affaiblies. »

4. Les entrées que vous avez effectuées dans le SIRP contenaient des renseignements faux ou trompeurs.

Requête préliminaire

[25]  Après examen des observations écrites des parties relatives à la requête préliminaire visant la fusion des allégations, j’ai rendu une décision de vive voix lors de l’audience du 16 novembre 2015. J’ai, à cette occasion, indiqué aux parties que je me réservais le droit, tout en tenant cette décision pour définitive, de développer et d’expliciter le raisonnement qui la sous-tend dans les motifs écrits qui allaient suivre.

[26]  Pour pouvoir faire modifier une partie des allégations d’inconduite formulées par l’autorité disciplinaire, le membre visé doit s’être vu signifier un avis écrit conforme au paragraphe 43(2) de la Loi sur la GRC, qui dispose ce qui suit :

Dans les meilleurs délais après avoir constitué le comité de déontologie, l’autorité disciplinaire qui a convoqué l’audience signifie au membre en cause un avis écrit l’informant qu’un comité de déontologie décidera s’il y a eu contravention.

[27]  Les alinéas 43(3)a) et b) de la Loi sur la GRC précisent ensuite ce que doit contenir l’avis dans lequel sont énoncées des allégations de contravention au code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada (le « code de déontologie ») :

L’avis peut énoncer plus d’une contravention aux dispositions du code de déontologie et contient les éléments suivants :

a) un énoncé distinct de chaque contravention reprochée;

b) un énoncé détaillé de l’acte ou de l’omission constituant chaque contravention reprochée;

[…]

[28]  En l’espèce, l’autorité disciplinaire était habilitée, en vertu du paragraphe 43(3) de la Loi sur la GRC, à faire état de deux contraventions à l’article 7.1 (allégations 1 et 4) du code de déontologie ainsi que de deux contraventions à l’article 8.1 dudit code (allégations 2 et 3).

Décision sur la requête

[29]  À mon sens, l’intervention d’un comité de déontologie pour modifier ou supprimer des allégations et leur énoncé détaillé n’est justifiée que dans le cas où un élément ou un passage des allégations ou des énoncés détaillés contenus dans l’avis signifié en vertu du pararaphe 43(3) de la Loi sur la GRC prive le membre visé d’un niveau suffisant d’équité procédurale, comme cela peut se produire lorsqu’on y trouve des éléments redondants ou équivoques.

[30]  Pour les motifs exposés ci-dessous, la requête préliminaire du membre visé a été rejetée dans son intégralité.

Fusion des allégations 2 et 3

[31]  La RM a demandé que je modifie l’avis disciplinaire en retirant le paragraphe 3 de l’énoncé détaillé de l’allégation 2 (la présumée transmission du faux courriel par le membre visé) pour l’ajouter à l’énoncé détaillé de l’allégation 3, puis en supprimant entièrement le reste de l’allégation 2.

[32]  Cette requête se fonde sur l’argument maître selon lequel, puisque l’allégation 3 comporte une série d’actes répréhensibles qui sont décrits dans un énoncé détaillé comportant plusieurs paragraphes, il était adéquat et suffisant que le membre visé ait à répondre à une seule allégation de conduite déshonorante, soit l’allégation 3. Le RAD n’a fait aucune observation à l’égard de la requête et s’est contenté d’indiquer que, si celle-ci était accueillie, le paragraphe 3 de l’énoncé détaillé de l’allégation 2 pourrait être inséré immédiatement après le deuxième paragraphe de l’énoncé détaillé de l’allégation 3, étant implicitement entendu que le reste de l’allégation 2 serait supprimé.

[33]  Le RAD n’ayant pas acquiescé à la requête, je ne suis pas disposé à modifier l’allégation 3 et à supprimer le reste de l’allégation 2. L’allégation 2 se rapporte à la conduite déshonorante consistant non pas à fabriquer un faux courriel, mais à transmettre celui-ci à M. Lalonde. Il s’agit d’un acte distinct dont il n’est fait mention dans aucun énoncé détaillé d’aucune autre allégation. Le paragraphe 3 de l’allégation 2 n’est donc pas redondant. En outre, comme le paragraphe 2 de l’allégation 2 ne fait que mentionner l’existence du faux courriel à titre d’élément préalable à sa transmission, acte répréhensible visé au paragraphe 3, les actes et omissions allégués dans l’allégation 2 ne sont pas eux-mêmes redondants.

[34]  Je dirai, pour répondre aux observations de la RM, qu’à mon avis les contraventions au code de déontologie qui sont visées par les allégations 2 et 3 ne se rapportent pas au même acte ou à la même chaîne d’événements. Dans toute affaire d’inconduite, il peut y avoir un événement premier suivi d’une série d’événements. Rien n’oblige l’autorité disciplinaire à faire fi des différences de nature entre certains événements se succédant chronologiquement et à regrouper ceux-ci dans l’énoncé détaillé d’une même allégation.

[35]  Ma décision sur la requête touchant les allégations 2 et 3 ne tient pas compte des observations de la RM concernant le caractère accidentel de la transmission du faux courriel par le membre visé, car j’estime qu’elles ne soulèvent aucune question d’équité procédurale touchant les allégations et leur énoncé détaillé. Je les ai cependant pris en considération au moment de formuler ma conclusion sur l’allégation 2.

[36]  Par conséquent, je rejette la requête du membre visé concernant la modification de l’allégation 3 et la suppression de l’allégation 2.

Fusion des allégations 1 et 4

[37]  En ce qui a trait à la requête du membre visé qui demandait que le paragraphe 2 de l’énoncé détaillé de l’allégation 1 soit inséré dans l’énoncé détaillé de l’allégation 4, et que l’allégation 1 soit ensuite supprimée, je suis d’avis que les allégations 1 et 4, telles que l’autorité disciplinaire les a formulées, ne soulève aucune question d’équité procédurale.

[38]  Reprenant l’argument présenté dans les observations du RAD, j’estime que l’allégation 1 (plus précisément : l’acte décrit dans le paragraphe 2 de l’énoncé détaillé) vise les paroles trompeuses que le membre visé a adressées à son superviseur, le gendarme Roy, ce qui ne saurait être confondu avec les fausses entrées SIRP auxquelles renvoie l’allégation 4.

[39]  L’énoncé détaillé des allégations 1 et 4 ne présente aucune redondance. Je constate que le comité de déontologie n’a pas l’obligation de fondre les allégations 1 et 4 en une seule et unique allégation qui soit suffisante ou adéquate pour signaler une contravention à l’article 8.1 du code de déontologie, et que l’autorité disciplinaire n’est pas tenue de regrouper les actes ou omissions susceptibles de constituer une contravention signalée par une seule et unique allégation. Je renonce à modifier les allégations 1 et 4 comme l’a demandé la RM.

[40]  Par conséquent, je rejette la requête du membre visé concernant la modification de l’allégation 4 et la suppression de l’allégation 1.

Décision sur les allégations

[41]  Le paragraphe 45(1) de la Loi sur la GRC exige que j’évalue la pertinence, la valeur probante et le poids relatif des pièces contenues dans le Dossier. J’ai donc, avant de rendre ma décision de vive voix, le 16 novembre 2015, pris en considération les observations écrites des parties, y compris les aveux du membre visé énoncés par son RM. Là encore, j’ai informé les parties que je me réservais le droit de développer et d’expliciter le raisonnement sous-tendant ma décision dans les motifs écrits qui allaient suivre.

[42]  Aux termes du paragraphe 45(1) de la Loi sur la GRC, je dois décider si chacune des allégations contenues dans l’avis disciplinaire a été établie en appliquant la norme de preuve de la prépondérance des probabilités.

[43]  Afin de statuer qu’un fait a été établi selon la prépondérance des probabilités, le Dossier, qui peut comprendre les aveux du membre visé, doit renfermer des renseignements propres à étayer la conclusion portant que, selon toute vraisemblance, l’acte, l’omission ou l’élément factuel décrit dans l’énoncé détaillé a eu lieu ou est avéré.

[44]  Je dois ensuite déterminer si les éléments de l’énoncé détaillé dont l’existence a été établie fournissent, pris isolément ou combinés les uns aux autres, une preuve de la contravention au code de déontologie visée dans l’allégation considérée.

[45]  Si je conclus qu’un ou plusieurs des éléments de l’énoncé détaillé ont été établis et fournissent une preuve de la contravention, il me faut ensuite prendre en considération l’ensemble de la preuve produite et appliquer le critère de la personne raisonnable.

[46]  J’ai donc, en fin de compte, statué sur les allégations 2 et 3 en appliquant le critère de la conduite susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie tout en adoptant la définition de « conduite scandaleuse » proposée par le juge Devlin dans l’affaire Hughes v Architects Registration Council of the United Kingdom, [1957] All ER 436, 442. J’ai également appliqué la norme de la personne raisonnable ayant connaissance de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et celles du travail à la GRC en particulier, comme cette norme a été définie par le Comité externe d’examen de la GRC dans l’affaire répertoriée (1991) 4 D.A. (2e) 103, à la page 106. J’ai appliqué cette même norme, adaptée aux particularités de l’article 8.1 du code de déontologie, pour statuer sur les allégations 1 et 4.

[47]  Que le membre visé fût membre de la GRC les 26 et 27 février 2015, dates entre lesquelles son quart de travail faisait le pont et auxquelles tous ses actes d’inconduite auraient été commis, n’a jamais été en litige. Je conclus que le fait visé par le premier paragraphe de l’énoncé détaillé des quatre allégations a été établi. La date du 24 mars 2015 est mentionnée dans l’allégation 3, mais ni l’une ni l’autre partie n’a cherché à en débattre ou à en souligner l’importance.

Allégation 2

[48]  Comme j’ai rejeté la requête visant la fusion des allégations 2 et 3, je suis tenu de déterminer, en suivant la démarche à plusieurs étapes évoquée ci-dessus, si l’allégation 2 a été établie.

[49]  Sur la base des faits suivants, je conclus que le membre visé a, le 26 février 2015, transmis le faux courriel à M. Lalonde au moyen du système GroupWise de la GRC :

  • les déclarations verbales et écrites de M. Lalonde, qui n’ont pas été contestées;
  • les courriels dont M. Lalonde a fourni une copie;
  • les courriels relatifs au membre visé qui ont été récupérés dans le système de courrier électronique de la GRC;
  • les aveux du membre visé relatifs à la méthode employée pour fabriquer le faux courriel.

[50]  Par conséquent, je conclus que tous les faits mentionnés par l’autorité disciplinaire dans l’énoncé détaillé de l’allégation 2 sont établis selon la prépondérance des probabilités.

[51]  La RM a toutefois fait valoir que, même si tous les faits relatifs à l’allégation 2 étaient tenus pour établis, la contravention elle-même ne l’était pas, car c’est par mégarde que le membre visé a transmis le faux courriel à M. Lalonde.

[52]  Je conclus que la transmission, par le membre visé, du faux courriel à M. Lalonde n’était pas intentionnelle. Cette conclusion se fonde sur mon examen attentif de l’enregistrement vidéo de la déposition volontaire du membre visé, qui date du 20 mars 2015, où l’on voit la vive réaction de surprise qu’a eue le membre visé lorsque l’enquêteur lui a appris qu’il avait envoyé le faux courriel à l’avocat de la Couronne. Ma conclusion se fonde également sur le bon sens : il serait en effet étrange, voire inexplicable que le membre visé ait délibérément cherché à s’incriminer en envoyant le faux courriel à M. Lalonde.

[53]  Comme je l’ai dit en refusant de fusionner les allégations 2 et 3, l’élément fondamental de l’inconduite reprochée dans l’allégation 2 était l’envoi du courriel à M. Lalonde, et non sa création. Celle-ci fait l’objet, à titre d’acte répréhensible distinct, du paragraphe 2 de l’énoncé détaillé de l’allégation 3. Par conséquent, la question que je dois trancher est, comme l’a fait valoir la RM, celle de savoir si la transmission accidentelle du faux courriel constitue une contravention à l’art. 7.1 du code de déontologie, qui dispose ce qui suit : « Les membres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. »

[54]  Aucune des parties n’a cité de décision antérieure ni proposé d’analyse juridique sur la question de savoir si la transmission accidentelle d’un courriel au contenu déshonorant devait être considérée comme une inconduite. Dans la décision du Comité d’arbitrage de la GRC (2003) 17 D.A. (3e) 31, le membre mis en cause avait reconnu avoir fait preuve d’une conduite scandaleuse en enregistrant accidentellement des images pornographiques sur un disque destiné à stocker uniquement des documents de présentation conformes aux bonnes moeurs.

[55]  Dans cette affaire, les images en cause avaient été remises au membre sur un disque qui contenait également des images humoristiques devant servir à un diaporama n’ayant rien d’indécent. Le membre concerné ignorait que le disque contenait des images à caractère sexuel. Ce n’est qu’après avoir présenté son diaporama qu’il s’est rendu compte que ces images avaient été copiées par erreur sur le disque. À cet égard, le comité d’arbitrage, appliquant le critère de la personne raisonnable, a déclaré ce qui suit :

Le fait que ce matériel de nature sexuelle explicite a été fourni par inadvertance en copiant du matériel destiné à des organismes gouvernementaux qui entretiennent des rapports professionnels avec la GRC est certainement scandaleux pour tous les intéressés.

[56]  Dans l’appel porté devant le commissaire de la GRC, la décision du commissaire (2004) 24 D.A. (3e) 119, il a été statué que le comité d’arbitrage n’avait pas pris en considération la mens rea pour arriver à la conclusion que l’allégation n’était pas établie, mais qu’il avait tenu compte de l’ensemble des circonstances entourant la conduite du membre mis en cause. Dans sa décision, le comité d’arbitrage a jugé que le fait d’envoyer par terre, dans un accès de violence survenu au cours d’une querelle de ménage, les objets se trouvant sur une commode et, du même coup, de lancer accidentellement un objet au visage de son conjoint ou de sa conjointe n’était pas un acte scandaleux. De façon significative, le commissaire précise ce qui suit dans sa décision d’appel : « Cependant, je ne nie pas que dans certaines circonstances, une conduite accidentelle peut être scandaleuse si elle témoigne d’une totale insouciance. »

[57]  J’estime qu’une personne raisonnable ayant connaissance de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et celles du travail à la GRC en particulier, et ayant été instruite qu’un geste accidentel ou involontaire puisse jeter le discrédit sur la Gendarmerie s’il est fait avec insouciance, serait d’avis que le fait, pour le membre concerné, de transmettre le faux courriel à M. Lalonde était susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie et, ainsi, constituait une contravention à l’article 7.1 du code de déontologie. Par conséquent, je conclus que l’allégation 2 a été établie.

Allégation 3

[58]  L’allégation 3 concerne une présumée conduite déshonorante constituant une contravention à l’article 7.1 du code de déontologie. Le Dossier, y compris les entrées faites dans le SIRP, fournit de manière fiable et décisive la preuve que le membre visé a commis les actes décrits aux paragraphes 2, 4 et 5 de l’énoncé détaillé.

[59]  Je suis convaincu que la preuve, y compris les aveux du membre visé, permet d’établir que ce dernier a créé le faux courriel décrit au paragraphe 2 de l’énoncé détaillé, a joint une version papier du faux courriel au dossier d’enquête mentionné au paragraphe 4 de l’énoncé détaillé, et a télécopié à la Direction des véhicules à moteur du Nouveau-Brunswick, comme le précise le paragraphe 5 de l’énoncé détaillé, une lettre qui reprend la teneur du faux courriel. Appréciant l’ensemble des circonstances décrites aux paragraphes 2, 4 et 5 de l’énoncé détaillé à l’aune de la norme de la personne raisonnable, je conclus que ces trois actes constituent, individuellement et collectivement, une contravention à l’article 7.1. Ces actes sont susceptibles de jeter le discrédit sur la Gendarmerie.

[60]  La conduite du membre visé est savamment caractérisée au paragraphe 7, où on lit qu’il a « porté atteinte à l’intégrité de la loi, de l’application de la loi et de l’administration de la justice ». Le paragraphe 7 ne se rapporte pas à un acte par action ou omission qui est distinct et indépendant de ceux visés aux paragraphes 2, 4 et 5, mais il énonce correctement le fondement principiel sur lequel repose toute conclusion de contravention à l’article 7.1 : en effet, les actes du membre visé qui sont décrits aux paragraphes 2, 4 et 5 de l’énoncé détaillé compromettent l’intégrité de la loi, de l’application de la loi et de l’administration de la justice.

[61]  En ce qui a trait au paragraphe 3, j’ai pris en considération la déclaration du gendarme Roy suivant laquelle il se rappelait avoir demandé au membre visé de verser une copie du faux courriel au dossier d’enquête. Bien que le souvenir de cet échange verbal ne me paraisse pas suffisant à lui seul pour démontrer que le gendarme Roy a effectivement adressé cette demande au membre visé, les aveux de ce dernier, qui ont été consignés dans le résumé des faits présenté dans le cadre du procès criminel le concernant, suffisent à attester la véracité du contenu du paragraphe 3 de l’énoncé détaillé selon la prépondérance des probabilités.

[62]  Au paragraphe 8 de ce résumé des faits, il est dit que le membre visé a versé le faux courriel au dossier afin que son superviseur le prenne pour authentique et agisse en conséquence. Après qu’on lui eut montré le faux courriel, le gendarme Roy a demandé qu’une version papier de celui-ci soit jointe au dossier. Mais la deuxième partie du paragraphe 3 de l’énoncé détaillé ne fait pas état d’un acte ou d’une omission qu’aurait commis le membre visé; elle ne fait que mentionner la demande du gendarme Roy.

[63]  Je conclus que le membre visé a commencé par montrer le faux courriel au gendarme Roy, comme l’indique la première partie du paragraphe 3 de l’énoncé détaillé, et que cet acte est susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. La demande subséquente visant l’ajout au dossier d’une copie papier du faux courriel ne constitue pas en elle-même une contravention à l’article 7.1 du code de déontologie. L’inconduite consistant à verser au dossier la copie papier du faux courriel, qui fait l’objet du paragraphe 4 de l’énoncé détaillé, est distincte de celle consistant à montrer le courriel au gendarme Roy.

[64]  Le paragraphe 6 de l’énoncé détaillé ne se prête pas à une analyse sans nuance. La preuve, y compris les aveux du membre visé qui ont été consignés dans le résumé des faits en matière de la procédure criminelle, tend à établir que la décision du gendarme Roy de clore le dossier découle directement de la présence, dans le dossier, des pièces que le membre visé y a versées. Or le paragraphe 6 dit simplement que le gendarme Roy a fermé le dossier, étant sous-entendu que cela a eu lieu après que ces pièces et éléments d’information eurent été joints au dossier; il ne dit pas que le gendarme Roy a fondé sa décision sur le contenu du faux courriel et les autres entrées erronées.

[65]  J’estime qu’il n’est pas opportun d’ajouter aux actes reprochés au paragraphe 6 le fait que le gendarme Roy s’est fié aux renseignements inexacts contenus au dossier pour décider de clore celui- ci. Par conséquent, je suis d’avis que le paragraphe 6, tel qu’il est libellé et qu’on le considère isolément ou en combinaison avec les autres paragraphes de l’énoncé détaillé de l’allégation 3, n’étaye pas la conclusion qu’il y a eu contravention du code de déontologie. J’ai informé les parties que le fait que le gendarme Roy s’est fondé sur les renseignements inexacts contenus au dossier pouvait être pris en considération lors du débat sur la détermination des mesures disciplinaires appropriées.

[66]  En conséquence de ce qui précède, je conclus que l’allégation 3 a été établie.

Allégation 1

[67]  Le paragraphe 3 de l’énoncé détaillé de l’allégation 1 désigne de manière concise l’inconduite reprochée au paragraphe 2. Il y est dit ceci : « Votre déclaration au gendarme Pierre- Alexandre Roy contenait des renseignements faux ou trompeurs. »

[68]  Les faits relatés au paragraphe 2 de l’énoncé détaillé, dont le membre visé a reconnu la véracité, montrent que ce dernier a amené le gendarme Roy à croire qu’il avait reçu un courriel de M. Lalonde indiquant qu’il ne recommandait pas le dépôt d’une accusation de conduite avec facultés affaiblies contre M. A. L’échange verbal qui a eu lieu à ce sujet entre le membre visé et le gendarme Roy est attesté par les deux hommes. Les observations de la RM relativement au paragraphe 3 de l’énoncé détaillé contiennent les aveux du membre visé à cet égard. Ne voyant aucune différence notable entre l’emploi du mot « dit », au paragraphe 2, et celui de l’expression « amené à croire », dans les aveux du membre visé, je conclus que les faits relatés au paragraphe 2 de l’énoncé détaillé sont établis selon la prépondérance des probabilités.

[69]  De plus, je conclus, selon la même norme de preuve et sur la base des aveux du membre visé, que les renseignements que ce dernier a communiqués verbalement au gendarme Roy, comme mentionné au paragraphe 3 de l’énoncé détaillé, étaient faux et trompeurs.

[70]  J’estime qu’une personne raisonnable ayant connaissance de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et celles du travail à la GRC en particulier, serait d’avis que le membre visé, en posant les actes mentionnés aux paragraphes 2 et 3 de l’énoncé détaillé, qui ont été établis, a délibérément fourni des renseignements inexacts sur l’exécution de ses responsabilités, l’exercice de ses fonctions et le déroulement de l’enquête dont il était chargé.

[71]  Je conclus, compte tenu de toutes les circonstances, que le membre visé a contrevenu à l’article 8.1 du code de déontologie de la manière décrite dans l’allégation 1.

Allégation 4

[72]  Le paragraphe 4 de l’énoncé détaillé de l’allégation 4 expose de manière concise en quoi les actes et les omissions qui sont décrits aux paragraphes 2 et 3 constituent une contravention à l’article 8.1 du code de déontologie. Il est ainsi libellé : « Les entrées que vous avez effectuées dans le SIRP contenaient des renseignements faux ou trompeurs. »

[73]  M’appuyant sur les faits et documents suivants, je conclus que les faits relatés aux paragraphes 2, 3 et 4 de l’énoncé détaillé sont établis selon la prépondérance des probabilités :

  • les déclarations de M. Lalonde dans lesquelles il nie avoir discuté de l’éventuel dépôtd’accusations contre M. A;
  • les courriels versés au Dossier;
  • le souvenir du membre visé de n’avoir eu que des discussions d’ordre général avec M. Lalonde au sujet du dépôt d’accusations dans les situations comparables à celles de M. A;
  • les aveux du membre visé;
  • les documents SIRP présentés par le RAD le 29 octobre 2015.

Je fais remarquer que l’entrée SIRP que le membre visé a effectuée pour indiquer que M. A avait été informé qu’aucune accusation ne serait portée contre lui, fait relaté au paragraphe 2 de l’énoncé détaillé, est exacte et exclue des faits à prendre en considération.

[74]  J’estime qu’une personne raisonnable ayant connaissance de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et celles du travail à la GRC en particulier, serait d’avis que le membre visé, en posant les actes mentionnés aux paragraphes 2 ,3 et 4 de l’énoncé détaillé, qui ont été prouvés, a délibérément entré dans le SIRP des renseignements inexacts sur l’exécution de ses responsabilités, l’exercice de ses fonctions et le déroulement de l’enquête particulière dont il était chargé.

[75]  Je conclus, compte tenu de toutes les circonstances, que le membre visé a contrevenu à l’article 8.1 du code de déontologie de la manière décrite dans l’allégation 4.

Intention ou mobile

[76]  Dans son argumentation écrite à l’appui de sa requête de fusion des allégations, la RM a cité des extraits de la déclaration volontaire du membre visé pour indiquer que l’intention ou le mobile qui avait animé ce dernier était de « clore le dossier » et d’« aider M. A à recouvrer son permis de conduire », ce qui concorde entièrement avec ce que le membre visé a dit dans sa déclaration après mise en garde.

[77]  J’ai choisi d’examiner la question de l’intention ou du mobile du membre visé comme faisant partie des circonstances à prendre en considération avant de rendre une décision finale sur chacune des quatre allégations. J’en suis néanmoins arrivé à la conclusion que chacune d’elles avait été établie, et ce, pour les motifs déjà mentionnés. L’intention ou le mobile du membre visé n’a pas été exclu des éléments à prendre en considération lors du débat portant sur la détermination des mesures disciplinaires appropriées.

Décision sur les mesures disciplinaires

Conférence préparatoire (17 novembre 2015)

[78]  Après que j’eus rendu ma décision de vive voix sur les allégations, le 16 novembre 2015, une deuxième conférence préparatoire a été fixée au lendemain. À cette occasion, les parties ont confirmé l’exactitude et le caractère actuel du contenu du Dossier, des pièces supplémentaires m’ont été présentées, et il a été discuté du délai de production et du contenu probable des autres documents que le RAD entendait produire relativement aux mesures disciplinaires. Il y a aussi été question des moyens à prendre pour accorder à la RM la possibilité d’examiner comme il faut, en vue d’y répondre, les documents que déposerait le RAD, notamment la tenue d’une « audience express » le 19 novembre 2015 dans le cas où l’admissibilité de ces documents devait être contestée par la RM. En fin de compte, le matin du 19 novembre, la RM a fait savoir qu’elle n’élevait aucune objection au dépôt desdits documents.

[79]  Il était prévu qu’aucun témoin ne serait appelé à la barre ni contre-interrogé par les parties. Il a été convenu que le membre visé se verrait donner la possibilité de s’adresser au comité de déontologie, mais non sous la foi du serment, avant la fin de l’audience du 19 novembre 2015.

Pièces supplémentaires et jurisprudence

[80]  Avant que les représentants des parties ne présentent oralement leurs observations à l’audience tenue à Moncton, le 19 novembre 2015, la RM a introduit en preuve les pièces supplémentaires suivantes :

  • l’enregistrement de la séance du tribunal du 26 octobre 2015, lors de laquelle la sanction pénale a été prononcée de vive voix (et dans laquelle le tribunal expose les motifs pour lesquels il a accordé une absolution conditionnelle);
  • la déclaration du membre visé, signée et datée du 12 novembre 2015, accompagnée d’annexes;
  • le rapport présentenciel de la cour provinciale, daté du 15 octobre 2015;
  • les lettres de Mme Cormier, psychologue, datées du 15 octobre et du 10 novembre 2015;
  • le curriculum vitae de Mme Cormier, présenté le 18 novembre 2015;
  • les fiches de rendement produites le 9 décembre 2014, le 11 octobre 2014, le 17 septembre 2014, le 5 août 2014, le 20 janvier 2014 et le 18 novembre 2013;
  • les évaluations du rendement que le membre visé a reçues le 2 janvier 2010, le 3 mars 2011, le 13 mars 2012 et le 7 mars 2013;
  • des lettres de recommandation signées par les personnes suivantes :
    • le gendarme Agnew, confrère de travail et superviseur par intérim, le 9 novembre 2015;
    • le gendarme Dubuc, confrère de travail, le 10 novembre 2015; qui a aussi été présenté les courriels envoyés les 11 et 15 novembre 2015;
    • un membre de la famille élargie, le 7 octobre 2015;
    • l’officier auxiliaire McEachern, ancien confrère de travail, le 19 septembre 2015;
    • le caporal Tardif, superviseur, sans date;
    • M. Babineau, ancien collègue ambulancier paramédical;
  • la lettre d’excuses adressée à M. Lalonde, procureur de la Couronne, datée du 11 août 2015;
  • la lettre d’excuses adressée à M. Leblanc, procureur de la Couronne, datée du 11 août 2015;
  • la lettre d’excuses adressée au gendarme Roy;
  • les deux articles de presse concernant la sanction pénale imposée au membre visé;  le courriel que le gendarme Roy a adressé à la RM le 18 novembre 2015.

[81]  Avant que les représentants des parties ne présentent oralement leurs observations à l’audience tenue à Moncton le 19 novembre 2015, le RAD a introduit en preuve les pièces supplémentaires suivantes :

  • un courriel du directeur régional du Service des poursuites pénales, M. Leblanc, reçu le 18 novembre 2015;
  • un courriel du procureur de la Couronne M. Lalonde, reçu le 18 novembre 2015;
  • des directives administratives, datées du 15 décembre 2014 (déjà communiquées);
  • le rapport d’examen sur un incident de tir impliquant un membre, daté du 11 septembre 2014 (déjà communiqué).

[82]  Après avoir reçu le courriel de M. Lalonde du 18 novembre 2015, j’ai cherché à obtenir des éclaircissements sur deux points. J’ai transmis ma demande de clarification au RAD et en ai adressé une copie à la RM. Plus tard au cours de la même journée, le RAD nous a fait parvenir, à la RM et à moi, le courriel réponse de M. Lalonde qui contenait des éclaircissements.

[83]  Le RAD a cité la jurisprudence suivante :

  • décisions des Comités d’arbitrage de la GRC :
    • (2005) 27 D.A. (3e) 228;
    • (2013) 13 D.A. (4e) 267;
    • (2013) 14 D.A. (4e) 269;
    • (2014) 15 D.A. (4e) 331;
    • (2015) 15 D.A. (4e) 547;
  • l’arrêt R. c McNeil, 2009 CSC 3 (CanLII).

[84]  La RM a cité la jurisprudence suivante :

  • décisions des Comités d’arbitrage de la GRC :
    • (2010) 5 D.A. (4e) 264;
    • (1998) 1 D.A. (3e) 194;
    • (2008) 3 D.A. (4e) 257;
    • (2009) 4 D.A. (4e) 322;
  • décisions du commissaire de la GRC :
    • (2007) 32 D.A. (3e) 292;
    • (1999) 5 D.A. (3e) 1;
  • décision du Comité externe d’examen de la GRC :
    • (1999) 4 D.A. (3e) 137;
  • Pizarro c Canada (procureur général), 2010 CF 20 (CanLII);
  • deux articles de presse concernant la sanction pénale infligée à un membre pour emploi d’un faux document, publiés en septembre et en décembre 2013;

[85]  Dans ses observations, la RM a attiré mon attention sur certains passages du Guide des mesures disciplinaires (le « Guide »), document interne paru en novembre 2014 conçu pour aider à la mise en oeuvre du nouveau modèle de gestion de la déontologie, en vigueur depuis le 28 novembre 2014. Les deux représentants des parties étaient d’accord pour dire que le Guide n’était pas un instrument de politique de la GRC. Aucune des parties ne l’a déposé en preuve à l’audience sur les mesures disciplinaires. Au lieu de joindre ce document de 76 pages en annexe à la présente décision, j’en ai fourni une copie au greffier afin qu’il la verse au Dossier.

[86]  Postérieurement à la présentation orale des observations, le 19 novembre 2015, je me suis aperçu qu’il y avait une décision d’un comité d’arbitrage de la GRC qui semblait pertinente et qu’aucune des parties n’avait citée, à savoir la décision (2012) 12 D.A. (4e) 272. J’en ai avisé les parties le 1er décembre 2015, puis j’ai reçu les observations du RAD et de la RM les 7 et 9 décembre 2015 respectivement.

[87]  Du fait que l’affaire m’a été déférée en ma qualité de comité de déontologie, il découle que l’autorité disciplinaire estime que la cessation d’emploi du membre visé constitue la mesure disciplinaire appropriée pour sanctionner les quatre allégations qui ont été établies. L’autorité disciplinaire demande que j’ordonne au membre visé de démissionner dans les quatorze jours, et non que j’ordonne son congédiement immédiat.

[88]  Le membre visé s’oppose à toute sanction qui impliquerait la perte de son emploi. La RM a indiqué que des mesures disciplinaires moins graves, dont une confiscation de solde relativement aux allégations 1, 3 et 4, étaient appropriées.

Mesures disciplinaires proportionnées

[89]  Le comité de déontologie, conformément au paragraphe 24(2) des CC (déontologie), doit imposer des mesures disciplinaires qui soient « proportionnées à la nature et aux circonstances de la contravention au code de déontologie ».

[90]  Toute détermination des mesures disciplinaires appropriées doit tenir compte de l’objet déclaré de la partie IV de la version modifiée de la Loi sur la GRC, et en particulier de l’alinéa 36.2e), qui dispose ceci :

e) […] prévoir des mesures disciplinaires adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions aux dispositions du code de déontologie et, s’il y a lieu, des mesures éducatives et correctives plutôt que punitives.

Survol du parcours personnel et professionnel

[91]  Le membre visé, qui est né et a grandi à Moncton, a un frère qui souffre de paralysie cérébrale. Ce sont ses parents qui s’occupent de ce frère, mais à mesure qu’ils vieillissent, le membre visé risque d’être appelé à jouer un rôle de plus en plus grand dans cette prise en charge. Le membre visé est marié. Lui et sa femme ont des jumeaux qui n’ont pas encore quatre ans. Peu après la naissance de ceux-ci, l’un d’eux a reçu un diagnostic d’une déficience congénitale nécessitant une surveillance constante et des soins médicaux tertiaires.

[92]  Avant d’entamer sa formation de gendarme à la Division Dépôt, en 2007, le membre visé a travaillé durant dix ans à Moncton comme ambulancier paramédical prodiguant des soins préhospitaliers avancés.

[93]  Une fois diplômé de la GRC, en décembre 2007, le membre visé a été affecté au Détachement Blackville, dans la Division J.

[94]  En octobre 2011, il a été affecté à un poste nordique isolé à Cambridge Bay, dans la Division V. Comme les soins spécialisés que requérait leur enfant malade n’étaient pas offerts à Cambridge Bay, le membre visé et sa femme se préparaient à déménager à Iqaluit. Étant donné le coût élevé de cette mutation, il a été décidé de ramener le membre visé à Moncton, où il est entré en fonction en mars 2013. À ce point-ci dans sa carrière, il possédait des compétences comme éthyloscopiste et comme expert en reconnaissance de drogues.

Évaluations de rendement

[95]  La RM a déposé en preuve de récentes évaluations de rendement. Les superviseurs et autres supérieurs concernés sont unanimes dans leur appréciation très positive du rendement du membre visé. Ce dernier a, à maintes reprises, posé des actes d’une compassion exemplaire au cours de la période considérée.

[96]  Le membre visé a montré qu’il était un enquêteur faisant preuve d’un engagement et d’une diligence supérieurs à la moyenne et qu’il accomplissait un nombre considérable de tâches relevant de sa propre initiative. Il s’est révélé être un mentor et confrère de travail polyvalent, efficace et jouissant de la confiance de ses pairs. Lors du contre-interrogatoire serré qu’il a subi, il a su garder son calme et livrer un témoignage précis. Dans l’évaluation du 7 mars 2013, il est écrit que c’est le genre de membre qui est tout le temps prêt à sacrifier son propre bien-être à celui d’un collègue dans le besoin. Il ressort des évaluations que l’enthousiasme et l’esprit d’équipe du membre visé font de lui un leader incontesté parmi ses pairs.

Reconnaissance du rendement exemplaire

[97]  Les fiches de rendement concernant le membre visé font état de situations dans lesquelles il a posé des actes exemplaires véhiculant les valeurs fondamentales de la GRC. Parmi ces actes figurent les suivants :

  • le 7 décembre 2014 – traitement compatissant d’un détenu en état d’ébriété;
  • le 3 octobre 2014 – arrestation d’un individu armé soupçonné de vol;
  • le 12 septembre 2014 – utilisation en dernier recours d’une arme à impulsions contre unindividu perturbé maniant un couteau;
  • le 31 juillet 2014 et le 3 août 2014 – recrutement d’une source codée à la suite d’uneaffaire impliquant un accident de la route et une infraction à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances; localisation et arrestation rapides de deux individus ayant perpétré une entrée par effraction;
  • le 31 décembre 2013 – actes posés au péril de sa vie pour venir en aide à un individu armé en état d’ébriété et aux intentions suicidaires;
  • le 17 novembre 2013 – rôle actif joué dans l’obtention et l’exécution d’un mandat deperquisition ainsi que dans l’arrestation d’un individu possiblement armé ayant proféré des menaces de mort.

Évaluation psychologique

[98]  Le 4 juin 2014, un homme armé de Moncton a abattu trois membres de la GRC et en a blessé deux autres. Ces événements traumatisants ont eu une incidence sur la santé psychologique de certains membres.

[99]  Comme l’indiquent les documents présentés par la RM, la Gendarmerie a réagi avec sensibilité à ce drame, notamment en accordant deux semaines de congé spécial aux membres qui en avaient besoin. Ceux-ci ont dû, avant de retourner au travail, se soumettre à une évaluation préalable visant à confirmer leur aptitude à reprendre leurs fonctions.

[100]  Au cours de sa première semaine de congé, le membre visé a emmené un professionnel de la santé à des rencontres avec la famille d’un membre décédé, et il a pu, à ces occasions, être témoin de l’affliction de celle-ci. Il n’a pas pris de congé supplémentaire, mais il a fait savoir, lors de l’évaluation préalable qui a eu lieu le 17 juin 2014, qu’il allait commencer à consulter la psychologue, Mme Cormier, à partir du 24 juin 2014.

[101]  Dans le cas du membre visé, les événements du 4 juin 2014, qui succédaient à l’incident critique survenu le 31 décembre 2013, ont eu des répercussions durables et néfastes sur sa santé mentale. En septembre 2014, après une intervention concernant un individu armé d’un couteau, il est apparu, lors de la séance d’aide après un stress causé par un incident critique, que le membre visé éprouvait toujours des problèmes d’hyperexcitation et d’insomnie.

[102]  Lors de la deuxième conférence préparatoire, le 17 novembre 2015, j’ai informé les parties que j’avais l’intention de considérer Mme Cormier comme une experte en psychologie, y compris en matière d’évaluation et de traitement psychologiques. J’ai ensuite accordé au contenu de ses deux lettres, datées du 15 octobre et du 10 novembre 2015, un poids qui reflétait ce statut d’expert. Son curriculum vitae fait état de sa formation en psychologie, de son agrément auprès de l’organisme provincial habilité et de son expérience de travail en qualité de psychologue. Je tiens à confirmer que, dans la décision que j’ai rendue sur les mesures disciplinaires appropriées, j’ai considéré Mme Cormier comme une personne qualifiée pour émettre un avis d’expert dans le domaine que j’ai circonscrit le 17 novembre 2015.

Lettre du 15 octobre 2015

[103]  À partir du 24 juin 2014, Mme Cormier a tenu des séances régulières avec le membre visé. Elle a noté chez lui de multiples problèmes, dont une forme de découragement face à l’avenir et un certain sentiment d’échec. Il n’est pas clair exactement quels sont, parmi les problèmes qu’elle a notés, ceux qui ont perduré au fil des séances. Voici un extrait de la lettre qui peut s’avérer pertinent eu égard à la présente affaire : « [Traduction] […] il a plus de difficulté à se concentrer sur les tâches administratives et à suivre les procédures fastidieuses ».

[104]  Mme Cormier devait, entre autres tâches, s’entretenir plusieurs fois avec le psychologue de la GRC, à Fredericton, au sujet du membre visé. Au cours de ces entretiens a été abordée la question de savoir si un autre congé pour raisons médicales serait opportun. Elle n’a pas précisé à quand remonte la dernière discussion de cette question avec le psychologue de la GRC. D’après les pièces déposées en preuve, il semble que, du 24 juin 2014 à l’époque où les contraventions ont été commises, le membre visé n’aurait pris aucun congé pour cause de stress. Cela concorde avec la tendance du membre visé à minimiser ses symptômes et à craindre de se sentir coupable de prendre congé pendant que ses confrères et consoeurs continuaient à travailler.

[105]  Deux incidents, survenus dans les six semaines suivant la première séance de consultation du 24 juin 2014, méritent d’être mentionnés :

  • Le 10 août 2014, lemembreviséatrébuchéenfranchissantlaported’entréedudétachement tandis qu’il transportait des articles de service, dont un fusil de la GRC de calibre 12. Une cartouche était engagée dans la chambre au moment où le fusil est tombé par terre. Bien que le mécanisme de sûreté ait été enclenché, le coup est parti lorsque la crosse du fusil a heurté le sol. Le membre visé a par la suite reçu l’instruction de suivreune formation de remédiation sur les fusils.
  • Le 12 août 2014, le membre visé a légèrement endommagé un mur lors d’une disputeavec la gardienne de ses enfants, âgée de 33 ans. Celle-ci ne désirant pas donner suite à l’incident, l’affaire a été classée. Le membre visé et sa femme ont rencontré les Servicesde santé de la GRC, d’où il est ressorti que le geste du membre visé ne cadrait pas avecsa personnalité, que ce dernier vivait beaucoup de stress lié à la tuerie du 4 juin et à l’incident du coup de feu accidentel, survenu le 10 août. L’intéressé s’est vu adresser des directives administratives.

Lettre du 10 novembre 2015

[106]  La deuxième lettre de Mme Cormier, datée du 10 novembre 2015, tenait dans les trois paragraphes suivants :

[Traduction]

L’objet de la présente lettre est de vous exposer mon avis sur la probabilité que [le membre visé] adopte de nouveau un comportement comme celui qui lui est reproché dans l’incident de février 2015.

Je reçois [le membre visé] en consultation dans mon cabinet depuis le 24 juin 2014. J’estime qu’il s’agit d’un incident isolé très peu susceptible de se reproduire. Avant l’incident, [le membre visé] vivait un stress intense, et je crois que cela peut en partie expliquer le mauvais jugement dont il a fait preuve ce jour-là.

N’hésitez pas à me joindre pour obtenir de plus amples éclaircissements, au besoin.

[107]  Le RAD a soutenu qu’on ne pouvait accorder un grand poids ni une grande valeur probante aux remarques que Mme Cormier a formulées dans sa deuxième lettre. Le RAD n’a pas contesté le fait que le membre visé vivait un stress intense, mais il a indiqué que la lettre n’établissait aucun lien causal entre ce stress et l’inconduite.

Jurisprudence en matière disciplinaire

[108]  Il ressort de mon examen des décisions citées par les deux parties que l’éventail des sanctions imposées par les comités d’arbitrage de la GRC dans les affaires impliquant des actes malhonnêtes s’étend de l’avertissement doublé d’une importante confiscation de solde à l’ordre de démissionner.

[109]  Il importe toutefois de souligner que dans toutes les affaires citées, le ou les actes malhonnêtes visaient ou procuraient au mis en cause quelque forme de gain ou davantage, qu’il s’agît, pour ce dernier, d’obtenir un avantage ou un gain pécuniaire personnel, de dissimuler ses insuffisances professionnelles, de contrecarrer une enquête dont il faisait l’objet ou de falsifier des documents en vue de faire progresser une enquête. Ainsi constate-t-on que des actes malhonnêtes profitant à leur auteur se trouvent à la source d’affaires d’inconduite dans lesquelles :

  • la GRC s’est fait escroquer de l’essence;
  • des fonds opérationnels ont été détournés à des fins personnelles et ont servi à cautionner une demande de prêt falsifiée;
  • desordonnancesfalsifiéesontétéproduitesenvuedel’obtentiondestéroïdesanabolisants;
  • de nombreuses déclarations fausses et trompeuses ont été faites à répétition à des enquêteurs et à des superviseurs avant d’être reconnues comme telles à l’issue d’uneaudience contestée;
  • un jour d’emprisonnement a été imposé au membre qui avait tenté de frauder un régime provincial d’assurance automobile;
  • un verdict de culpabilité a été rendu contre un membre ayant fait une fausse déclaration à un régime provincial d’assurance automobile;
  • un rapport de continuation, différent du rapport initial ayant servi à l’obtention d’unmandat de perquisition, a été créé deux ans après les faits pour réfuter des allégations selon lesquelles des mandats avaient été obtenus sur la foi d’assertions inexactes;
  • des notes sur les lieux d’un homicide ont été dissimulées et de fausses notes ont été communiquées;
  • de nombreuses fausses déclarations ont été faites à répétition dans le but de dissimuler la négligence dont le membre avait délibérément fait preuve dans le cadre d’une enquête;
  • le membre mis en cause, après avoir été vu se masturber dans un véhicule de surveillance, a tenté d’influer sur le traitement de la plainte par un autre corps de police,a fait des déclarations fausses et trompeuses et a demandé que soient effectuées des vérifications illégitimes dans des banques de données.

[110]  Cela étant dit, dans les cas où un manque d’intégrité ou un acte malhonnête a été imputé au mis en cause, ce dernier n’a été congédié, de manière générale, que lorsqu’il avait ainsi obtenu ou cherché à obtenir un profit personnel et qu’aucun facteur atténuant important n’avait été retenu.

[111]  Après examen de l’enregistrement vidéo de la déclaration du membre visé, je constate que la décision de ce dernier de fabriquer un faux courriel n’était pas préméditée et avait été prise à un moment où, le 26 février 2015, il était devant son ordinateur de travail, à l’écran duquel plusieurs courriels étaient affichés, dont un courriel de M. Lalonde n’ayant aucun rapport avec l’affaire dont il s’occupait alors. Fabriquer un faux échange de courriels dans l’intention de duper le gendarme Roy constitue un acte criminel. Cet acte a été précédé d’un compte rendu oral mensonger au gendarme Roy et suivi d’entrées trompeuses dans le dossier SIRP. Aucun de ces actes ne visait la réalisation d’un profit personnel.

[112]  Les actes du membre visé n’avaient pas pour but de compromettre l’intégrité de quelconque enquête ou poursuite en justice par la falsification de documents ou d’éléments de preuve au détriment d’un suspect ou d’un accusé.

[113]  Ses actes étaient plutôt motivés par le désir d’éviter que M. A ne risque de perdre son emploi consécutivement à une suspension prolongée de son permis de conduire. J’accorde créance aux déclarations du membre visé selon lesquelles il a appris, en s’entretenant avec M. A, que ce dernier avait réservé un billet d’avion pour se rendre dans l’Ouest, où l’attendait un emploi exigeant qu’il puisse conduire.

[114]  Le membre visé n’a pas cherché à se procurer un avantage, et il ne s’en est pas vu offrir par M. A. Les deux hommes ne s’étaient jamais rencontrés auparavant, et aucun lien de parenté ni d’intérêt n’existait entre eux. M. A était au volant d’un Hummer jaune, et la raison pour laquelle le membre visé s’est approché de ce véhicule à l’allure distinctive était de vérifier si son conducteur était un présumé délinquant connu de la police pour se déplacer en Hummer. Le conducteur s’est plutôt révélé être M. A, qui conduisait son véhicule de manière convenable.

[115]  M’appuyant sur la déclaration écrite du membre visé qui a été présentée à l’audience sur la détermination des mesures disciplinaires, je tiens pour avéré le fait que ce dernier, dans les premiers temps de son emploi à la GRC, avait contribué à la condamnation d’un conducteur en état d’ébriété dont l’échantillon d’haleine avait révélé une alcoolémie de 100 mg/100 ml. Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le souvenir de la perte d’emploi que ce conducteur avait subie a, le 26 février 2015, joué quelque rôle dans le train de pensée du membre visé.

Facteurs aggravants et atténuants

[116]  Afin de déterminer les mesures disciplinaires appropriées, il est nécessaire de prendre en considération les facteurs atténuants et aggravants. Pour les besoins de la présente affaire, je prends ces derniers termes dans le sens qui leur est donné dans la décision du Comité d’arbitrage de la GRC (2013) 14 D.A. (4e) 269 :

[19] Dans le contexte du droit, on entend par « circonstances aggravantes » toute circonstance accompagnant la perpétration d’un crime ou d’un délit qui en accentue le caractère coupable ou la gravité ou qui accroît le préjudice qui en découle, mais qui ne touche pas directement les éléments constitutifs du crime ou du délit en question.

[…]

[20] Les facteurs atténuants ne justifient pas ni n’excusent le crime, mais en toute équité pour le membre en cause, ces facteurs doivent être pris en considération afin de réduire la gravité de la peine qui autrement serait justifiée pour l’inconduite en cause.

[117]  La grande majorité des facteurs aggravants et atténuants mentionnés ci-dessous sont énumérés, parmi d’autres, dans la liste des facteurs aggravants et atténuants qui est fournie à l’annexe XIII-I-20 du Manuel d’administration de la GRC.

Facteurs aggravants

[118]  J’ai retenu les facteurs aggravants suivants :

  • L’inconduite, bien que non préméditée, a consisté en une série d’actes délibérés commisdans les dernières heures d’un seul et même quart de travail, et ces actes traduisent une grossière erreur de jugement.
  • L’inconduite ici en cause est un manque d’honnêteté et d’intégrité. Il est vrai, toutefois, que les actes du membre visé n’étaient pas motivés par un intérêt personnel. La décisiondu Comité d’arbitrage de la GRC (2012) 12 D.A. (4e) 472, soumise à l’attention desparties, mettait en cause un membre qui, pour faire preuve de clémence à l’endroit deconducteurs soupçonnés de conduite avec facultés affaiblies, avait faussement noté que ces derniers avaient refusé de souffler un échantillond’haleinedansl’appareildedétection approuvé, alors qu’en fait, à chacune des trois occasions, l’éthylométrie avaitété effectuée et livré le résultat « FAIL » (échec). L’un des conducteurs avait besoin deson permis de conduire pour travailler. Comme dans le cas du membre visé en l’espèce,on a jugé que le grand respect que le mis en cause montrait à l’égard de la loi avait étééclipsé par son empathie envers les trois conducteurs coincés dans des situations difficiles. Il convient de faire remarquer que le comité d’arbitrage, dans cette décision,n’a pas retenu l’obligation de divulgation découlant de l’arrêt McNeil comme un facteur aggravant, et qu’il a imposé une confiscation de solde globale pour dix jours de travail.
  • Les actes ici en cause ont été commis par un gendarme d’expérience.
  • Compte tenu des implications de l’arrêt McNeil, l’inconduite occasionne à la GRC un fardeau administratif très lourd, mais supportable. À ce sujet, au cours de l’audiencetenue à Moncton, la RM a dit avoir récemment appris du membre qu’il avait eu unentretien téléphonique avec son supérieur hiérarchique et que ce dernier avait évoqué différents postes pouvant lui convenir. Ce double ouï-dire ne saurait peser d’un grandpoids, mais il semble refléter une situation comparable à celles des membres qui, dans la jurisprudence citée, ont conservé leur emploi malgré toutes les questions liées à l’arrêtMcNeil.
  • Agissant au mépris des règles de déontologie, le membre visé a amené son superviseur à fermer inconsidérément un dossier. Il a agi ainsi alors qu’il existait des moyens licitesd’aider M. A. Répondant à ma question, le RAD a confirmé que le membre visé avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas déposerd’accusation,maisqu’enl’occurrencela procédure de supervision directe de la GRC n’avait pas été suivie.
  • Les ressources de la Couronne ont dû être mobilisées pour l’examen de tous les dossiersauxquels le membre visé a travaillé. L’inconduite de ce dernier a eu des conséquencessur le maintien de l’ordre dans la région de Moncton : la Couronne a en effet décidé d’abandonner une poursuite pour agression armée (aérosol capsique) et une vingtained’affaires de conduite avec facultés affaiblies parce que le membre visé y avait participé. Bien que la Couronne se soit dite entièrement satisfaite de la réaction de la GRC, les gestes du membre visé étaient de nature à ternir la réputation de l’organisation et àcompromettre ses relations avec le milieu judiciaire.
  • Dans la procédure pénale, le membre visé a plaidé coupable à l’égard d’une infraction decommission de faux et a reçu une absolution conditionnelle.
  • Les actes du membre visé lui enlèvent de la crédibilité, ce qui n’est pas irréparable, et ontsuscité l’attention négative des médias.

[119]  Je ne tiens pas pour un facteur aggravant le fait que l’autorité disciplinaire ne s’exprime pas en faveur du maintien du membre visé au sein de la GRC, mais je note que ce dernier ne peut faire valoir la bonne disposition de la direction à son égard à titre de facteur atténuant.

Facteurs atténuants

[120]  J’ai retenu les facteurs atténuants suivants :

  • À la première occasion, le membre visé a admis avoir commis les actes qui lui étaient reprochés, a fait face à la justice criminelle, a reconnu le bien-fondé des allégations et a mandaté la RM d’assurer sa représentation de manière à éviter l’enregistrement officielde pièces à conviction et la citation de témoins à charge, ce qui a minimisé la quantité de ressources administratives nécessaires au traitement du dossier.
  • Le membre visé a présenté des excuses écrites officielles aux procureurs de la Couronne concernés et a su conserver la confiance du gendarme Roy, à qui il adressera, sur recommandation de la RM, des excuses écrites.
  • La façon dont le membre visé s’est comporté dans les procédures disciplinaire et pénaletémoigne de son repentir, et les paroles qu’il a adressées au comité de déontologie étaientchargées de profonds regrets et de remords sincères.
  • Le membre visé n’a aucun antécédent disciplinaire. Les affaires relativement auxquellesil a reçu des directives opérationnelles et asuivreuneformationd’appoint ne mettaient pas en cause son honnêteté et son intégrité.
  • Le membre visé affiche un rendement supérieur à la moyenne et est tenu en haute estime pour son sens élevé du devoir.
  • L’inconduite ici en cause constitue un incident isolé qui ne cadre pas avec la personnalitédu membre visé. Comme l’indiquent ses évaluations de rendement, sa propension à la compassion ne l’a jamais empêché de veiller avec vigilance à l’application de la loi.
  • Je constate que le 26 février 2015, le membre visé était toujours aux prises avec d’importantsfacteursdestress,notammentliésàdesincidentscritiques survenus pendant le service. Je ne suis pas disposé à conclure selon la prépondérance des probabilités que l’inconduite résulte de l’existence de ces facteurs de stress, pour lesquelsle membre visé consultait un psychologue. Peut-être Mme Cormier a-t-elle voulu établir un tel lien causal, mais j’estime que le langage dont elle use dans son avis indique seulement qu’un tel lien causal est possible, non qu’il soit probable. Cela dit, puisque les actesmalhonnêtesdumembrevisén’avaientpaspourbutl’obtentiond’unprofitpersonnel, il n’est pas indispensable d’établir un lien causal entre sa santé mentale et saconduitecontraireàl’éthiquepourjugerquelecongédiementestunesanction disproportionnée.
  • Je suis convaincu que le membre visé consulte actuellement un spécialiste et continuera à participer à toute séance de counseling jugée indiquée.
  • Le membre visé est réputé pour son grand esprit d’équipe.
  • Le membre visé a été récompensé pour avoir réalisé des actions d’un professionnalismeexemplaire.
  • Le membre visé continue à jouir de l’appui de ses pairs et superviseurs du détachementsubdivisionnaire de Moncton, comme l’indiquent les lettres de recommandation de sondernier superviseur et de ses superviseurs intérimaires, dont le gendarme Roy.
  • Le membre visé a démontré son sens des responsabilités en produisant une déclaration dans laquelle il admet avoir commis les actes qui lui étaient reprochés.
  • Le membre est très engagé auprès de la communauté, et à la suite des événements du4 juin 2014, il a apporté sa contribution à un centre local de soutien. Des membres de la communauté ont soumis des lettres de recommandation.
  • Il est très peu vraisemblable que le membre visé commette d’autres actes d’inconduite à l’avenir. Cette appréciation se fonde sur l’avis expert de Mme Cormier et sur les paroles et l’attitude du membre visé au moment où il s’est adressé au comité de déontologie.
  • Le membre visé s’est déjà en partie acquitté de sa dette envers la société en effectuant l’important don de bienfaisance que les conditions dont son absolution était assortie luienjoignaient de faire.

[121]  Après avoir pris en considération la nature des contraventions établies, les pièces, observations et décisions antérieures présentées par les parties, les facteurs aggravants et atténuants applicables de même que les lignes directrices et les fourchettes de confiscation de solde exposées dans le Guide, j’estime qu’il serait disproportionné, eu égard à la nature et aux circonstances des écarts de conduite du membre visé, de le congédier de la Gendarmerie en vertu de l’alinéa 45(4)a) de la Loi sur la GRC tout comme de lui ordonner de démissionner dans les quatorze jours, sous peine de congédiement, en vertu de l’alinéa 45(4)b) de cette même loi.

[122]  Je suis d’avis que les circonstances tout à fait singulières qui entourent l’inconduite ici en cause interdisent d’assimiler celle-ci à une résiliation du contrat de travail par le membre visé et empêchent d’y voir la violation d’une condition essentielle à l’exercice de son emploi.

[123]  Il convient, par conséquent, de choisir les mesures disciplinaires simples, correctives et graves appropriées parmi celles prévues au paragraphe 5(3) des CC (déontologie). Les mesures doivent principalement viser la correction des comportements répréhensibles, de manière spécifique et générale, la réadaptation et la préservation de la confiance du public en la GRC.

[124]  Comme il a été dit précédemment, la RM a plaidé en faveur de mesures disciplinaires moins graves que le congédiement, à savoir les suivantes :

  • une réprimande relativement à l’allégation 2;
  • d’importantes confiscations de solde relativement aux allégations 1, 3 et 4;
  • une mutation et une inadmissibilité à toute promotion pour une période de deux ans relativement à l’allégation 3;
  • l’ordre de continuer à consulter un professionnel de la santé.

Mesures disciplinaires imposées

[125]  Relativement à chacune des allégations, j’impose une réprimande, sanction prévue à l’alinéa 3(1)i) des CC (déontologie). Relativement aux allégations 1, 3 et 4, j’impose eu outre au membre visé l’obligation de suivre un traitement médical, en l’occurrence psychologique, selon les directives du médecin-chef de la Division J, sanction prévue à l’alinéa 3(1)d) des CC (déontologie).

Allégation 2

[126]  Relativement à l’allégation 2, j’estime qu’une réprimande est une mesure disciplinaire suffisante pour sanctionner la contravention.

[127]  Dans ma décision sur l’établissement des allégations, j’ai conclu que la transmission du faux courriel à M. Lalonde, bien qu’accidentelle, constituait néanmoins une contravention au code de déontologie puisqu’il s’agissait d’un acte insouciant. Il serait inapproprié d’imposer une confiscation de solde relativement à l’allégation 2, car c’est en réalité le contenu du faux courriel qui a éveillé les inquiétudes de M. Lalonde, et la création du faux courriel, comme telle, est sanctionnée sous l’allégation 3. Procéder autrement reviendrait à sanctionner le même acte par deux confiscations de solde distinctes.

Allégation 3

[128]  Relativement à l’allégation 3, j’impose au membre visé, en plus d’une réprimande et de l’obligation de suivre le traitement prescrit, une confiscation de solde pour trente jours de travail, sanction prévue à l’alinéa 5(1)j) des CC (déontologie), et je le déclare inadmissible à toute promotion pour une période de deux ans, mesure qui prend effet immédiatement. J’ordonne en outre la mutation du membre visé.

[129]  La confiscation de solde imposée relativement à l’allégation 3 est considérable, mais néanmoins proportionnée. Cette allégation se rapporte non seulement à la création du faux courriel, mais aussi à son ajout au dossier d’enquête de même qu’à l’envoi d’une note à la Direction des véhicules à moteur, par télécopieur, destinée à faire lever la suspension du permis. À l’article 23 du Guide, il est dit que l’acte malhonnête par lequel un vol est effectivement commis peut encore, si des circonstances atténuantes le justifient, être sanctionné par la confiscation de trente jours de solde. Je fais remarquer par ailleurs que, selon l’article 35 du Guide, la production d’un faux rapport de police pouvait, en présence de circonstances atténuantes, être sanctionnée par une confiscation de solde allant jusqu’à vingt-neuf jours de travail.

[130]  La RM a présenté deux articles de presse concernant la déclaration de culpabilité prononcée en 2013 contre un membre qui avait fabriqué un faux document administratif et l’absolution conditionnelle que le tribunal lui avait accordée. Tout en soulignant à juste titre le manque de détails de ces articles de presse, le RAD a reconnu que, dans cette affaire de 2013, l’intéressé n’avait fait l’objet d’aucune procédure disciplinaire officielle. Malgré le peu de détails que nous avons sur cette autre affaire, il est clair qu’imposer une confiscation de solde pour trente jours de travail est une mesure d’une grande sévérité.

[131]  En ce qui a trait à l’ordre de mutation, il appartient à l’autorité disciplinaire de réaffecter le membre visé à un poste qui n’exige pas de réinstallation, comme le prévoit l’alinéa 3(1)h) des CC (déontologie), ou de le muter à un autre lieu de travail, comme le prévoit l’alinéa 5(1)g). Étant donné que le faux échange de courriels concernait M. Lalonde, les contacts professionnels du membre visé avec ce dernier devraient être réduits au minimum. Cette mesure disciplinaire doit être comprise comme donnant toute latitude à l’autorité disciplinaire d’ordonner une mutation à un autre lieu de travail dans l’éventualité où une réaffectation ne s’avère pas suffisante.

[132]  L’inadmissibilité à toute promotion pour une période de deux ans est imposée en vertu de l’alinéa 5(1)b) des CC (déontologie). En qualité de superviseur intérimaire, le membre visé a, dans le passé, fait preuve d’efficacité et de leadership. Pourvu qu’il se consacre de nouveau à son travail avec dévouement et professionnalisme, rien ne s’oppose à ce qu’il décroche une promotion plus tard dans sa carrière. Cela dit, la gravité de la contravention établie sous l’allégation 3 commandait l’imposition d’une période d’inadmissibilité de longue durée. Durant cette période, le membre visé aura tout loisir de réfléchir à l’exigence qui est faite aux membres de la GRC, et en particulier aux membres expérimentés comme lui, de se conformer aux normes éthiques les plus élevées dans tous les aspects de leur travail.

Allégation 1

[133]  Relativement à l’allégation 1, j’impose, en sus d’une réprimande et l’ordre de suivre le traitement prescrit, une confiscation de solde pour dix jours de travail.

[134]  Dans sa requête préliminaire, la RM demandait de joindre le compte rendu oral mensonger que le membre visé a fait au gendarme Roy, mentionné sous l’allégation 1, à l’énoncé détaillé de l’allégation 4. J’ai refusé que les allégations 1 et 4 soient réunies, car il m’a paru légitime, de la part de l’autorité disciplinaire, de formuler une allégation de contravention distincte se rapportant au fait de fournir un compte rendu oral mensonger à un supérieur. Cela étant dit, il convient de tenir compte du peu de temps qui s’est écoulé entre le moment où ce compte rendu a été fourni et celui où a été posé le dernier des actes mentionnés sous l’allégation 4.

[135]  Par ailleurs, bien que la Gendarmerie soit en droit de s’attendre à ce que les rapports faits aux superviseurs soient exacts, le caractère franchement inhabituel des actes du membre visé atténue la sévérité de la confiscation de solde à imposer. L’article 33 du Guide indique que, pour sanctionner une inconduite consistant à mentir à un supérieur au sujet d’un fait d’intérêt pour la police, il convenait, en présence de circonstances atténuantes, d’imposer une confiscation de solde pour 10 jours de travail.

Allégation 4

[136]  Relativement à l’allégation 4, j’impose, en sus d’une réprimande et de l’obligation de suivre le traitement prescrit, une confiscation de solde pour vingt jours de travail.

[137]  Il est vrai que l’inconduite visée par l’allégation 4 a eu lieu dans le même court laps de temps que les autres éléments d’inconduite ici en cause, mais le membre visé aurait pu, au lieu de faire de fausses entrées dans le SIRP, prendre du recul et renoncer à persévérer dans la ligne de conduite répréhensible qu’il avait d’abord choisi d’adopter. Aux termes de l’article 33 du Guide, le fait de mentir à un supérieur appelle, en temps normal, un éventail de sanctions allant jusqu’à la confiscation de solde pour vingt jours de travail, tandis qu’en vertu de l’article 35, le fait de produire un faux rapport de police appelle, en présence de circonstances atténuantes, un éventail de sanctions allant jusqu’à la confiscation de vingt-neuf jours de solde.

Observations finales

[138]  Dans le cadre de l’ancien régime disciplinaire, où toute allégation officielle était jugée par un comité d’arbitrage de la GRC, il n’était pas possible, eu égard à un seul et même avis d’audience disciplinaire, d’imposer une confiscation de solde pour plus de dix jours de travail, même lorsque plusieurs allégations étaient établies. Aucune limitation du genre ne pèse sur les confiscations de solde que le comité de déontologie peut imposer relativement aux allégations contenues dans un même avis disciplinaire.

[139]  C’est pourquoi, comme je l’ai exposé en détail plus haut, j’ai imposé une confiscation de solde pour un total de soixante jours de travail, ou 480 heures. Cela représente une perte de salaire brut de plus de 18 000 $. Une telle pénalité financière est nettement supérieure à celles auxquelles équivalent les confiscations de solde imposées dans les décisions des comités d’arbitrage de la GRC citées par les parties. Le fait est que le nouveau régime disciplinaire confère aux comités de déontologie le pouvoir et la souplesse requis pour imposer des pénalités financières beaucoup plus lourdes qu’auparavant afin de sanctionner des inconduites de façon proportionnée sans pour autant recourir au congédiement ou à l’ordre de démissionner. Les considérations sur la confiscation de solde que contient le Guide rendent compte de ces pouvoirs plus étendus.

[140]  Ainsi que je l’ai expliqué plus haut, j’estime que le congédiement est une mesure disciplinaire qui n’est pas proportionnée à la nature et aux circonstances des contraventions établies en l’espèce. Je me suis appesanti sur le sens d’un passage du Guide, aux pages 7 et 8, où il est dit que dans les cas où il n’est pas suffisant d’imposer une confiscation de solde pour quarante-cinq jours de travail, le congédiement n’était pas une sanction trop sévère. En l’espèce, la perte d’emploi est une sanction trop sévère, mais il n’est pas déraisonnable, à des fins de dissuasion et pour conserver la confiance que la population place en la GRC, que le membre visé se voie imposer une confiscation de solde pour plus de quarante-cinq jours de travail.

[141]  Si l’on se fie aux données de recherche fournies aux pages 6 et 7 du Guide, la confiscation de solde imposée au membre, équivalente à soixante jours de travail, est comparable à la plus élevée des privations de salaire qui sont légalement autorisées dans plusieurs autres services de police canadiens.

[142]  La confiscation de solde et l’inadmissibilité à des promotions sont des mesures punitives à caractère dissuasif. Ces mesures, sur un plan individuel, signifient au membre visé que la GRC condamne durement son inconduite, même si celle-ci n’était pas motivée par un intérêt personnel. De manière générale, ces mesures indiquent à l’ensemble des membres de la GRC que les écarts de conduite qui reposent sur la malhonnêteté sont passibles de graves sanctions, y compris le congédiement. D’un autre côté, l’ordre de bénéficier de services de psychologie adéquats a pour but d’aider à la réinsertion du membre visé et à son retour sans encombre comme membre actif de la GRC.

[143]  La présente décision écrite peut être portée en appel par le membre visé, en vertu des alinéas 45.11 (1)a) et b) de la Loi sur la GRC, de même que par l’autorité disciplinaire, en vertu de l’alinéa 45.11b) de cette même loi.

 

 

Le 28 janvier 2016

John A. McKinlay

Comité de déontologie

 

Date

 



[1] Note du traducteur : Comme deux RAD de sexe différent ont travaillé à ce dossier et que le rôle exact que chacun a joué dans la conduite de la procédure est impossible à déterminer, c’est le masculin singulier qui, par commodité, sera ici employé.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.